(Repères)
Introduction : en quoi les principales théories sont "classiques"
En économie, deux grandes familles de théories ont dominé les 150
ans qui nous précèdent. Il s'agit des théories néo-classiques et des
théories marxistes. Dès l’origine les théories marxistes se sont
inscrites dans la filiation des théories (néo-)classiques ; si elles
sont critiques, elles n’en demeurent pas moins classiques. En effet
toutes les théories en notre possession ont un fondement commun : la
production.
Ce fondement a comme défaut de fondre en
un, deux notions distinctes: puissance et richesse, autrement dit
production et circulation.
Dans un premier temps, nous observerons comment notre vision
(celle communément admise) de la révolution industrielle -vision
explicatrice de la construction des théories économiques- est
historiquement infondée.
En second lieu, nous regarderons
comment la théorie dite des coûts de transactions, à défaut d’être
parfaite, a une puissance explicative complémentaire à celles plus
usitées, dans la compréhension des dynamiques de notre monde.
Pour une vision révolutionnaire de la révolution industrielle
Commençons donc par s’interroger sur la nature même de cette révolution industrielle qui façonne notre société moderne.
La révolution industrielle est définie comme une révolution technique, productiviste. Le progrès technique aurait permis d’améliorer les rendements de l’agriculture (produire plus avec moins de travailleurs); on aurait pu ainsi libérer de la main d’œuvre; celle-ci serait venue remplir les usines en même temps que les techniques et la productivité, progressaient. Plus tard, pour une production croissante, les robots auraient permis de supprimer des emplois dans l’industrie rendant disponible de la main d’œuvre pour le développement des services.
Cette
explication classique qui repose sur l’argument technologique, n’est en
réalité pas satisfaisante; elle laisse en suspens une question
fondamentale. Comment se fait-il que le monde arabe et le monde chinois
qui possédaient une avance technique considérable sur l’Europe ne se
soient pas développés ?
Une étude approfondie tend à montrer
qu’avant de pouvoir se développer, il faut le vouloir. Si l’on observe
les principautés au premier millénaire, on remarque que les terres
agricoles étaient délimitées de façon précise. Il ne s’agissait pas, à
l’époque, de défricher une parcelle de plus pour produire davantage. La
culture était organisée par le rituel. La production était un rite.
C’est vers l’an Mil que tout a basculé. Avec la chute de l’Empire
de Charlemagne est apparue la nécessité vitale pour le pouvoir en place
d’accroître la production. Petit à petit l’échange rituel est devenu un
échange économique organisé à l’intérieur d’un marché créé, voulu et
contrôlé par l’Etat. On est passé de l’échange d’objets à valeur
symbolique à l’échange de marchandises à valeur marchande .
La révolution industrielle est donc la conséquence de la révolution
idéologique qui a promu le travail et la production au rang de valeur,
mais ceci ne suffit pas à expliquer pourquoi le démarrage a eu lieu en
Angleterre et non dans un autre pays.
Il
faut que des conditions soient réunies pour qu’une nouvelle technique
passe du stade l’invention au stade de l’application généralisée dans
un système productif. Ces conditions ont été réunies en Angleterre.
On
remarque dans l’histoire de l’Europe le développement de villes comme
Venise ou Amsterdam. Ces dernières ont connu une prospérité
exceptionnelle . Mais ces villes n’ont, à l’époque de leur prospérité, rien produit. Etonnant dira-t-on, on peut être riche en ne produisant
rien ! Leur prospérité a reposé sur leur capacité à organiser l’échange
entre deux mondes. Pour Venise ce fut l’échange des productions du
Saint Empire Romain Germanique contre celles de l’Empire Ottoman tandis
qu’Amsterdam contrôla l’échange entre l’Europe et le Nouveau Monde.
Toutes les deux étaient des lieux d’échanges, de circulation. Et
quand Amsterdam vivait dans l’opulence , la France de Louis XIV
rayonnait de puissance. Cette puissance prenait sa source dans la
production (les manufactures de Colbert) mais cette dernière ne
générait, comparativement, nullement de richesses.
Au sens de puissance nous entendons pouvoir politique.
La
grande force de l’Angleterre a été de réunir en un même lieu, les Îles
Britanniques , un espace de production, par la maîtrise technologique,
et de circulation, de par sa situation insulaire. Ce mélange
usine-banque, l’un symbole de la production, l’autre de la circulation, a été détonnant. C'est ce mélange détonnant qui fonde la révolution industrielle.
La richesse et la puissance : deux mondes distincts
Notre
monde est donc caractérisé par cette formidable et unique association
de la richesse et de la puissance, de la circulation et de la
production.
Du fait de cette association nous distinguons mal ces
deux notions que nous croyons obligatoirement imbriquées. Pourtant un
exemple flagrant a longtemps été sous nos yeux. Quand l’URSS était un
pays, grand producteur, très puissant et peu riche, la CEE était un
espace de circulation, très riche et extrêmement peu puissant.
