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Les oeufs d’Egypte

Par Daniel Valdenaire

L’homme qui voyait tout en forme d’œuf.

Cela se passait au début au début du siècle dernier.Il était arrivé par le dernier bateau sur port du Caire. Il faisait déjà nuit quand il se retrouva dans les rues de cette ville qu’il découvrait telle qu’il l’avait imaginé pendant toute son enfance et pendant toute sa période scolaire, puisque c’est au cours de celle-ci qu’à l’occasion de la lecture d’un livre sur les pyramides qu’il avait senti poindre en lui le désir de devenir archéologue.

La chaleur était étouffante. Il se passa un large mouchoir à carreaux sur le visage et se mit en quête d’un hébergement.

Quand il avait averti sa famille qu’il partait pour l’Egypte, celle-ci et même ses amis l’avaient mis en garde contre le fait de partir seul et qu’il devrait partir avec un camarade. Que se serait plus prudent d’être à deux dans ces pays lointains !

Mais il n’avait pas cédé et quand il décida que le moment était venu, il fit ses bagages et embarqua pour le Caire.

C‘était un petit homme, d’une trentaine d’années, les cheveux blonds dégarnis et arborant une fine moustache claire ayant pour seul but d’affirmer une personnalité qu’il avait du mal à imposer. Quelque part, c’était une des raisons pour lesquelles il avait besoin de couper ce fil qui ne lui apportait que des frustrations. Partir, serait pour lui, le moyen de redémarrer une nouvelle vie, sur de nouvelles bases. Du moins c’était son souhait.

Enfin, il y était ! Devant lui s’ouvrait une nouvelle vie qui plus est dans ce pays mystérieux dont il avait en rêves parcourut toute la surface.Bientôt, il serait devant ces pyramides ! On pourrait presque dire ses pyramides, tellement il les avait étudiées dans les nombreux ouvrages de l’université de Lille, sa ville natale.Quel combat avait-il du mené pour arriver à ce jour !Que ce soit ses parents, sa famille, ses camarades d’études, tout ce monde passait son temps à le déprécier, à le dévaloriser, provoquant en lui des fureurs qu’à grand-peine il arrivait à contenir.

-   Tête d’œuf ! Comment ça va, tête d’œuf.

Les journées de son enfance ont été ponctuées par ce qualificatif faisant référence à son crâne de forme ovale. Pour certains cela s’arrête après les études, mais pour lui cela continuait et contribuait à le conforter dans son désir de fuir.

Il se sentait très fatigué quand enfin il trouva une chambre dans un hôtel situé pas très loin du port. La chambre n’était pas luxueuse, mais suffisait à son bonheur. Au dehors, les bruits du trafic sur le port et dans les rues encombrées dans tous les sens par des porteurs surchargés ne parvinrent pas à briser le sommeil dans lequel il sombra rapidement.

La nuit fût agitée. Au matin, il sentit qu’il souffrait d’une légère fièvre, mais il se dit que cela passerait au cours de la journée et fit avec.

Les nécropoles de Memphis sont dans la banlieue immédiate du Caire, à la limite du désert (15km pour Gizeh, 35km pour Dahchour). A moins d’être en bus, la meilleure alternative est de prendre un taxi pour la journée.

C‘est ce qu’il fît après avoir pris son petit-déjeuner sur une petite terrasse d’où il pouvait voir le grouillement de cette ville qui apparemment ne s’arrêtait jamais.Son mal de tête ne le quittait pas contrairement à ce qu’il espérait, au contraire il empirait et sa vision, par moment se troublait. Le taxi jaune sautait à se briser sur la chaussée caillouteuse, avait-elle déjà connu un revêtement ? En tout cas, apparemment les cailloux avaient repris le dessus !Il s’adressa au chauffeur qui n’avait pas dit un mot depuis le départ :

-   Qu’est-ce que c’est que ces gros œufs, là-bas ? En pointant le doigt sur la droite.-   Des gros œufs ?

Il pensa que le chauffeur ne l’avait pas compris. Il répéta :

-   C‘est bien des œufs que je vois là-bas, je ne rêve pas ! Vous ne les voyez pas ?-  

Non je ne vois pas d’œufs, Monsieur ! Le ton était devenu inquiet. -   Il jeta un coup d’œil dans son rétroviseur. Pourtant cet homme avait l’air tout à fait normal.-  

Là-bas, je vois des chameaux, Monsieur.-  

Des chameaux ? Voyons, vous me faites marcher, je sais quand même reconnaître un œuf d’un chameau ! Arrêtez-vous, je veux en  avoir le cœur net.

Le taxi se rangea précautionneusement sur le bord de la route et les deux hommes s’avancèrent sur le sable jaune. Le chauffeur était réellement inquiet et en était à se demander s’il ne devait pas s’enfuir en laissant cet occidental bizarre en plan.L’homme s’avançait à grandes enjambées, les chaussures s’enfonçant dans le sable. A quelques dizaines de mètres, un troupeau de chameaux faisait halte, surveillé par un jeune garçon qui se demandait bien ce qu’on lui voulait.

