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Le temps des confidents

Par Chroniqueur
Le temps des confidentsIl est venu le temps des confidents, de ces malheureux soupirants expirant aux pieds de la Reine de la nuit de nos vingt ans. L'attente aura été longue, mais elle n'aura pas été vaine: ils auront fini par être élus. Sensibles, ils avaient découvert chez la Belle ce qui ne périt pas et que le temps ne fane pas. Attentionnés, ils auront eu les égards et la patience nécessaires pour ne pas se faire oublier. Epris enfin et avant toute chose, ils auront nourri une flamme qui n'aura fait que s'accroître pour venir réchauffer le coeur de cette Inaccessible devenue femme. C'est de ce potentiel féminin dont ils sont devenus éperdument amoureux, de sa germinescence: botaniste de l'amour, il en ont pris soin, la protégeant, sans jamais l'étouffer, sans jamais l'importuner, recueillant ses plus précieuses confidences. Alors qu'elle consumait frénétiquement et sensuellement toute cette jeunesse qu'elle sentait s'échapper, eux cultivaient soigneusement ce qu'elle allait devenir. Prenant le contrepied de Ronsard, ils savaient qu'ils étaient les amants du temps d'après: elle n'aurait pas à le regretter, ils auraient tout à vivre plus tard. Ils savaient des choses d'elle qu'elle ne soupçonnait même pas. Précoce en âme, ils avaient vieilli trop vite. A cet instant ils n'étaient pas encore compatibles: ils boitaient leur joie et elle boudait sa singularité.
Heureusement pour eux - nous tenons à un dénouement heureux - quelque chose se mettra à trifouiller le coeur de cette ballerine des discothèques comme un manque, une insatisfaction, une obscure répétition qui bat, là, lui signifiant une solitude, une aspiration qui prendra son visage: le confident discret serait-il l'amant secrètement désiré? Il ne ressemble en rien aux bellâtres dont elle fut si souvent la victime - assez consentante, nous n'en doutons pas. Et puis elle en a marre de ces mecs qui s'évaporent avec l'aube, qui lui en font baver, ces heures pendues au téléphone pour tenter de raccrocher avec ce Jules parfaitement sain, c'est-à-dire programmé pour séduire à tout va, manière de Petit Larousse sur pattes, semeur de larmes. Marre d'être attiré par un grand vide - au début, elle avait pensé que c'était une stratégie toute masculine, avant de ce rendre compte qu'il n'y avait pas l'once d'une conscience, nada. Le règne des hommes-feu, tombeurs en série illimitée est fini. Les abdos en tablette de chocolat ne sont plus assez nourrissants. Elle a eu son quota de déconvenue. Elle a décidé de ne pas passer le restant de ces jours dans une discothèque.
La discothèque, ce lieu, où le confident n'avait aucune chance de la conquérir, étant frappé d'arthrose rythmique, n'ayant pas pu suivre les cours Dalcroze, et ayant comme seul atout son verbe recouvert par des centaines de décibels boumboumique ne lui laissant aucune chance d'articuler des mots qui n'auraient de toute manière eu aucun d'impact face à cet étalon, ce roi de la jungle, ce reproducteur transpirant, ce diffuseur de phéromones ambulant. Tandis que lui, lui, dans son Orient désert, se nourrissant de symphonies pour piano, de concerti pour violons et de littérature russe n'était absolument pas profilé pour survivre dans cet environnement myologique. Face au mâle succulent, il faisait figure d'avorton. D'ailleurs, cela devait se sentir vu que les videurs à l'entrée se faisaient un plaisir de le refouler. Ces grands connaisseurs de l'âme humaine, ces psychologues-nés, sentaient instinctivement que quelque chose clochait, que d'en laisser entrer trop comme lui serait dommageable pour toute l'espèce.
Mais, dans nos régions, les hôpitaux et les médecins abondent, toute petite douleur peut être auscultée dans ces moindres manifestations, scanner, pet-scan à l'appui, chirurgie et firmes pharmaceutiques à la rescousse. Le confident - contrairement aux prévisions des videurs- a donc survécu, et sauf grand malheur - une collision fatale avec Mister Testostérone bourré sur une route de campagne au retour d'une conférence sur l'influence de Rabelais dans la littérature française - il n'a pas quitté la scène de son premier Amour. Tandis qu'elle - ENFIN! - se met en quête de l'homme-joie, l'homme-foyer. Alors, le grand retournement se produit: sa discotécale faiblesse est devenue sa force. Elle gardera certes toujours gravé dans son limbique une sorte d'époustouflement primal, javierbardemisant, du temps où les corps faisaient silex. Mais jamais personne ne l'avait ait frémir dans ses tréfonds, au coeur même de ses cellules, comme cet ami cher devenu âme en chair. Après des heures et des jours passés sur le banc, il entre enfin sur le terrain. Le confident vient de prendre corps.
Fort de cette réflexion, si je rencontrais un de ces jeunes exclus de la fièvre du samedi soir, je n'aurais qu'une chose à lui dire: sois patient. Patience est tout. Ton heure viendra, triomphale et solaire. Donne raison à ta sensibilité, ta gaucherie ou ta maladresse. Ce sont des atouts. Et mêmes si ta patience ne devait pas être récompensée, tu n'auras pas artificiellement essayé d'être un autre, tu seras resté fidèle à toi-même, ce qui t'aura permis mûrir ton devenir d'homme. Tu n'auras rien précipité ce qui t'apportera des plaisirs renouvelés à l'âge où beaucoup penseront avoir fait le tour de la question. Ici, le temps ne signifie rien. Etre amoureux, c'est ne pas calculer, ne pas avoir à compter car il n'y a qu'elle qui compte. Etre amoureux, c'est approfondir sa connaissance du visage aimé, c'est éprouver l'ivresse d'une connaissance intime d'elle qui ne s'achève jamais. Alors rends grâce aux souffrances qui sont les tiennes: elles donnent grandeur et sens à ton amour. Elles font ta valeur et seront la joie de la femme qui partagera ta vie.
Sculpture: La confidence, Jean-Baptise Carpeaux.
Merci à Rainer Maria Rilke de m'avoir soufflé la fin.

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