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HADOPI 2 : censure très partielle du Conseil constitutionnel (Cons. constit. n°2009-590 du 22 octobre 2009)

Publié le 24 octobre 2009 par Combatsdh

Saisi de la loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet (« Hadopi 2 »), le Conseil constitutionnel a rendu le 22 octobre 2009 une décision de non-conformité partielle. Les députés requérants contestaient la constitutionnalité des articles 1er, 6, 7, 8 et 11 de la loi. Seul l’article 6 a été, en partie, censuré par le Conseil constitutionnel.1°/ - Sur les pouvoirs de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet - HADOPI : article 1er

Selon les requérants, les termes « constater les faits susceptibles de constituer des infractions » ne respecteraient pas l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. Ils demandaient donc à ce que le Conseil constitutionnel précise l’étendue des pouvoirs confiés à la HADOPI.

Celui-ci s’y refuse : il estime que les dispositions en cause ne sont « ni obscures ni ambiguës » (considérant 5) et ajoute « qu’il ne lui appartient de procéder à l’interprétation du texte qui lui est déféré que dans la mesure où cette interprétation est nécessaire à l’appréciation de sa constitutionnalité » (considérant 6).

Le Conseil constitutionnel valide donc l’article 1er de la loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet.

Rappelons sur ce point que, saisi de la loi « HADOPI 1 », le Conseil avait censuré partiellement les pouvoirs de sanction attribués à la HADOPI (Décision n°2009-580 DC du 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet - Voir Actualités droits-libertés du 11 juin 2009 (2) par Véronique CHAMPEIL-DESPLATS et CPDH, 15 juin 2009).

2°/ - Sur la mise en œuvre d’une procédure pénale spécifique aux délits de contrefaçon commis sur Internet : article 6

Selon les requérants, l’article 6 - I de la loi déférée serait contraire au principe d’égalité devant la justice en ce qu’il prévoit que les délits de contrefaçons « lorsqu’ils sont commis au moyen d’un service de communication au public en ligne » sont jugés par le tribunal correctionnel statuant à juge unique selon la procédure simplifiée de l’ordonnance.

Le Conseil constitutionnel rejette ce grief : au regard des « particularités des délits de contrefaçon commis au moyen d’un service de communication au public en ligne » et notamment de leur « ampleur », le législateur pouvait parfaitement les soumettre à des règles particulières (considérant 11).

En revanche, le Conseil va censurer l’article 6 II de la loi prévoyant que lorsque la procédure simplifiée est mise en œuvre, « la victime peut demander au président de statuer, par la même ordonnance se prononçant sur l’action publique, sur sa constitution de partie civile ». Autrement dit, cet article permet « aux victimes de demander au juge de se prononcer par ordonnance pénale sur la demande de dommages et intérêts de la partie civile », ce qui, selon les députés requérants, « priverait les personnes mises en cause de la possibilité de contester ces demandes » et serait donc contraire au « droit à un procès équitable, [au] respect des droits de la défense et [à] la présomption d’innocence » (considérant 9). Après avoir énoncé qu’ « aucune règle ni aucun principe constitutionnel ne s’oppose à ce que le juge puisse également statuer, par ordonnance pénale, sur la demande de dommages et intérêts formée par la victime dès lors qu’il estime disposer des éléments suffisants lui permettant de statuer » (considérant 13), le Conseil constate que l’article 6 II « ne fixe pas les formes selon lesquelles cette demande peut être présentée ; qu’[il] ne précise pas les effets de l’éventuelle opposition de la victime ; [ni] ne garantit (…) le droit du prévenu de limiter son opposition aux seules dispositions civiles de l’ordonnance pénale ou à ses seules dispositions pénales » (considérant 14).

L’article 6 II de la loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet est donc censuré pour « incompétence négative ».

3°/ - Sur la peine complémentaire de suspension de l’accès à Internet : articles 7, 8 et 11

La loi déférée prévoit la possibilité pour le juge de prononcer la suspension de l’accès à Internet non seulement en matière délictuelle (article 7 - suspension d’une durée maximale d’un an) mais également en matière contraventionnelle (article 8 - suspension d’une durée maximale d’un mois). En pareil cas, l’abonné est toutefois tenu de s’acquitter du montant de son abonnement et il ne peut souscrire de contrat auprès d’un autre fournisseur d’accès à Internet sous peine de se voir condamner à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 € d’amende (article 11). Notons que sur ce point les requérants invitaient le Conseil à opérer un contrôle maximum (considérants 17, 27 et 31).

