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Pourquoi la gauche est en déclin

Publié le 22 octobre 2009 par Argoul

Le dernier numéro de la revue ‘Le Débat’ (156, septembre-octobre 2009) offre 97 pages d’analyses politiques et autant sur la crise de l’université française. La question principale qu’il pose est : pourquoi y a-t-il déclin de la gauche occidentale ?

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L’Italien Raffaele Simone a écrit tout un livre sur ce déclin et son témoignage intellectuel, décalé par rapport aux perceptions trop françaises, pose la bonne question. Le vieux continent tout entier vire à droite, à de rares exceptions près : le concept de « gauche » a-t-il encore un sens politique ? « Certes, beaucoup des aspects du monde civilisé sont des conquêtes de la gauche (…) : les droits des travailleurs, la réduction du temps de travail, les congés payés, l’enseignement obligatoire, le suffrage universel étendu aux femmes et aux analphabètes, les droits politiques, les libertés fondamentales… » Mais cela, c’est le passé : qu’en est-il du présent ? – Rien. De l’avenir ? – Moins encore. La liste de ce qui ne s’est pas concrétisé (et qui est abandonné du discours politique de gauche) est « bien plus longue ». Si la « création de l’homme socialiste » est heureusement abandonnée aux radicaux ou aux « maniaques » nostalgiques, « n’ont été obtenus ni l’augmentation du niveau moyen d’instruction et de culture, ni le plein développement de la science et de la recherche (…) ni la diffusion d’une mentalité collective rationnelle, ni la création d’une large conscience civique et solidaire… » (etc.). Pourquoi ? L’auteur y voit plusieurs raisons :

· La répulsion du communisme appliqué sous forme de « socialisme » avancé dans les démocraties dites « populaires » : les gens aujourd’hui en retiennent surtout »la délation, la répression et la prison ».
· Les « mensonges effrontés produits sans retenue » par les dirigeants et intellectuels de gauche en Occident sur les régimes communistes (de Staline jusqu’à Castro et Pol Pot) – ce qui fait qu’on ne peut plus croire sérieusement aujourd’hui aux enthousiasmes d’un quelconque intellectuel estampillé de gauche.
· « L’attitude horripilante d’une partie de la gauche consistant à exhiber une ‘supériorité’ et une ‘différence’, convaincue qu’elle est de constituer une communauté radicalement ‘autre’ par rapport au reste du monde. » La prétention à la vérité, la vanité de se croire à l’avant-garde, la bonne conscience de se dire généreux avec les impôts des autres et dans les quartiers où l’on n’habite jamais.
· L’aveuglement face aux problèmes cruciaux de notre époque et la litanie des slogans en langue de bois d’hier faute de propositions positives. « La liste des problèmes que les deux générations de dirigeants de la gauche ne sont pas parvenus à percevoir donne des frissons : l’intégration européenne, l’unification allemande, l’immigration de masse, l’islamisme radical et le terrorisme qui lui est rattaché, la catastrophe écologique et démographique, la révolution numérique, la mondialisation, le réveil de la Chine et de l’Inde, les modes culturelles et politiques des jeunes… »
· Rajoutons, comme le montre l’analyse de la crise de l’université française, cette propension typiquement ‘de gauche’ à façonner sa propre poupée vaudou sur n’importe quel sujet pour le critiquer à loisir, sans même regarder la réalité des choses. Les mythes et fantasmes sur l’université américaine – forcément repoussoir - sont de cette eau.

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En face, la « droite nouvelle » a laissé son conservatisme réactionnaire et sa tentation fasciste autoritaire pour devenir moderne, très au fait des techniques de communication et de l’air du temps. Elle colle beaucoup mieux à l’opinion, y compris populaire, que la gauche traditionnelle. Expression du grand capital international et financier, cette culture diffuse « veut que le marché et la consommation soient l’unique vraie mission du monde moderne ». Volontiers populiste, elle cherche à hisser tout le monde au niveau de la bourgeoisie en la tenant par le divertissement. Ce n’est ni la culture, ni la science, ni la création artistique qui l’intéressent, mais la consommation et le fun (du pain et des jeux). Les profits de ce capitalisme du XXIe siècle ne sont plus fondés sur l’exploitation des travailleurs mais sur l’exploitation de la crédulité et de la paresse de la masse, « devenue captive en se laissant prendre dans une spirale dans laquelle s’entremêle la publicité, le produit, le marketing, les facilités de crédit, le désir de fun et de vacances, l’espoir de rester jeune pour toujours… »

Personne « n’a plus envie de ressembler à un ouvrier », la gauche européenne a délaissé les cols bleus au profit des classes moyennes salariées et fonctionnaires – « en somme des cols blancs ». Cet ensemble est fragile, de gauche par effort et instruction mais volontiers tenté par le centre droit par anti-étatisme, par les sujets tabous du catholicisme ou par le rejet du populisme de gauche trop révérant envers l’anti-américanisme (« ce socialisme des imbéciles » selon Jacques Julliard).

Les idéaux de gauche apparaîtraient-ils comme malthusiens et peine-à-jouir ? L’auteur le dit volontiers : « En effet, dans une époque de gaspillage, de consumérisme et de libérisme à outrance, ils apparaissent comme étant de nature restrictive, pénitentielle et misérabiliste. » Il s’agit de conserver les Zacquis (notamment fonctionnaires), de restreindre la consommation (pour motif écologique) et d’imposer l’épargne de tous (surtout des classes moyennes et populaires qui n’ont pas les moyens de s’exiler en Suisse ou en Belgique), de tout donner ôpludémuni (évidemment immigré, souvent clandestins, ou n’ayant pas travaillé à l’école)… Pas de quoi susciter l’adhésion du plus grand nombre qui ne se reconnaît pas dans cette image sociale ! La crise financière de 2007, puis économique jusqu’à l’année prochaine au moins, aurait pu recentrer les mentalités. Mais la droite a surfé habilement sur sa composante raisonnable et volontariste, héritée du bonapartisme ou du bismarckisme, pour reprendre à son compte l’image de l’Etat-protecteur et des valeurs de travail et d’épargne. Elle a ainsi coupé l’herbe sous le pied à la gauche, empêtrée dans ses slogans archaïques et ses querelles d’ego.

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Plus fondamentalement l’égalité, analysait Tocqueville, engendre un ‘monstre doux’, une gouvernance totale et persuasive qui vise à fixer irrévocablement les citoyens dans l’enfance d’un bonheur d’Etat dont ils sont dépendants. La « carnavalisation » de la vie (qui se manifeste par les innombrables ‘fêtes de’, nuits blanches, ‘journées du’, fiestas, raves, matchs de foot, grands prix, événements et festivals de toutes saisons) devient une obsession « même du point de vue des administrations ». Cette socialisation du divertissement engendre un « égoïsme joyeux » recentré sur soi d’abord, sa famille et ses amis, sa petite commune tranquille - bien loin des valeurs de solidarité responsable et de la citoyenneté traditionnellement de gauche… Le monde deviendrait donc « naturellement de droite », conclut Raffaele Simone.

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