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1955 : Le Mans ne sera plus jamais pareil

Par Vinz

On est le 13 juin 1955. C’est la fête au Mans. Comme chaque année, la foule se presse aux entrées et on annonce un record avec 250.000 personnes. Les gens sont venus en famille, emmenant femmes et enfants pour leur faire découvrir la magie de l’épreuve.

L'envol de la Mercedes

L'envol de la Mercedes

Il faut dire que le duel qui doit opposer Jaguar et Mercedes est alléchant, arbitré par Ferrari. Ce duel prolonge aussi celui qui se déroule en Formule 1 puisque le Britannique Mike Hawthorn pilote la Jaguar et l’Argentin Juan-Manuel Fangio la Mercedes. Le premier est le dauphin du second au titre de champion du monde. Quant à la Ferrari, elle est entre les mains de Castelotti. Les deux premiers se livrent une lutte acharnée depuis près de 2 h ½. Les spectateurs guettent leur passage dans la ligne droite des stands. Après un départ délicat, Juan Manuel Fangio multiplie les records et se rapproche inlassablement de son adversaire. Le suspense est haletant, les spectateurs se ruent auprès des barricades ; il l’est aussi dans les habitacles où la vitesse est vite oubliée, seul reste l’enjeu.

2 - Une véritable bombe fonce vers le public

Une véritable bombe fonce vers le public

Pierre Levegh, sur l’autre Mercedes est intercalé entre les deux premiers, avec un tour de retard ; il vient de se faire doubler par le Britannique. Le trio fonce sur l’Austin-Healey n° 26 de Lance Macklin bien plus lente. La Jaguar le double mais se rabat aussitôt pour entrer dans son stand de ravitaillement (situé au bord même de la piste). Devant cette manœuvre inattendue, Macklin doit freiner brutalement, sa voiture n’est pas équipée d’un système de freinage aussi perfectionné que les grandes marques. Son véhicule fait un léger travers. Pierre Levegh, qui arrive sur sa gauche pour le doubler, ne peut éviter de l’accrocher, n’ayant plus de place entre son adversaire et le mur de terre. Fangio arrive d’un peu plus loin pour doubler aussi ; il ne doit sa vie qu’à son équipier qui aura tout juste le temps de le prévenir : "J’allais bientôt doubler Pierre", confiait encore sous le coup de l’émotion, le champion du monde. "Il a levé le bras, j’ai compris qu’il y avait un danger. J’ai aussitôt freiné et j’ai réussi à passer. Je lui dois la vie" révélait l’Argentin.

La panique dans le public

La panique dans le public

Pendant ce temps, la Mercedes de Levegh, après avoir arraché la roue arrière gauche de l’Austin, se met en crabe et se plante, en flammes, sur le talus de protection. Mais la voiture est désintégrée ; le bloc-moteur et le train avant filent comme une fusée dans le public, fauchant nombre de spectateurs. Pierre Levegh git sur la piste, aux côtés des restes de sa Mercedes. Le bilan officiel fera état de 82 morts, 93 après quelques jours et le décès des blessés les plus graves.

La direction de course décidera finalement de ne pas arrêter l’épreuve afin de ne pas perturber le travail des secours et leur va-et-vient continuel sur les routes de la Sarthe.

Le corps du pilote git sur la piste

Le corps du pilote git sur la piste

Parmi les responsabilités, la manœuvre de Hawthorn sera particulièrement visée, tout comme la réaction de Macklin. Le carburant utilisé par les Mercedes fera aussi l’objet de suspicion : l’onde de choc causée par l’explosion de la Mercedes aurait pu tuer plus de personnes que les débris lancés dans le public. Autre sujet de réflexion : était-il prudent de laisser sur la même piste des véhicules aux vitesses si différentes comme les Jaguar, Mercedes ou Ferrari atteignant les 240 km/h sur le lieu de l’impact et l’Austin-Healey ne dépassant pas les 180 km/h au même endroit ?

On accusera finalement la fatalité et la course reprendra rapidement ses droits. Sauf pour Mercedes qui se retirera vers 2 heures du matin, à une heure où Fangio avait rapidement repris largement la tête de la course. Ce retrait des Flèches d’Argent empêchera aussi toute enquête sur ces véhicules et leur carburant. Mike Hawthorn aura désormais la piste libre pour enlever cette édition fatale des 24 Heures du Mans.

5 - Des images de désolation

Des images de désolation

Jacques Grelley, passionné de course automobile raconte l’accident qu’il a vécu de près, parmi les spectateurs : « A l’impact, le pilote est éjecté tandis que la voiture explose littéralement, projetant train avant, capot et moteur vers les gradins. Dans un vacarme assourdissant, je me retrouve au sol. M’a-t-on poussé ? Me suis-je laissé tomber ? Je ne sais plus… Quand je me relève, quelques secondes plus tard, je n’y vois plus de l’œil gauche. Un fragment de cerveau obstrue mon verre de lunettes. Mes mains et ma chemise sont maculées de sang… mais je n’ai rien. Je suis indemne. Autour de moi, c’est le chaos. Des dizaines de corps gisent sur le sol. A mon côté, mon infortuné compagnon, avec lequel j’étais épaule contre épaule quelques instants plus tôt, est décapité. Ses jumelles sont toujours autour de son cou, mais sa tête n’y est plus. Traumatisé, je me mets à errer sur le circuit alors qu’infirmiers, prêtres et pompiers s’affairent auprès des blessés. »

C’est en tout cas, à partir de cette date qu’on va commencer à penser à la sécurité des circuits. Pour celle des pilotes, il faudra encore attendre pas mal de morts…

Mike Hawthorn décèdera lui aussi au cours d’un accident, le 22 janvier 1959… sur une route de campagne, au volant de sa Jaguar personnelle. Une course improvisée avec un ami sur une route de tous les jours semblerait lui avoir coûté la vie.

Quant à Pierre Levegh, Pierre Bouillin de son vrai nom, il cherchait depuis longtemps à s’illustrer au Mans. En 1938, il casse à 7 h du matin ; en 1952, au volant d’une Talbot, et seul pilote de son véhicule, il échoue à 70 mn de l’arrivée, sur bris mécanique à nouveau, laissant la victoire à… Mercedes… qui ne l’oubliera pas, 3 ans plus tard, et lui confiera ce maudit volant alors qu’il atteint les 50 ans.

Hasard du destin, alors que Mercedes laissera passer des décennies avant de revenir au Mans, l’édition 1999 les touchera de nouveau de plein fouet avec l’envol de ses deux voitures du Team AMG, dans la courbe avant le virage Indianapolis puis dans la ligne droite des Hunaudières, pour des problèmes de stabilisateurs. Les deux pilotes, Marc Webber et Peter Dumbreck seront heureusement indemnes, mais la marque décidera une nouvelle fois de renoncer à son programme de développement des voitures de sports prototype.

Une vidéo aussi pour mieux se rendre compte des courses à une époque où les stands se situaient à même la bordure de piste :


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