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La Re-Production cinématographique.

Publié le 19 octobre 2009 par Collectifnrv

 Au grand soulagement de certains, je vous gratifierai d’un billet plutôt court, presque laconique, comparativement à mes logorrhées habituelles. Je dispose en effet pour l’illustrer d’une assez jolie « leçon de chose » qui me semble plus convaincante que la plus affûtée des rhétoriques. Naturellement ces belles images (et quelques frais minois qui feront regretter aux a-mateurs de n’être pas venus ce soir là) ne suffisent pas absolument à elles seules. Mais elles remplacent avantageusement les longues chaînes de raisons qu’autrement j’aurai sans doute jugé nécessaire de dérouler à l’appui de ma thèse.

Le débat qui suit met en scène une série d’artistes, artisans-techniciens de l’image, comédiens, d’âges et de générations diverses qui ont cru un moment possible de faire -aujourd’hui- du cinéma « autrement ». C’est à dire autrement que selon les normes et modèles industriels prévalant dans le domaine de la production cinématographique, en France. Des processus modélisés déterminant pour l’essentiel les produits « culturels » que sont devenus les films, eux-mêmes rigoureusement déterminés par le mode de consommation des produits ainsi normalisés.
Nous allons voir tout ce processus de re-production cinématographique à l’œuvre , au travers d’une démonstration de « cinématographie négative » analogue à celles que peut fournir la théologie négative et dont la conclusion est donc, sur ce même principe , l’expression de ce que n’est pas le «cinéma en tant que (7ème) art », seule approche possible de ce qui semble désormais devenu insaisissable « positivement » : l’expression artistique cinématographique, et partant de ce que nous en connaissons « actuellement » : le cinéma en tant que consommation normalisée de productions industrielles « optimisées » par le marché.

Ce qu’illustre donc ces témoignages, pas franchement « glamour » mais absolument sincères et authentiques, c’est ceci :

Consommer des films comme des hamburgers, « du cinéma » comme on le fait de la production d’un « fast-food » ou de l’avatar « franchisé » d’une « chaîne » quelconque de « salles » ( de cinéma ou de restaurant), en choisissant un menu ou un item dans une carte ( de menu ou de cinéma), voilà bien le statut actuel du « spectateur », voilà comment se manifeste sa … liberté.Cette « liberté » se résume factuellement à un choix parmi une série d’options pré-définies (et uniformément reproduites et répétées dans les différentes « salles »). Des options si peu diverses qu’il aura vite fait de toutes connaître, et donc re-connaître. Outre qu’elle permet de simplifier et « optimiser » la production par une sorte de répartition fordiste des tâches et des agents qui les ont en charge, et peuvent ainsi s’appuyer sur des modèles à reproduire « en série », cette re-connaissance est nécessaire à l’économie générale, car elle conditionne l’illusion de « liberté » que le spectateur induit du fait qu’il « a le choix ».
D’autre part cette « liberté » est inscrite dans un dispositif remarquable de rigueur re-productive, puisque l’accès à ce choix est offert au sujet/spectateur par une « carte » l’invitant à normaliser sa « fréquentation » ( d’un réseau de « salles ») , et complétée par la liberté de choix homologue que lui procurera plus tard, dans l’intimité du foyer, la possibilité de « zapper » face à son écran de télévision (comme on a vu pour un choix à peu près identique puisque ce sont les pourvoyeurs de ces mêmes écrans qui surdéterminent pour l’essentiel le stade initial de la re-production des films qui y sont repris).

Le « primat de la liberté » fonde l’essence libérale du capitalisme, et dans cette acception la simple posture formelle du choix est « nécessaire et suffisante ». Ce qui compte c’est que ce choix est réputé « libre » . On voit bien cependant, au travers de notre petite « leçon de chose » vidéo que cette logique et la pratique qui s’en suit procèdent d’une réduction telle de l’exercice de la volonté autonome du spectateur qu’elle aboutit en réalité à nier purement et simplement la liberté comprise comme manifestation de l’autonomie du « sujet libre ».

On observera à titre de conclusion ( eh oui c’est déjà fini) que, pour que tout ça fonctionne, deux orientations sont absolument à proscrire, par ce qu’elles nuiraient intrinsèquement à cette « économie du divertissement » ( de « l’amusement » comme disait Debord) :
1) Le particularisme des œuvres , les rendant par nature non modélisables, donc non re-productibles . Par ce qu’il déboucherait virtuellement sur une « carte infinie » autrement dit la possibilité de choix indéterminés parmi une diversité indéterminée de possibles, parmi lesquels on ne va pas seulement re-connaître (du « déjà vu »), mais connaître , c’est à dire ajouter à sa connaissance propre, à soi. Ce qui n’est absolument pas l’objet de cette économie de la re-production / consommation.

2) A cette récusation de l’autonomie individuelle des œuvres, donc des objets on va , symétriquement, par le même mécanisme de « qcm culturel », ajouter une autre récusation : celle de l’autonomie du sujet. Le choix comme figure de la « liberté », n’est « modélisable » qu’au prix de la limitation drastique de ses « possibles » :

j’ai plusieurs options (deux suffisent pour échapper au « totalitarisme ») , cela fait de moi un sujet libre, telle est la maxime libérale *.

Une réduction drastique mais qui permet d’affranchir l’économie qui organise ces types de rapports sociaux « libéraux » de la contradiction que produirait une véritable volonté autonome du spectateur, autrement dit de l’émancipation du spectateur.
Le « libre choix » du spectateur, sujet de la société du spectacle, est tout sauf une émancipation, c’est à dire tout sauf l’exercice autonome de sa volonté, émancipée par la construction d’un goût propre et autonome, informant son jugement.
Paraphrasant ce bon Karl sur la dialectique entre liberté et émancipation, on peut constater que :
Ils ont reçu la liberté d’usage de leur « multicarte », ils n’ont pas été émancipés du marché de la soupe (ou du hamburger) culturelle.
Et voilà, mon cher Albin, pourquoi le Cinéma français est nul, désormais… Alors…devons nous aller à la soupe ? Ou essayer de « vivre »…un peu. 

* on notera au passage que ce dispositif est exactement le même que dans le système économico-politique libéral de la « démocratie » dans sa variante représentative : « capitalo-parlementariste ». L’essentiel pour que le modèle représentatif « tienne » c’est que le sujet/spectateur qui vote ait le sentiment qu’il ait un choix. Les objets possibles constitutifs de ce choix étant , dans la perspective de la représentation politique, engendrés selon des procédures de re-production parfaitement analogues à celles que nous venons d’évoquer dans le domaine du cinéma, avec des modalités et des résultats largement comparables.

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Urbain


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