Le schéma ci-attaché illustre ce qui est du côté de la puissance et ce qui est du côté de la richesse.
Qu’avons-nous entre la production et la circulation ? La transaction. Il nous faut fabriquer et ensuite répartir cette fabrication. L’économie est l’organisation de la transaction: la production et la mise en circulation de cette production.
De plus, sans entrer dans une démonstration nécessaire, LE marché n'existe pas. Il existe DES marchés autonomes mais interdépendants ; pire, il existe des transactions autonomes. Peut-on dire qu'il existe un marché immobilier ? Chaque produit (neuf, ancien, appartement, centre-ville, maison près de la gare, campagne, ...) est différent. Quelle est l'ambition de tous les responsables du marketing à stratégie de produits différenciés ? Qu'on ne compare pas son produit avec un autre ; non Nespresso ça ne fait pas du café comme Nescafé, c'est autre chose, mais à la fin on boit tous du café.
La hiérarchie (= l'entreprise) et le marché
Il existe deux formes d’organisation de l’échange : la hiérarchie et le marché.
La
hiérarchie désigne l’entreprise; dans ce cadre, la coordination des
activités économiques repose sur des relations d’ordre et de
hiérarchie; on parle à ce sujet d’internalisation: produire en interne
(dans l’entreprise) ce qui est produit à l’extérieur. Ce phénomène a
été illustré par le mouvement d’intégration verticale qu’ont connu
beaucoup de grands groupes.
Dans le cadre du marché nous n’avons
plus à faire à un ordre (de la direction à l’ouvrier) mais à un contrat
et à un échange (entre le client et le fournisseur). On parle alors
d’externalisation; il s’agit pour l’entreprise de faire-faire, de
sous-traiter même s’il peut être question davantage de partenaire que
de sous-traitant. Ce mouvement d’externalisation s’observe par la
fameuse stratégie de recentrage sur le métier d’origine, opérée par
nombre d’entreprises; ainsi, on peut dire autant “assemblier” que
“constructeur” pour parler des Peugeot, Renault etc. ; ils assemblent
des éléments fabriqués dans d'autres usines que les leurs.
Bien
évidemment, entre ces deux modes alternatifs de coordination des
activités économiques, il existe toutes les formes hybrides inventées
ou à inventer (participation croisée, GIE…).
Mais nous devons intégrer dans notre imaginaire économique, que l'entreprise est l'organisation opposée et alternative du marché : créer une entreprise c'est éviter de faire appel au marché.
Constatant
qu’il existe deux formes de coordination, on peut se demander pourquoi
y a-t-il tantôt l’une ou tantôt l’autre. La réponse est simple, c’est
la supériorité sur le plan de l’efficacité économique qui est le
critère décisif. Quand l'entreprise-hiérarchie est plus efficace économiquement, elle supplante le marché et inversement.
Mais alors dans quels cas l’efficacité se trouve-t-elle du côté de la hiérarchie et inversement ?
La
théorie néo-libérale expose que la libre concurrence permet
l’affectation optimale des ressources. Libre concurrence veut dire
économie de marché; sur un marché, on a confrontation des offres et des
demandes, et c’est donc de cette confrontation que naît l’optimum (c'est-à-dire l'état le plus favorable, le meilleur possible d'allocation des ressources en fonction des conditions données).
Lorsque
l’on regarde la réalité, on observe l’existence d’entreprises. Cette
observation rentre en pleine contradiction avec la théorie. Car
l’entreprise est une hiérarchie, c’est-à-dire l’alternative du marché.
Or si le marché permettait d’atteindre l’optimum, il ne devrait pas
exister d’entreprise. Et si la hiérarchie s’avère supérieure au marché
pour atteindre l’optimum c’est que la théorie est (partiellement)
fausse.
Il nous faut revenir aux hypothèses des descendants d’Adam
Smith. Il en est une qui stipule que pour que la “main invisible”
s’exerce, que pour que la concurrence pure et parfaite soit, il faut
que l’information circule librement. Ici librement signifie sans
entrave mais aussi sans coût. Or l’information n’est pas gratuite
contrairement à l’hypothèse de nos économistes historiques. Et c’est là que tout
bascule.
Le coût de transaction : l'oublié de notre réflexion économique
Le
coût de transaction désigne le prix du face à face entre deux agents
économiques, individuels ou collectifs désirant échanger.
Lorsque
la ménagère part faire ses courses, il lui est impossible d’aller
étudier les prix dans les cinq grandes surfaces à sa disposition avant
d’acheter. Or seule cette méthode permet la confrontation des offres et
donc la libre concurrence et donc l’atteinte de l’optimum. Cela lui est
impossible car pour faire cette consultation, il lui faudrait investir
des moyens et du temps, et le temps c’est de l’argent.
