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Josef van Ess "Prémices de la théologie musulmane"

Publié le 21 octobre 2007 par Vincent

a01371ecf0420679d4323823ea13f573.jpgVoilà un livre qui sera lu par très peu de gens, une élite qui pour des raisons diverses ont des connaissances en théologie (kalam),   droit/jurisprudence  (fiqh) et qui sont ouvertes à une approche historique, bien éloignée de cette approche dogmatique voulant que l'islam, c'est une tradition n'ayant subi aucune altération de sa fondation à nos jours. Autant dire une poignée de musulmans éclairés et surtout des intellectuels connaissant l'arabe. Très très peu.

Et pourtant ce livre est en français la seule porte accessible à l'immense ouvrage (uniquement disponible en allemand) de van Ess: Théologie et société au 2ème et 3ème siècle (par rapport à l'hégire s'entend, l'ouvrage comporte six tomes). L'objectif de ce savant est de démontrer que le droit l'a emporté successivement sur la théologie et la philosophie en terre d'islam. En termes clairs, si aujourd'hui, c'est la loi (shari'a) qui préoccupe le croyant et non la réflexion sur les mystères du Coran, c'est loin d'être un simple hasard. Les excès des extrémistes d'aujourd'hui (et d'hier d'ailleurs) ont leur source dans ce tournant du 8ème/9ème siècle qui a vu des générations de juristes se succéder et l'emporter sur des gens plus portés sur la réflexion théologique ou philosophique.

On ne dira jamais trop à quel point la loi marque de son empreinte le monde musulman, s'étendant jusqu'aux non pratiquants. Tout le monde connaît ou a entendu parlé de quelqu'un qui n'accomplit pas ses cinq prières par jour tout en s'abstenant de porc et en faisant le ramadan chaque année. Au fond, tout croyant a peur de déplaire à Dieu et à défaut de pratiquer l'intégralité la loi musulmane, il en accomplit au moins une partie. Rien de tel dans le christianisme où on imagine avec peine quelqu'un faire le carême sans aller à l'Eglise ou avoir un investissement religieux. Mais dans l'islam, la loi est incontournable et, ne le nions pas, très contraignante, régissant jusqu'au pied (gauche) avec lequel on entre dans les toilettes. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles certains abandonnent partiellement voire totalement sa pratique.

L'intérêt du livre de van Ess est, grâce à un travail rigoureux sur les bribes des textes qui nous restent, d'avoir reconstitué tout l'arrière-plan politique qui est à l'origine de cette "orthopraxie" (néologisme qui désigne ici le bon comportement que le musulman doit avoir), de ce légalisme à outrance.

On apprend ainsi que le sunnisme qui fonde sa loi sur les traditions orales rapportées par le prophète Muhammad (la sunna) ne s'est pas fait en un jour. Au contraire, on considérait au début que toutes ces traditions orales (les hadith)  risquaient de n'apporter que chaos à la révélation. Quant on voit le poids démesuré que l'on accorde à cette sunna aujourd'hui, on en est tout étonné. Cela est valable de bien d'autres outils juridiques comme l'ijma' (consensus de la communauté sur une question pratique) qui était défendu par des personnes que l'on considérera comme hérétiques par la suite ou encore le qiyas (raisonnement par analogie) très controversé à l'origine (et même après). Le politiquement correct a rétrospectivement béni les quatre premiers califes qu'on a considéré comme bien guidés (on a pu les considérer comme des piliers de la tradition et donc comme étant prescripteurs de hadith et de règles) alors que leurs querelles peu reluisantes auraient dû amener plus de distance à leur égard. D'ailleurs au début, van Ess note un flottement sur le nombre de ces bien guidés: 3 ou 4. Plus on avance dans le temps, plus on considère le passé comme un âge d'or. C'est très classique.

L'auteur le rappelle, son intention n'est pas de nier le contenu de la foi musulmane mais bien son légalisme qui se présente aujourd'hui comme une révélation incontournable à laquelle tout croyant doit se soumettre. Et sur ce légalisme, force est de reconnaître que tout cela n'est qu'une banale histoire de pouvoir fort éloigné du mystère religieux. Rien d'étonnant au fond mais encore fallait-il le démontrer. C'est chose faite.


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