Magazine France

Pleine poitrine

Publié le 21 octobre 2007 par Philippe Thomas

Poésie du samedi, 92

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Ils sont appuyés contre le ciel
Ils sont une trentaine appuyés contre le ciel
Avec toute la vie derrière eux
Ils sont pleins d’étonnement pour leur épaule
Qui est un monument d’amour
Ils n’ont pas de recommandations à se faire
Parce qu’ils ne se quitteront jamais plus
L’un d’eux pense à un petit village
Où il allait à l’école
Un autre est assis à sa table
Et ses amis tiennent ses mains
Ils ne sont déjà plus du pays dont ils rêvent
Ils sont bien au-dessus de ces hommes
Qui les regardent mourir
Il y a entre eux la différence du martyre
Parce que le vent est passé là où ils chantent
Et leur seul regret est que ceux
Qui vont les tuer n’entendent pas
Le bruit énorme des paroles
Ils sont exacts au rendez-vous
Ils sont même en avance sur les autres
Pourtant ils disent qu’ils ne sont pas des apôtres
Et que tout est simple
Et que la mort surtout est une chose simple
Puisque toute liberté se survit.

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René-Guy Cadou (1920 - 1951), Pleine Poitrine 1946, Seghers réédité dans Poésie la vie entière, Seghers 2002.

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Que Nicolas Sarkozy veuille que soit lue aux potaches la lettre de Guy Môquet, je trouve ça très bien. Ca peut faire réfléchir. Que des enseignants préfèrent utiliser d’autres moyens que cette lettre pour parvenir aux mêmes fins, pourquoi pas. Que certains crient à la « récupération », là je dis non. C’est pas parce qu’un adversaire politique a une bonne initiative qu’elle est condamnable, du fait qu’elle émane de cet adversaire-là !

Il est vrai que cette décision est celle d’un homme seul, mais d’un homme auquel son statut de président de la République confère l’autorité pour l’imposer. Je ne doute pas non plus de la sincérité de l’émotion manifestée par Sarkozy tout juste élu en entendant la lecture de cette lettre. Et donc il est plutôt  bien qu’un président de la République, un homme incarnant la nation, veuille faire de cette lettre un moment collectif et universel de mémoire et de réflexion.

Guy Môquet n’est pas le martyr d’un camp – même si les fusillés de Chateaubriant l’ont été parce que résistants et communistes pour la plupart. Guy Môquet a écrit une lettre avec des mots simples et humains qui, au-delà de ses parents destinataires immédiats, suffisent à éveiller ce qu’il y a d’humain en nous tous au-delà des étiquettes et des apparences.

A la lettre de Guy Môquet, j’ajouterais bien si j’étais encore prof, le poème de René-Guy Cadou dont j’aime particulièrement la chute :

Pourtant ils disent qu’ils ne sont pas des apôtres
Et que tout est simple
Et que la mort surtout est une chose simple
Puisque toute liberté se survit.

Pendant l’Occupation, Cadou était instituteur près de Chateaubriant. Le hasard a voulu qu’ il croise, en rejoignant sa classe à vélo, la camionnette qui transportait ceux qui allaient devenir pour l’Histoire les « fusillés de Chateaubriant ». Pleine poitrine est ainsi l’écho tragique et beau de cette rencontre.

De la lecture qui sera faite ce lundi de la lettre de Guy Môquet, fusillé à 17 ans et demi, un potache parlant à d’autres potaches, naîtront des échanges, des prises de conscience, des réflexions diverses. Sur le sens de la vie, sur le sens de l’engagement, sur le sacrifice, sur le mal, sur l’Histoire, sur cette histoire-là, sur le sens des commémorations, etc… Les commentaires et débats, parfois âpres, qui ont déjà eu lieu prouvent que nul ne saurait rester indifférent. Et donc que là, Sarkozy a touché juste…

 


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