Imaginons
que nous soyons une institution. Dans le cadre de nos activités, il
nous faut éditer divers documents. Imaginons que pour ce faire, nous
recourions à l’appel d’offres (avec sélection du moins disant) pour
trouver l’imprimeur le moins cher pour chaque travail. L’obtenons-nous
? Peut-être mais peut-être pas. Car ce que notre comptabilité ne nous
dira jamais, c’est la dépense qu’institution, nous aurons faite pour
expliquer à l’imprimeur nouveau ce que nous voulons. Si nous gardons le
même imprimeur, son habitude de nos travaux, permettra aux responsables
du dossier -pour le compte de l’institution- de passer beaucoup moins
de temps et d’énergie sur ce dossier (donc d’argent). Il faut que le
gain d’un côté soit supérieur à la perte pour rendre un système
supérieur à l’autre. Au bout du compte notre institution s’équipera
peut-être d’une imprimerie en interne ?
Quand
faut-il coordonner la production par la hiérarchie plutôt que par le
marché ? Lorsque le coût de transaction est élevé, la hiérarchie est
préférable car permettant d’atteindre un coût total (coût de production
+ coût de transaction) inférieur.
Quels sont les facteurs qui
influent sur le coût de transaction ? A cet égard deux facteurs
apparaissent fondamentaux : la complexité et l’incertitude des
transactions (si vous n’êtes pas sûr d’être livré à l’heure dite et
qu’il en va de la survie de votre entreprise, mieux vaut produire en
interne l’élément concerné).
Enfin on peut expliquer la performance de certains monopoles
Cette
théorie de coût de transaction permet d’expliquer comment un monopole
peut être -dans certains cas- économiquement plus efficace pour la
collectivité que la concurrence alors que la "théorie" stipule le
contraire. Le monopole évite la multiplication des transactions
génératrices de coût. Le coût total, rappelons-le est la somme du coût
de production et du coût de transaction ; dans un monopole, le coût de
transaction chute, la plupart du temps, tandis que le coût de
production a tendance à s'accroître, relativement.
Cette théorie du coût de transaction permet aussi de ne pas opposer, sur un plan conceptuel, l’économie
soviétique et l’économie occidentale. Le fondement est le même : la
transaction dans un système productif. Dans le premier cas il s’agit
finalement d’une hiérarchie par la voie de la planification alors que
notre monde serait plutôt du côté du marché.
On
a connu un temps des groupes industriels de plus en plus intégrés.
Aujourd’hui, il semble bien que la tendance soit à l’externalisation.
L’élément marquant de notre présent est l’explosion des moyens de
communication bénéficiant de la révolution informatique. Cette
amélioration considérable de l’information minimise vraisemblablement
la complexité et l’incertitude des transactions et donc le coût de
transaction, rendant le recours à l’externalisation plus efficace. On
comprend bien alors que l’information est un élément phare de cette
circulation si nécessaire au développement de notre société
démocratique.
Remarquons que les dictatures -comme l’URSS- ont toujours
agit avec la volonté de contrôler l’information; comme par hasard, leur
développement économique s’en est trouvé passablement ralenti.
En guise de conclusion
Les
théories économiques à notre disposition ne nous ont pas permis
d’éviter la crise. L’Histoire semble nous montrer qu’elles ont eu tort
de rendre premier la production. La circulation est l’autre facteur
indispensable sans lequel on ne peut comprendre pleinement le
développement économique occidental issu de la révolution industrielle.
Aussi la prise en compte simultanée de la production et de la
circulation nous amène à placer en position centrale la question de la
transaction. Cette mise en perspective permet d’ébaucher un modèle
alternatif aux théories classiques et critiques; sa valeur explicative
semble avoir une pertinence supérieure à ces prédécesseurs.
Même
si l’on se doit d’aller jusqu’à la construction d’un corpus théorique
solide, on peut dès aujourd’hui essayer de porter un regard neuf sur
les politiques de notre développement.
1ère remarque : les règles des marchés publics sont une négation de la réalité profonde du marché ; cela entraine des effets pervers.
2ème remarque : cette double approche apporte une réponse en gestion des entreprises à la question du "faire" ou "faire-faire", internaliser ou externaliser.
3ème remarque : cette double approche appelle les Etats à organiser les marchés en gardant en tête l'objectif de baisse des coûts de transaction
4ème remarque : cette double approche nous conduit à accepter la vraie nature de la Bourse : marché autonome de placement et fabrication d'argent.
Cette volonté nouvelle ne
doit pas nous faire escamoter le fait que l’action -à la différence de
la théorie- a souvent été davantage contrainte par un réalisme
implicite qu’une théorie explicite. Ce qui signifie que notre
développement ne s’est pas toujours construit conformément aux
indications de la théorie. Intuitivement, les gens et les entreprises ont intégré peu ou prou le coût de transaction dans leur fonctionnement.
CAJJ