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Décider moins pour dormir plus par Alexandre Adjiman

Par Jean-Louis Renault

Vous connaissez certainement les « serial-killer », ces tueurs en série qui ont donné lieu a de bons livres et à des films au suspense haletants.

Dans un tout autre genre, vous connaissez peut-être aussi les kilo-killers : là il s’agit de nouvelles potions magiques destinées à « tuer »  les kilos en trop de ces Dames avant d’enfiler le maillot de bain. On les trouve dans les rayons de parapharmacie.

Un nouvel assassin a fraîchement débarqué dans les mêmes officines : l’age-killer. Comme quoi on n’arrête pas le progrès !

Les aficionados du management qui parcourent ce blog connaissent sûrement les « innovation-killer » dont j’ai parlé dans un précédent billet. Ce sont ces experts qui ont le savoir-faire très particulier de tuer dans l’œuf tout germe d’innovation dans l’entreprise. Du moins dès lors qu’ils n’en sont pas les géniteurs, cela va sans dire : on ne tue pas ses enfants !

Voici maintenant un nouveau venu dans la famille : le sales-killer. Je me doutais qu’il devait exister, mais surtout je pensais que, « la crise » aidant, il se cacherait. Pas du tout ! Un vendeur de mes amis vient de me confirmer leur existence, et, tenez vous bien, ils exerceraient au grand jour ! J’ai donc décidé de porter l’information à votre connaissance.

En effet, l’histoire de ce vendeur me semble être un bon cas d’école que l’on pourrait enseigner (peut-être même que c’est déjà le cas) à HEC, à l’ESSEC, ou à Sup’de Co.

Ce vendeur, appelons-le Roger (je crois que c’est un prénom de « bon vendeur »), est chargé par sa direction de proposer à des Salons de coiffure un système qui permet aux clientes de visualiser facilement leur future nouvelle coupe ou coloration sur leur propre visage. Il existe déjà des choses similaires, mais ce nouveau concept est saisissant de facilité d’emploi et de réalisme, peu coûteux, et fonctionne avec internet.

C’est pratique, moderne, et c’est un atout sur la concurrence, pour attirer plus de clientes et les satisfaire agréablement. La coiffure féminine, c’est important ! Compte tenu de son faible prix, le retour sur investissement du produit est annoncé comme très rapide.

Roger visite plusieurs Salons appartenant à un grand groupe, et rencontre l’enthousiasme immédiat des responsables, mais voilà,…. ils ne sont pas décideurs. De l’avis unanime il faut voir le responsable régional.

Pas de problème, rien ne saurait arrêter Roger-le-vendeur, d’autant qu’il se sent appuyé par « la base » : les nombreux responsables de Salons qu’il a rencontrés.

Il contacte le responsable régional, qui est « très occupé mais qui veut bien le recevoir ». Toutefois dit-il par avance, « je ne suis pas décisionnaire ». « Bon, je comprends, mais il faut quand même que je vous rencontre, tout le monde me le conseille » lui répond Roger-le-vendeur.

Le rendez-vous a lieu. Présentation du produit et exposé des avis favorables des responsables de Salons visités. Remise d’une documentation. Le responsable régional remercie, rappelle qu’il n’est pas décisionnaire, et qu’il va « transmettre au marketing ». Il communique d’ailleurs à Roger les coordonnées complètes de ce service et de son directeur..

Quinze jours passent et Roger appelle le marketing pour savoir si tout va bien et si une décision a été prise. Réponse : la documentation a bien été reçue, non aucune décision n’a été prise.

Quinze jours passent encore, et Roger (je vous avais bien dit que c’était un bon vendeur) appelle à nouveau le marketing. Non, aucune décision n’a encore été prise. Y a-t-il un avis ? Non, ce n’est ni oui ni non. Roger argumente, envoie des couriels pour rester présent à l’esprit de son prospect, rappelle l’intérêt manifesté par les responsables des Salons, fait des propositions commerciales alléchantes « compte tenu de la dimension de l’enseigne »,… Bref, il fait son travail.

