Deux poids deux mesures

-Un bon mois que je vous voyais plus au marché, M’ame Daube. Rien de cassé ?-Si, M’ame Michu, le désir.

-Oh là là ! non, commencez pas à me faire rire pour un rien.

-Je ne plaisante pas, M’ame Michu. Plus de désir, plus d’envie.

-Vous voulez dire « plus d’appétit » ?

-Que non ! L’appétit se porte à merveille, c’est l’envie de le satisfaire qui flanche. « Continuez comme ça », me dit mon docteur de famille, « et ce n’est pas une ordonnance que je vous signe tout de suite, c’est le permis d’inhumer ! »

-Alors ?

-Alors adieu l’andouillette et le baba. Telle que vous me voyez là, sans autre cabas que ce filet, je viens aux carottes.

-Je vous donnerai ma recette… En tout cas ça marche, m’ame Daube, je vous trouve déjà bien dégonflée… Evidemment, à nos âges, la peau ne suit pas toujours… Regardez donc l’Hortefeux, notre Auvergnat de Neuilly : dix kilos de moins et quinze ans de plus. Après sa bourde sur le beur, on le voit promener maintenant dans tous les champs de bataille urbaine une petite mine de récidiviste menacé de castration chimique, ça fait pitié.

-Je crois qu’il compense.

-Vous dites ?

-A mon avis, tututt. On n’a pas le nez et les pommettes écarlates à toute heure en ne buvant que de la Vittel. Sans compter que malgré ses moulinets chez Arlette Chabaud, il ne fait pas peur à une mouche ! Voulez-vous que je vous dise, m’ame Michu, avec ce grand mou à l’Intérieur, moi, dans une queue de cortège, si j’étais de la racaille ou d’ultra-gauche, je mettrais même pas la capuche. 

-Et pareil pour le Président. Plus de chocolat, rien, ceinture. Résultat : cernes et joues creuses comme à un opéré de trois jours, un début de peau sous le menton comme aux iguanes, et une loufoquerie par semaine comme chez les distraits. Que voulez-vous, on ne peut pas conduire le jour le char de l’Etat et rêver la nuit des fourneaux de Fauchon. Etonnez-vous après que ce soit toujours deux poids deux mesures : bracelet électronique à la cheville pour Bidule, bracelet Cartier au poignet pour Roman ou Frédéric ; lève-tôt et diplômes pour le voisin, couche-tard et tapis rouge pour le fiston. C’est pas bon pour l’image, ce régime-là.

-Entre nous, moi j’y vois la petite main de Carla. M’est avis que c’est une taupe.

-Qu’est-ce que vous dites ! Elle est splendide .

-Une taupe du PS, s’entend, m’ame Michu ! Vous verrez qu’elle aura laminé le bonhomme pour 2012.

-Vous lisez trop de Fleuve noir.

-L’ouverture et ses flasques, Mitterrand et ses frasques, tout ce qui fleure le rive-gauche et requinque la fille Le Pen, je parie que c’est d’elle. Le régime minceur du mari fait partie de l’arsenal. C’est vrai aussi qu’une liane qui a défilé pour Lagerfeld n’a pas envie de filer le train d’un petit gros. Et ça fait tache d’huile. Il paraîtrait que Xavier Bertrand se met au régime.

-D’ici 2017, pour la collection printemps de l’Elysée, il a de la marge.

-Et même Xavier Darcos.

-Il fallait le laisser à l’Education, rien de mieux pour fondre en six mois.

-Vous noterez quand même qu’il y a des lourds un peu légers, voyez Martine Aubry.

-Mais inversement, m’ame Daube, la minceur ne fait pas toujours l’anémie. Regardez Dominique de Villepin : émacié comme Don Quichotte et se démenant comme un beau diable.  Son sourire éclatant, avant et après le procès, dans tous les couloirs de la Balance, comme d’un qui vient de marier sa fille et de recevoir le Goncourt !

-Ou le Nobel de la paix, m’ame Michu, comme Obama, qui n’en a pas cru ses oreilles ! A se demander si les jurés d’Oslo aussi ne font pas régime… Car en gros, voilà ce que vous me dites : tous ceux qu’on croit nuls sont pas nuls, ils ont faim. Et vous voudriez que je persiste dans le régime carotte ! Au fait, vous m’en annonciez une recette…

-Ah ! oui, carottes au lapin. Lapin fermier, bien sûr, déjà largement élevé à ce légume. Vous faites dorer la bête en morceaux dans un bain d’huile et de beurre. Cuisson à l’étouffée, un doigt de cognac à mi-temps. Carottes émincées blanchies à l’eau puis mijotées dans la crème fraîche entière. Mélanger à l’appareil en toute fin de cuisson et servir avec un Chablis, de préférence « Homme mort »… Oh, m’ame Daube, vous vexez donc pas ! Je croyais bien faire, vous dérider. On peut aussi se les râper nature, les carottes. Je vais vous dire : en cuisine comme en politique, ce qui compte c’est la qualité des produits.  

Arion

[Les dessins sont de Croquignolet ]

Une zic pour Makhno : … pas des carottes, mais des tomates!