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Le fichage politique discret de Sarkofrance

Publié le 19 octobre 2009 par Juan

Le fichage politique discret de Sarkofrance.
Le ministre de l'Intérieur avait de quoi être satisfait. De violentes émeutes, il y a une semaine jours à Poitiers, en marge d'une manifestation contre la situation carcérale, lui ont donné l'occasion de jouer la carte forte. Il dénonça l'ultra-gauche, cette menace mythique de Sarkofrance, agitée par le gouvernement depuis l'arrestation de la "bande de Tarnac". La voici à l'oeuvre.
A Poitiers, erreurs judiciaires ?
Sur place, le ministre pouvait tenter de faire oublier la polémique sur le "fils à papa". A Poitiers, une grosse centaine de personnes, masquées et cagoulées, ont brisé une vingtaine de vitrines, des abribus, des cabines téléphoniques en plain centre-ville. Hortefeux s'est rendu sur les lieux. Il a demandé à la police de «recenser les squats qui sont susceptibles d'accueillir ces militants d'ultragauche». Huit personnes avaient été arrêtées. Qui sont-elles ? Jugées en comparution immédiates, elles ont écopées de prison ferme. Le parquet a fait appel de 4 décisions, insatisfait de la "légèreté" des peines prononcées. Deux des arrêtés clament leur innocence :

"Durant le procès, quatre témoins attestent de la non-participation de Samuel et Jean-Salvy aux événements. On montre même une photo prise dans la manifestation sur laquelle on les voit regarder de loin les affrontements. Mais ces preuves ne suffisent pas face à la déclaration d’un officier assermenté… Ils sont déclarés coupables et condamnés à 6 mois de prison dont 5 avec sursis."

Samedi, une marche silencieuse de 700 à 1000 personnes s'était déroulée en protestation contre ces arrestations. Le collectif qui organisait la manifestation de Poitiers a rappelé, s'il le fallait, ses motivations. A l'origine, il avait organisé une journée de débats, de marches et de concerts "festifs", sur la situation carcérale, à l'occasion d'un déplacement de prisonniers entre deux établissements.
Les fichiers de Brice
Dimanche 18 octobre, le Journal Officiel publiait deux décrets, prévoyant la création de deux fichiers de police, le décret n° 2009-1249 du 16 octobre 2009 portant création d'un traitement de données à caractère personnel relatif à la prévention des atteintes à la sécurité publique", l'autre, le décret n° 2009-1250 du 16 octobre 2009 "portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel relatif aux enquêtes administratives liées à la sécurité publique". L'un vise les "les bandes, les hooligans et les groupuscules", l'autre les fonctionnaires de fonctions sensibles, a précisé à la presse le ministère de l'intérieur. Le même ministère a également ajouté que leur accès serait "limité, contrôlé et archivé". Qu'y trouve-t-on ?
Dans le premier,

1- Motif de l’enregistrement;
2- Informations ayant trait à l’état civil, à la nationalité et à la profession, adresses physiques, numéros de téléphone et adresses électroniques;
3- Signes physiques particuliers et objectifs, photographies;
4- Titres d’identité;
5- Immatriculation des véhicules;
6- Informations patrimoniales;
7- Activités publiques, comportement et déplacements;
8- Agissements susceptibles de recevoir une qualification pénale;
9- Personnes entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec l’intéressé.


Par dérogation au I de l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978, ce fichier que l'on appelera "Brice 1", pourra archiver des informations habituellement interdites de fichage en France : "des signes physiques particuliers et objectifs comme éléments de signalement des personnes" (c'est-à-dire, parexemple, la couleur de peau), "l’origine géographique", et, last but not least, les "activités politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales". Ensemble, tout est possible. Plutôt que de ficher les "suspects" sur la base d'actions répréhensibles qu'on leur reprocherait, on pourra donc ficher des "suspects" sur la base de leurs opinions politiques. Unique précaution, le décret prévoit que ces trois informations ne pourront faire l'objet de tri sélectif individuel ("Il est interdit de sélectionner dans le traitement une catégorie particulière de personnes à partir de ces seules données"). Notons que l'origine géographique qu'il est prévu de ficher n'est pas le lieu de naissance ni la nationalité, mais bien l'origine familiale.
Toutes ces informations pourront être conservées 10 ans "après l’intervention du dernier événement de nature à faire apparaître un risque d’atteinte à la sécurité publique ayant donné lieu à un enregistrement." (article 4)
Les mineurs de 13 à 18 ans pourront être fichés, et leurs données conservées au moins 3 ans (article 5).
Le second fichier, intitulé "Enquêtes administratives liées à la sécurité publique," vise à archiver les données d'enquêtes administratives. Là encore, le décret élargit les facultés de fichage habituellement autorisées en France: "l’enregistrement de données, contenues dans un rapport d’enquête, relatives à un comportement incompatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées est autorisé alors même que ce comportement aurait une motivation politique, religieuse, philosophique ou syndicale." (article 3). La police pourra même conserver des informations relatives au passé adolescent d'un fonctionnaire, puisque ce nouveau fichier sera ouvert aux données relatives aux mineurs de 16 ans au moins.
En d'autres termes, le gouvernement a profité d'un fait divers et d'un dimanche d'octobre pour faire régulariser un fichier qui, il y a un an, faisait polémique sous le nom d'EDVIGE;
Bienvenue en Sarkofrance.


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