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Lean Manufacturing

Publié le 19 octobre 2009 par Christophefaurie

Un précédent billet disait qu’il allait falloir redécouvrir le lean manufacturing (Crise occidentale : raisons structurelles). Voici un livre sur la question : BELT, Bill, Les Basiques de la gestion industrielle et logistique, Eyrolles, 2008.

Lean Manufacturing

crédit illustration: Amazon

Livre très court, très simple, très bien écrit, qui prend l’orientation originale de définir les 5 principes fondamentaux du lean manufacturing sans s’appesantir sur les techniques pratiques qu’il peut utiliser (par exemple Kanban, temps Takt…). L’idée est probablement d’apporter l’essentiel au lecteur et de lui donner envie d’approfondir par ses propres moyens.

Ce que je n’attendais pas, c’est que le lean n’est pas qu’une technique, c’est la pensée (économique ?) occidentale sans dessus dessous.

Le client est roi

Caractéristique évidente du lean, c’est une philosophie « orientée client ». Tout le système a pour but d’être au plus près de la demande finale pour lui répondre immédiatement. Pour cela, il repose sur une très intelligente tactique modulaire, qui permet un assemblage d’une infinité de variantes en dernière minute, ou presque. Par contraste, l’approche occidentale conçoit des années avant la mise sur le marché, produit en grande série, puis oriente le marché vers ses produits par la publicité. Le grand avantage du lean est qu’il nous évite le lavage de cerveau.

L’union fait la force

Mais il y a beaucoup plus fort. Le principe occidental est « diviser pour régner » : les fournisseurs sont mis en concurrence parfaite pour en tirer le maximum, c’est la loi de l’offre et de la demande. Dans le lean, c’est « l’union fait la force ». Les entreprises constituent une « chaîne logistique » solidaire, qui va du fournisseur du fournisseur au client du client (en fait, si tout le monde applique le principe, toute la société appartient à la même chaîne logistique). Les activités sont alors placées dans cette chaîne au meilleur endroit pour l’ensemble. En optimisant l'intérêt global des membres de la chaîne logistique, on évite le « dilemme du prisonnier » occidental, ce qui, finalement, profite à chacun.

Élimination de l’incertitude

Autre avantage, la demande devient quasi prévisible. D’où l’importance, en lean, de la notion de « demande dépendante » (que l’on peut prévoir). Ce qu’améliore encore le concept de « famille », sur laquelle se font toutes les prévisions (la décomposition en produits réels ayant lieu en « dernière minute » - cf. plus haut). De ce fait, des prévisions à 18 mois sont possibles et relativement fiables, alors qu’il est courant, avec nos techniques, que l’on ne puisse pas prévoir à plus d’un jour. Paradoxalement, cette prévisibilité vient de ce que le dispositif lean est flexible et adaptable, qu'il absorbe l'incertitude. De plus, pas d’incertitude = pas de stocks. Nouveau bénéfice économique.

Le système de coûts qu’exige le développement durable ?

Ce n’est pas tout. Le système de coûts lean est l’antithèse du nôtre. Pour le lean tout ce qui n’apporte pas de la valeur est inadmissible. Ce qui revient à dire que le travail de tout homme a le même coût (pas de low cost country), que le coût de l’énergie est infini (pas de transport, qui n’apporte rien)… D’une certaine façon c’est ce vers quoi tend notre système de coûts : épuisement des ressources, uniformisation des salaires. En fait, le lean n'a pas réellement un système de coûts (on ne calcule pas), mais compare différents processus de fabrication, et retient celui qui gaspille le moins. Ensuite, ce processus s’améliore en permanence grâce au savoir de celui qui est au plus proche de l’action.

Je crois que, de ce fait, l’organisation profite de la capacité d’apprentissage du groupe humain, qui donne des gains de productivité colossaux. Ce qui est impossible avec l’hyper-automatisation de la production de masse : la machine n’apprend pas.

Au fond tout notre système occidental joue sur les défaillances d'un calcul de « valeur » basé sur l’offre et la demande (d’où le fait qu’un Chinois « vaille » moins qu’un Américain, ou que le coût de la pollution est nul), pour gaspiller les ressources naturelles et enrichir les parasites qui savent le mieux en tirer parti (en termes économiques américains « arbitragers » ou, en français, « capitalistes »). Le système lean est probablement ce que demande le développement durable de l’espèce humaine.

Un système imperméable à l’innovation de rupture ?

Reste une question. Pourquoi les Japonais, inventeurs du lean, ne dominent-ils pas le monde ? Pour Paul Krugman leur faiblesse était qu’ils n’arrivaient pas à gagner en productivité. La seule explication que j’ai trouvée à cela est : la machine. Il est possible que les Japonais n’aient pas suffisamment pensé en termes de machines capables de révolutionner un processus. Ils sont dans l’amélioration incrémentale, alors que l’Occident cherche la rupture. Leurs améliorations viennent de l’intérieur de l’organisation, alors qu’une telle machine ne peut venir que de l’extérieur. C’est la destruction créatrice.

Les deux approches ne sont pas incompatibles, mais difficiles à faire cohabiter. L’entrée d’une machine révolutionnaire dans un dispositif lean n’est qu’une question de conduite du changement classique ; une fois reconçu, le processus bénéficiera de tous les bénéfices du lean. Par contre, l’organisation lean n’est pas naturellement demandeuse d’innovation de rupture, c'est un terrain défavorable à l'entrepreneur.

Compléments :

  • KRUGMAN, Paul, The Return of Depression Economics, Princeton 1999.

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