Magazine Journal intime

Une Présidente dans mon village

Par Memoiredeurope @echternach

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Voilà ! Quatre semaines ont défilé devant mes yeux.Deux passages par Paris. Le bref aperçu d’une journée à Grenade dans l’éblouissement de la lumière perlée. Deux autres journées à Bayreuth dans l’aube de la célébration de la Réunification allemande. Une semaine entière coulée entre les ultimes paysages de la Slovénie à la frontière hongroise et les douceurs de la capitale slovène. Autant d’interventions, de présentations, de rencontres. Et une semaine pour se remettre ; se poser.

De tous les espaces traversés depuis fin août, j’ai peu dit. Je n’ai rien écrit. Je crois que c’était surtout par fatigue ou lassitude. On n’imagine que difficilement les phrases appropriées quand les milliers de kilomètres s’accumulent. Il faudra plutôt faire confiance à la mémoire et aux quelques photographies qui ont fait effraction, ici et là, pour y venir. J’ai pris, mécaniquement, des clichés de l’enfilade bleue des allées de TGV, de l’attente alanguie des salles d’aéroport de Francfort, d’Orly ou de Madrid, des passages surpris de quelques survivants nocturnes sur les quais des gares et des énervements dans les grands halls des gares de Milan, de Satolas ou de Paris.

Et j’ai lu. Beaucoup. C’est de cette lecture là que ma force est venue.

Alors je ne dois pas être surpris si j’en reviens aux rues de mon village pour parler de l’actualité de l’Europe, avant toute autre actualité plus ancienne. Comme si j’avais besoin d’une stabilité un peu froide, dans les brouillards de l’Ardenne, mais ouverte sur le monde.

Il y a exactement deux semaines, dans une Allemagne en congés, j’ai appris sur un écran d’i-phone que les Irlandais s’étaient exprimés pour que le Traité de Lisbonne devienne une réalité, chez eux aussi. Après un terrible vendredi 13 juin 2008, lendemain à gueule de bois devenu symbole d’une incompréhension réciproque, est venu un vendredi 2 octobre où le même peuple, interrogé une seconde fois sur la même question – n’auraient-ils rien compris à la première – a posé largementle oui en tête.

On me dit qu’il s’agit là de la marche normale d’un continent dont les responsables communautaires doivent accepter que chaque groupe dirigeant prenne le temps, avec les électeurs qu’il représente, de l’appropriation démocratique d’un geste de partage élargi à une construction politique où la décision semble s’éloigner d’eux. 

Je m’efforce, on le comprend, d’employer des mots qui auraient leur sens dans un continent où le pouvoir politique ne serait pas lui-même troublé par le peu de prise qu’il possède sur l’économie du monde, sinon dans la communication d’images sur papier glacé. Et on ajoute que le retournement de tendance est largement dû à la crise économique. J’ai beaucoup de mal, dois-je l’avouer avec les paradoxes, surtout lorsqu’ils reposent sur un tel cynisme.

Et pourtant, je reste optimiste sur le destin commun d’un message de paix. C’est dire combien toutes ces années à travailler chaque jour avec d’autres Européens m’ont fait toucher de près, parfois comme s’il s’agissait d’une forme du bonheur, des suites de hasards et de nécessités !

Je dois avouer que je ne connais pas l’Irlande. Sinon sur papier glacé justement. Ma seule source de compréhension, mais elle n’est pas mince, vient des responsables du National Trust irlandais qui m’ont fait connaître l’expérience de la restauration des grands parcs historiques « anglais » dont les Irlandais ont dû reprendre l’héritage malgré la mémoire difficile du pouvoir évanoui de maîtres, vécus comme des colons. 

La manière positive dont un pays, voire une communauté prend en compte sa responsabilité envers un patrimoine européen fondé sur la discorde, est pour moi un indice plus important que le pourcentage des oui et des non dans un référendum. Merci à John Ducie qui m’a fait connaître ce travail de mémoire réappropriée.

Mais je connaissais encore moins les personnalités politiques de ce pays jusqu’à ce que je découvre, il y a huit jours, que le Grand-duché accueillerait la Présidente irlandaise Mary McAleese et qu’elle consacrerait même une matinée à mon village d’Echternach.