Celui-ci va pourtant se contenter de constater « l‘absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue » (considérant 20 - sur l’article 7) ajoutant que « le caractère proportionné d’une peine s’apprécie au regard de l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction qu’elle est destinée à réprimer » (considérant 28 - sur l’article 8). Pour le Conseil, pas plus que les articles 7 et 8, l’article 11 n’institue « une peine manifestement disproportionnée » (considérant 31).

Après avoir écarté tous les griefs soulevés à l’encontre de ces dispositions, le Conseil valide les articles 7, 8 et 11 de la loi et ajoute qu’il n’y a lieu de soulever d’office aucune question de conformité à la Constitution.

Si le Ministre de la Culture s’est félicité de cette décision qui « permet au législateur de parachever un dispositif innovant et pédagogique de prévention du piratage des oeuvres culturelles sur Internet » et a confirmé que les membres de la HADOPI seront nommés courant novembre et les messages d’avertissement aux abonnés envoyés dès le début de l’année prochaine, le Conseil constitutionnel a, pour sa part, reconnu que « pour des raisons tenant aux caractéristiques des réseaux de communication dans certaines zones », il pourrait être « temporairement » impossible d’exécuter la peine complémentaire de suspension de l’accès à Internet et a invité le juge à « prendre en compte [cette impossibilité] dans le prononcé de la peine » (considérant 23).

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  • Décision n°2009-590 du 22 octobre 2009, Loi relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet
  • Communiqué de presse du CC
  • Communiqué du Ministre de la Culture et de la Communication

Actualités droits-libertés du 23 octobre 2009 par Amélie ROBITAILLElogo_credof.1226680711.jpg

NOTE Sylvia Preuss-Laussinotte :

Cette possibilité de suspension d’accès à internet reste très controversée et renvoie à la question de la « neutralité du réseau », et du rôle désormais incontournable d’internet pour l’ensemble des démarches de la vie quotidienne, y compris administratives, celles-ci basculant progressivement sur le réseau ; de même les échanges professionnels par l’intermédiaire de ce moyen de communication se sont imposés au point d’en devenir obligatoires. Conscients de cette révolution, même les parlementaires vont désormais suivre une formation qui leur permettra de comprendre et d’utiliser internet, dans le cadre des « ateliers de l’élu 2.0 », mis en place par Nathalie Kosciusko-Morizet, Secrétaire d’Etat à la Prospective et au numérique. On ne peut que les féliciter...

Je l’avais en effet soulevé dès que l’idée de l’ordonnance pénale a été invoquée. J’en concluais, et je maintiens, que la plupart des demandes d’ordonnances pénales seront rejetées. Mais l’inefficacité du procédé ne signe pas son inconstitutionnalité. Le Conseil rejette donc à raison.

(…): rien n’interdit au législateur de permettre à la victime d’intervenir dans la procédure d’ordonnance pénale, qui du coup prend un tour franchement cocasse puisque c’est une condamnation qui est prononcée après que le parquet ait soutenu l’accusation, la victime demandé réparation… mais sans que le prévenu ne soit seulement informé de ce qu’on allait le juger (je ne parle même pas de présenter sa défense). Mais le Conseil a déjà validé tout ça en août 2002…(…)

Le législateur peut permettre à la victime de présenter sa demande, à condition de fixer tout le régime procédural de cette demande. Il s’agit de procédure pénale, domaine exclusif de la loi. Le législateur ne pouvait renvoyer au décret comme il l’a fait. Le Conseil censure cette partie du texte car elle est inapplicable faute de précision. le Conseil donne même le mode d’emploi : il faut prévoir les formes selon lesquelles cette demande peut être présentée, les effets de l’éventuelle opposition de la victime, et le droit du prévenu de limiter son opposition aux seules dispositions civiles de l’ordonnance pénale ou à ses seules dispositions pénales. Ce sera pour HADOPI 3 ?”


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