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Le coffre magique

Publié le 21 octobre 2009 par Feuilly

C’est toujours après le déjeuner que nous montions au grenier. Forcément, il fallait pour cela profiter de la sieste de grand-mère. Nous la regardions ranger ses casseroles et faire sa vaisselle et il nous était bien difficile de ne pas nous montrer trop impatients. Il le fallait cependant, sinon nous courions le risque d’attirer son attention et d’éveiller ses soupçons. Nous nous installions donc tranquillement à la table de la cuisine avec nos crayons et quelques feuilles et nous commencions de beaux dessins représentant des couchers de soleil ou des îles tropicales. Quand elle avait fini de tout ranger, elle s’essuyait les mains et venait contempler nos chefs-d’œuvre. Ravie de nous trouver aussi calmes, elle s’asseyait ensuite dans son vieux fauteuil, celui qui avait échappé à toutes les guerres et elle ne tardait pas à s’endormir. Alors, il fallait bien écouter ses ronflements, ce qui était tout un art dans lequel seul mon cousin était passé maître. Si les ronflements étaient trop bruyants, il fallait se méfier car l’ancêtre finissait par ouvrir un oeil, réveillée elle-même par la cacophonie qu’elle déclenchait. Par contre, si sa respiration était régulière et que seul un petit sifflement sortait de ses lèvres, nous pouvions y aller. On se regardait sans rien dire et au signal du plus âgé nous quittions sans bruit notre place, laissant épars sur la table les crayons de couleur et nos dessins inachevés. Une fois dans le corridor, c’était le signal de la débandade. Il s’agissait d’arriver le premier au grenier afin de s’emparer de la grosse clef cachée dans une anfractuosité, derrière une plinthe du palier. Celui qui parvenait à la saisir et à la brandir aux yeux de tous devenait le chef de l’expédition, le capitaine des pirates, le général en chef d’une armée pourtant bien hétéroclite mais dont l’enthousiasme suffisait à assurer la cohésion.

Quel plaisir d’entendre la lourde clef métallique s’introduire dans la serrure, puis déclencher des bruits et des grincements stridents ! C’était une vraie lutte la-dedans, on sentait que cela résistait, que cela ne voulait pas céder, qu’il y avait mille obstacles et mille empêchements. Angoissés, nous attendions tous avec impatience le « crac » final, sec comme un coup de tonnerre, qui allait signifier que la serrure avait finalement capitulé et qu’une fois de plus nous avions remporté une grande victoire. Quand cela arrivait, une salve d’applaudissements saluait cet exploit, vite contenu cependant par le souvenir de la grand-mère qui, au rez-de-chaussée, risquait de percevoir dans son sommeil notre joie bruyante et plus qu’exubérante.

Alors, un grand silence se faisait, comme à l’église quand le prêtre levait l’hostie. Tous les regards étaient tournés vers le capitaine du jour qui, conscient de son importance, faisait un peu durer le plaisir. Puis, précautionneusement, quasi religieusement, il tournait la poignée de la porte, qui grinçait juste un peu avant de s’ouvrir sur le paradis. Tassés sur le seuil, nous étions à la limite de deux mondes et nous savions qu’en avançant d’un pas nous allions pénétrer dans un autre univers, une autre galaxie, un autre temps. Fascination de la limite à franchir, de l’interdit à transgresser.

Une fois donc passé ce seuil, nous pénétrions dans le grenier en file indienne, l’œil aux aguets, comme si nous nous étions aventurés en terre étrangère. Nous passions sans nous attarder devant de vieux meubles jamais ouverts, des chaises dépareillées, des boîtes en carton éventrées qui laissaient s’échapper des vêtements d’un autre âge. Plus loin, s’alignaient un vieux fauteuil et un canapé aux ressorts troués, un massacre de cerf, une garde-robe en pièces détachées, des cadres représentant un coucher de soleil sur la mer ou des automnes flamboyants. Il y avait aussi, dans un des coins, un landau poussiéreux et sans roues, deux lits d’enfant (lequel d’entre nous avait bien pu y dormir ? Aucun sans doute, tout cela devait remonter à des âges reculés), une roue de vélo rouillée où il manquait des rayons, et un vieux matelas qui avait dû servir de repère à plusieurs familles de souris.

Mais rien de tout cela ne nous intéressait et nous poursuivions notre progression en faisant attention de ne pas nous cogner la tête aux poutres trop basses. Parfois, un cri contenu était le signe que l’un d’entre nous venait, bien malgré lui, de se prendre le visage dans une toile d’araignée. La règle était de minimiser son émotion au maximum afin de ne pas provoquer les moqueries du reste de la troupe. Pourtant, au fond de nous, chacun plaignait l’innocente victime car les araignées, ici, avaient une taille inhabituelle, due sans doute à leur âge canonique. Personne n’avait donc envie de se retrouver avec un de ces monstres velus dans les cheveux ou pire encore sur le nez ou les lèvres. Certaines de ces bestioles, mortes et desséchées comme des momies, flottaient d’ailleurs depuis des siècles dans des toiles poussiéreuses que des vents inconnus agitaient doucement devant nos regards incrédules. Il n’y avait qu’à voir la taille de ces cadavres presque réduits en poussières pour imaginer facilement la vigueur que devaient avoir leurs descendants dans la force de l’âge. Mieux valait ne pas trop y songer.

(à suivre)

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