Mais voilà qu’un jour, un responsable de Salon qui avait été visité, appelons-le Philippe, (c’est un bon nom pour un responsable de Salon de coiffure je crois), appelle Roger pour prendre des nouvelles de la décision prise par sa hiérarchie. Roger raconte ses démarches et conclue par le célèbre : «donc j’attends ».

Philippe se fâche, dit qu’il veut tester le système, qu’il est payé sur ses résultats, et suggère à Roger une mise en place gratuite du système dans son Salon à titre de test, pour convaincre la hiérarchie avec des chiffres..

Roger dit pourquoi pas, interroge sa direction qui dit OK immédiatement..

Installation et… patatras ! Le système étant relié à Internet, le service informatique du siège du groupe s’en rend compte immédiatement, alerte le marketing (« il se passe quelque chose de bizarre au Salon de Philippe »), qui appelle le responsable régional qui déclare «je ne suis pas au courant ».

Le marketing appelle donc Philippe, qui explique ce qu’il a voulu faire et tente de se justifier : « ça ne coûte rien, au moins on saura…. Etc.)

Réaction immédiate : le téléphone portable de Roger sonne, et au bout du fil (oui, je sais il n’y a pas de fil mais ça ne change rien) le directeur du marketing furieux lui rappelle qu’il n’a pas donné le feu vert pour ce concept, qui est à l’étude. Il exige que l’installation soit immédiatement stoppée. Roger argumente sur la gratuité, le test, l’absence d’engagement sur le futur…. Rien à faire. On enlève tout.

Voici maintenant un tableau récapitulatif de la situation et des états d’esprit des acteurs :

a) Le directeur du marketing du groupe a sévèrement tancé le responsable régional qui ne tient pas ses troupes.

b) Le responsable régional a rappelé à Philippe au cours d’une réunion houleuse, qu’il a une hiérarchie, et « qu’elle sert à quelque chose ». Il faut attendre son feu vert. Il n’a pas respecté le fonctionnement de la société.

c) Philippe est furieux, et il est psychologiquement bloqué vis à vis de sa hiérarchie. Il est démotivé, et ne veut pas s’excuser pour son initiative. Il dit que les prises de décision du siège sont trop lentes, et ne pas avoir à demander d’autorisation pour faire plus de ventes, dès lors que ça ne coûte rien à l’entreprise d’essayer.

d) Roger se mord les doigts d’avoir accepté l’idée du test gratuit, bien qu’elle lui paraisse, même après coup, un bon moyen de convaincre l’entreprise de l’intérêt de sa proposition. Le directeur du marketing lui a d’ailleurs fait savoir qu’il n’avait pas apprécié cette action, et qu’il était possible qu’elle compromette leurs relations.

Aux dernières nouvelles rien n’a bougé, et trois mois se sont écoulés depuis l’affaire. Il n’y a pas eu de décision, ni dans un sens ni dans l’autre.

Question : vous êtes Roger-le-vendeur, que faites-vous ?

1) Vous êtes d’accord avec la hiérarchie : elle a sûrement ses raisons, et ce n’est pas parce qu’on ne les connaît pas qu’elles ne sont pas bonnes. Roger ne doit plus bouger et attendre patiemment que la hiérarchie analyse le projet et donne son feu vert. C’est la règle d’un bon management.

2) Vous informez le marketing que vous annulez toutes vos propositions commerciales et que vous ne souhaitez plus travailler avec le groupe.

3) Vous écrivez au PDG pour lui raconter l’histoire, avec les noms, les dates, les lieux, et vous lui demandez d’intervenir pour débloquer la situation.

4) Vous invitez le directeur du marketing à déjeuner pour détendre l’atmosphère. Ou Philippe. Ou le responsable régional. Ou tout le monde…

5) Vous faites des propositions commerciales encore plus alléchantes.

6) Vous jurez qu’on ne vous y reprendra pas.

6) Vous laissez tomber et vous allez voir les concurrents en espérant que cela va faire bouger les choses de ce côté-ci.

7) Vous demandez à Philippe de prendre ses responsabilités : après tout c’était son idée cette histoire de test, à lui de débloquer la situation avec sa hiérarchie. Mais je vous rappelle que pour le moment il ne veut rien savoir.

