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Le dernier communiste (irakien) entre au paradis

Publié le 25 octobre 2009 par Gonzo

Le dernier communiste (irakien) entre au paradisLe 85e anniversaire du Parti communiste libanais, avec notamment cette affiche due au graphiste Emile Muneim (أميل منعم) et un nouveau slogan : « Change avec le rouge ! » (غيّر بالأحمر), offre l’occasion de rappeler que le monde arabe a connu, pendant une bonne partie du XXe siècle, de puissants partis marxistes qui ont, entre autres conséquences, profondément influencé la scène culturelle.

Trois exemples récents permettent de s’en rendre compte à propos d’un pays, l’Irak, où la « menace rouge » n’est sans doute plus à craindre maintenant que la démocratie y a été « exportée » au prix de quelques centaines de milliers de morts (seulement).

Même s’ils sont souvent ignorés à l’étranger, les grands noms de la poésie arabe viennent souvent de ce pays où, « lorsqu’on jette un caillou en l’air, il retombe sur la tête d’un poète » comme le dit un dicton célèbre. Ainsi, c’est en Irak, au milieu du siècle dernier, que trois jeunes gens (deux hommes et une femme) ont permis à la poésie arabe de rompre avec les entraves de la prosodie traditionnelle pour s’engager sur une nouvelle voie, celle du « poème cadencé » (قصيدة التفعلة).

Le dernier communiste (irakien) entre au paradis
Parmi ces aventuriers, Badr Shakir al-Sayyab (بدر شاكر السياب). Né en 1926 dans une pauvre famille du sud du pays, il passe par l’Ecole normale de Bagdad, devient instituteur et… communiste, ce qui lui vaudra de perdre son poste et de connaître la prison. Dans les dernières années de la monarchie avant la République née du coup d’Etat du 14 juillet 1958 (une date choisie en hommage à la Révolution française !), Sayyab s’écarte progressivement du parti avec lequel il rompt publiquement lors de la publication de La Prostituée aveugle (المومس العمياء) en 1954. Cinq ans plus tard, il revient publiquement sur cette rupture en attaquant, dans un journal de Bagdad, Al-Hurriya, ses anciens camarades avec une extrême violence. A la demande de Yûsuf al-Khâl (يوسف الخال), poète libanais animateur de Shi‘r – une revue où l’on s’occupait de révolution poétique en s’autorisant quelques détours dans la politique –, ces carnets sont édités sous le titre : J’étais un communiste (كنت شيوعيا : le livre a été réédité pour la première fois en 2007, chez Dâr al-Jamal).

Le dernier communiste (irakien) entre au paradis
Saadi Youssef (سعدي يوسف), lui aussi né dans le sud de l’Irak (en 1934), est sans doute encore plus méconnu du grand public, en dehors du monde arabe tout au moins. Emprisonné après le premier coup d’Etat baassiste de février 1963, il revient dans son pays après quelques années d’errances entre Téhéran, Damas et Alger avant de prendre définitivement le chemin de l’exil à la fin des années 1970. Aujourd’hui établi à Londres, il reste, au moins dans la veine du « poème cadencé », la dernière grande voix arabe après la disparition de Mahmoud Darwich avec lequel il partage cette capacité à faire naître la poésie des événements du quotidien le plus ordinaire. En 2007, il a publié un nouveau recueil dont le titre résume peut-être le parcours de cet ancien militant du parti qui aura tellement vu changer le monde arabe entre sa jeunesse dans la Bagdad des années 1950 et l’occupation de son pays, aujourd’hui, par des troupes étrangères : Le dernier communiste entre au Paradis (الشيوعي الأخير يدخل الجنة).

Le dernier communiste (irakien) entre au paradis
L’année 2007 a également été marquée pour la littérature irakienne par la parution du troisième roman d’Ali Badr (علي بدر), un poète passé à la fiction en 2001 avec Papa Sartre, un tableau caustique des militants du marxisme et de leurs relations compliquées avec le “pape” de l’existentialisme (le livre, qui reste à traduire en français, vient de l’être en anglais). Dans Courir derrière les loups (الركض وراء الذئاب), fiction habile comme toujours chez cet auteur, Ali Badr retrace la destinée compliquée des communistes irakiens fuyant les persécutions de Saddam Hussein et se retrouvant en Afrique, dans des combats plus ou moins douteux, aux côtés de Mengistu, ancien chef d’Etat, soutenu par le bloc soviétique, de l’Ethiopie, aujourd’hui réfugié au Zimbabwé. Quant aux loups auxquels fait allusion le titre, il s’agit de certains de ces anciens communistes devenus fauves prédateurs pour pouvoir survivre.

Intimement liés à son histoire, le communisme et ses acteurs locaux n’ont pas fini de hanter la littérature arabe contemporaine. Cependant, à l’heure où les voix des poètes, plus ou moins désabusées, s’éteignent les unes après les autres, il est clair que c’est davantage au tour des romanciers de tenir la chronique, par leurs œuvres, des mutations idéologiques du monde arabe.


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