Au fur et à mesure qu’il se rapprochait, l’homme dû se rendre à l’évidence. Il s’agissait bien de chameaux. Il se passa les mains sur le visage et s’enquit de savoir si le chauffeur avait un peu d’eau dans sa voiture.

-Allons-y, je suis désolé.La voiture repartit. Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’œufs, se disait-il.

Il mit cela sur le compte de la fatigue et surtout de son mal de tête qui ne le quittait toujours pas.Soudain, le chauffeur s’exclama :

-  On y est, Monsieur ! Regardez la grande pyramide, là, devant nous ! Vous la voyez ?

Le petit homme se pencha en avant, scruta la direction indiquée et se mit à trembler. Ce qu’il voyait, le plongea dans une panique qu’il ne pouvait contenir. Il s’accrocha au siège. Chercha du secours dans les yeux du chauffeur.

-   Vous les voyez ? Monsieur juste devant nous !

Mais le petit homme resta prostré, la tête dans les mains.

-   Ce n’est pas possible. Ce n’est pas possible. Répétait-il, la voix tremblotante.-   Je ne vois que des œufs ! Des œufs ! Est-ce que vous vous rendez compte de ce qui m’arrive ? Des oeufs ! Je ne les vois pas vos pyramides ! Je ne vois que des gros œufs jaunes !-  

Monsieur, je vais appeler un médecin.-  

Non, non, attendez ! Ca va peut-être passer.-  

Il vaut mieux aller chercher un médecin, je sais qu’il y a un dans le village.-  

Des œufs ! Répétait le petit homme- Des œufs !

Lui qui avait tant rêvé des pyramides. Lui qui avait passé tant d’heures et tant de nuits à se documenter au point qu’il était devenu un spécialiste reconnu par ses professeurs. Lui qui avait élaboré tant de projets, imaginé tant de découvertes.

Des œufs ! Dès que son regard s’élevait, apparaissaient aussitôt des œufs immenses. Des œufs d’une rare beauté. Des œufs d’un jaune clair, brillant. Sur leur base bien ancrée dans le sable, ils projetaient une ombre auprès de laquelle des touristes se protégeait du soleil très chaud à cette heure de la journée.Le petit homme ne comprenait plus rien. Il percevait normalement les humains, mais tous les objets sous ses yeux se transformaient en oeufs jaunes.Petit à petit sa raison l’abandonnait, une immense frustration le submergeait.

On l’empêchait de voir ses pyramides !Pourquoi ?Seul assis au fond du taxi, il laissa libre cours à un torrent de larmes sans pour autant trouver le soulagement. Le chauffeur était parti s’enquérir du médecin.Autour des oeufs, les touristes continuaient d’affluer, comment pouvait-ils être aussi indifférents ? N étaient-ils pas venus, eux aussi pour voir les pyramides ? Ne se posaient-ils pas la question de savoir pourquoi on leur montrait des oeufs immenses et jaunes ?Il entra dans une colère immense. Une colère noire. Une colère contenue depuis des années.

- Tête d’œuf ! Tête d’oeuf !

Mieux valait en finir une fois pour toute !Juste à  côté du taxi, il y avait un poste de garde tenu par deux soldats nonchalants. Il se précipita sur l’un d’eux et s’empara d’un fusil, avec une prestance telle que le soldat resta cloué sur place de stupeur.Les touristes ne comprenant pas ce qui se passait s’éloignèrent et se dispersèrent dans tous les sens, cherchant un abri, si petit soit-il.

Sans perdre une seconde, il mit le fusil à l’épaule et vida entièrement le chargeur sur les oeufs qui éclatèrent et déversèrent, sur des dizaines de mètres autour d’eux le blanc et le jaune, ce dernier glissant sur le sable à la façon d’un hydroglisseur submergea une dizaine de touristes en shorts et appareils autour du coup.

D’autres s’engluaient dans le blanc comme dans un marécage, enfoncés jusqu’à la taille, ils suppliaient qu’on vienne les sauver d’une mort atroce.Le jaune, comme mû par des moteurs surpuissants continuait sa course folle, écrasant les voitures, les cars et bien sûr tous les occupants.

- Tête d’œuf ! Tête d’oeuf ! Allez, réveille-toi, c’est l’heure !Son frère chargé de le réveiller le secouait énergiquement.

- Oui, oui.

- Allez, réveille-toi c’est l’heure du grand départ. Dis donc tu devais faire un sacré cauchemar ! Tu as réveillé toute la maison avec tes cris.

- Mais….

Il comprit alors qu’il n’avait fait qu’un horrible cauchemar. Il réalisa qu’il partait ce matin pour l’Egypte de ses rêves.Dans le train, fermant les yeux, il revit les énormes oeufs jaunes écraser les touristes et  se mit à rire tout seul. 


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