8) Autres idées.

Merci ! Je transmettrai à Roger vos idées, soyez-en sûrs, et je vous raconterai le dénouement réel, ici-même, (lorsqu’il aura lieu).

Mais avant de terminer je voudrais confirmer par ma propre expérience du terrain, l’existence d’un réel problème de démission de la base en matière d’esprit d’entreprise.

De très nombreux commerces sont aujourd’hui des franchises, ou des unités appartenant à un groupe régional ou national. La crise a paraît-il modifié le comportement du consommateur : plus malin, plus libre (c’est à dire plus infidèle) que jamais), comparant tout sur place avec son iPhone en poche, le « chasser » suppose d’être aussi mobile et réactif que lui. Si vous prenez trop de temps pour charger votre fusil et viser, l’oiseau s’est envolé.

Or il n’en est rien : le terrain n’a pratiquement pas de pouvoir d’initiative.. Entrez dans une telle enseigne nationale pour proposer un moyen de vendre plus, là, dans ce magasin où vous êtes, voici le dialogue que vous aurez :

Le boss du magasin : « Ce n’est pas moi qui décide »

Vous « Mais vous êtes responsable de votre chiffre ? »

Lui : « Oui bien sûr ! »

Vous : « Pensez-vous que ce que je vous propose peut faire progresser votre chiffre ? »

Lui : « oui, c’est possible »

Vous : « Alors, vous devriez pouvoir décider de votre action puisque vous êtes responsable de votre chiffre !».

Lui : « Oui, mais je ne peux pas, ce n’est pas moi qui décide, il y a une organisation, des réunions, ce sont eux qui décident, on doit tous faire pareil ».

Vous : « Et vous pourriez leur en parler ? »

Lui : « Non, ils sont très occupés, ils ont d’autres priorités actuellement, je ne crois pas que ce serait utile».

Vous : « Alors comment faire ? »

Lui : « Il faut appeler la direction, je vous donne leur numéro ».

Donc vous décidez de composer le numéro en question. Vous avez le nom de la personne à contacter. Et là, au standard, on vous demande « C’est à quel sujet ? » Vous expliquez tout : les gens que vous avez rencontré sur le terrain, leur intérêt, etc, bref vous vendez l’idée d’avoir un rendez-vous avec cette personne, sur leurs conseils.

OK. On vous demande de patienter. Vous patientez, et la réponse est : «Il faut envoyer un e mail à l’adresse suivante :  [email protected]

Qu’on ne s’y méprenne pas : je ne dis pas qu’il ne faut pas de l’organisation, de la cohérence, et de l’analyse avant de décider. Je constate simplement que dans une période où le terrain est confronté à une évolution significative des comportements des consommateurs, les organisations restent branchées sur un modèle qui a fait ses preuves certes, mais qui présente aujourd’hui des faiblesses.

Ils sont de moins en moins nombreux, ceux qui, comme Philippe dans son Salon, prennent le risque de prendre une initiative qui bousculerait l’organisation interne et froisserait la hiérarchie.

Il n’est plus normal aujourd’hui, que ces entrepreneurs, confrontés quotidiennement au terrain, et responsables de leur chiffre et de leur rémunération, trouvent parfaitement normal de ne pas pouvoir prendre d’initiative locale pour faire mieux. Mais la raison est simple : ils ont compris « qu’en décidant moins, ils pouvaient dormir plus ». Qui va les réveiller ?

Alexandre Adjiman

Auteur de « Quand je serai grand(e) je ferai… »

Editions Garamond

www.quand-je-serai-grand.fr

aussi sur www.viadeo.com

Ah ! J’oubliais : si vous êtes PDG d’une grande enseigne de Salons de coiffure, ne cherchez pas chez vous. L’histoire est absolument vraie, mais elle ne se passe pas dans ce secteur, ce n’est pas le produit, et les noms sont tous fictifs !

Mais tout de même, si vous êtes PDG d’une entreprise (quel que soit le secteur), assurez vous que votre organisation n’est pas elle même «sales-killers» ou qu’elle ne les engendre pas dans les services ! C’est la crise non ?

e non ?

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