Bien entendu, après douze années passées ici, je sais que les rapports entre le Luxembourg et l’Irlande sont d’abord ceux de l’évangélisation. Deux pays catholiques célèbrent ainsi régulièrement l’arrivée de Willibrord, enterré depuis le début du huitième siècle dans la crypte de l’abbaye qui lui est dédiée, ayant donné lieu à un pèlerinage et à la procession dansante. Né en Angleterre, aguerri dans sa Foi en Irlande, il laisse autant de souvenirs à Utrecht que dans mon village où le curé doyencélèbre chaque année le Saint, en précédant les processionnaires, avec un « Heiliger Willibrord » décisif.

J’ai refusé les fastes de la Cour Grand-ducale où j’étais pourtant invité, pour prendre du plaisir à voir une petite ville bruire, dans la quasi-absence de ses habitants – un mercredi en fin de matinée – les cérémonies de l’accueil et de la visite. Ce sont donc surtout des enfants, des enseignants et des vieillards qui ont peuplé les alentours de la Denzelt - l’ancienne mairie. Le couple irlandais – le discours de la présidente commence (il est vrai étrangement pour nous) par un « Martin and I » qui fait étrangement écho au « Carla et moi » du président français - était accompagné d’un couple luxembourgeois formé par le Grand-duc Henri et son fils héritier Guillaume.

On me pardonnera j’espère cette image d’opérette à laquelle je me suis prêté de bonne grâce, mais il y a toujours une sorte de caractère idyllique dans les cortèges de la Cour ici au Luxembourg.

Après avoir mis ses pas dans les traces historiques du moine irlandais, la Présidente est immédiatement revenue dans les locaux de l’Abbaye où je travaille pour échanger avec le Premier Ministre luxembourgeois des discours sur l’avenir de l’Europe. J’aime aussi que cet échange là, qui va au-delà du formel, ait eu lieu là même où la Roumanie et la Bulgarie ont signé le Traité d’adhésion à l’Union Européenne.

D’un air tout de même un peu convenu, au-delà du soulagement, Jean-Claude Juncker a parlé de la reprise des relations amoureuses entre l’Irlande et l’Europe.

Longuement, en prenant tout son temps, la Présidente est repartie du septième siècle, tout en recherchant les mots qui expriment au mieux la manière dont un pays peut hésiter ; et qui savent mettre en perspective les raisons profondes de cette hésitation.

« Ireland was not there at its creation », dit-elle en revenant sur le berceau de l’Europe. Tout en ajoutant : « Our long, unhappy relationship with our colonial neighbour, Britain and our violent, lone struggle for independence, had led to a certain introspection and distraction. However a recent book by Michael Geary called “An inconvenient Wait”, tells of those in Ireland who clearly saw the potential of this new European organisation, and who were dismayed that extraneous factors, not least the relationship between France and Britain, could delay its realisation. Ireland became strongly convinced of the moral, political and social integrity of the European Community and it was a predecessor of mine, Patrick Hillery who, as Irish Foreign Minister, came to Luxembourg in 1970 to present our case for a membership.”

Evoquant la période de prospérité qui caractérise le sort des deux pays depuis leur adhésion – à des échelles bien entendu différentes – elle se félicite du fait que le travail avec d’autres – d’autres cultures et d’autres modes de pensées – n’ait pas été pour rien dans le Règlement du conflit Nord-Irlandais.

Je voudrais inviter à la lecture intégrale de ce discours qui laisse entendre que cette juriste apprécie autant la liberté personnelle que l’équité : « It is important that when we vote that it is our voice and not a borrowed voice or a complacent voice that we are using; that it is a well-informed and educated voice which is capable of distinguishing the wheat from the chaff.”

Je sais que les journalistes lui ont malicieusement posé la question de l’avenir de Jean-Claude Juncker à la Présidence de l’Europe. Là encore elle a répondu avec équité et prudence, car elle sait que sa propre candidature serait certainement l’une des mieux venues.

Ainsi à Neumünster, après le vote positif de son pays, une femme a sans doute symboliquement déclaré son souhait de guider l’Europe, dans un proche avenir ! Et cette femme là a utilisé les mots d’intégrité morale, politique et sociale dans la construction de l’Europe.

Suis-je distrait, ou bien ces mots me semblent en partie inédits depuis les années d’après guerre ? Ont-ils été employés dans ce contexte récemment avec cette pertinence par d’autres chefs d’états ou de gouvernements en Europe ?

La Présidente Mary McAleese et son mari, le docteur Martin McAleese - le Grand-duc Henri et son fils le Prince Guillaume deevant la Mairie d’Echternach  .  


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