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Comment marche une clinique privée?

Publié le 28 octobre 2009 par Yann Frat / Un Infirmier Dans La Ville

Note importante: Le texte qui suit est basé entièrement sur mon expérience personnelle et subjective de soignant (j'ai travaillé 5 ans en cliniques privées, dans différentes structures et j'ai forcement de nombreux liens chez les soignants), il n'a cependant pas pour vocation de diffamer, stigmatiser ou de mettre toutes les structures privées "dans le même sac" des structures avec le profit comme objectif ultime. Pas de généralisation donc, cependant je fais mienne p pour une fois la célèbre formule "les faits sont sacrés, les commentaires sont libres" et je laisse à chacun le soin de tirer ses propres conclusions...

Lundi soir, j'ai vu le document sur le suicide au travail et d'un coup, plusieurs choses me sont revenues en mémoire, en particulier sur le fonctionnement d'une clinique privée... Alors dans la série "les questions que vous ne vous posiez pas" en voici une : comment marche une clinique privée?

J'imagine que, naïfs comme moi (oui j'aime à vous imaginer aussi naïfs que moi) (et en plus ça me rassure ;) ), vous pensez que le bon docteur z qui vous opère dans la clinique des "lapins bleus" (et j'espère qu'aucune clinique en France ne s'appelle comme ça ;)) ) est un salarié de la dite clinique... Que nenni!!!! Sachez le, le fonctionnement d'une clinique privée est plus complexe que ça...

1- Dans une clinique privée qui paye quoi, qui paye qui?

Quand un médecin (en général un chirurgien) a un service dans une clinique, se sont en fait deux entreprises qui interviennent ensemble :

- La société de gestion de la clinique qui loue au chirurgien les locaux, le matériel et le personnel (oui c'est à savoir: les infirmiers en cliniques sont loués aux médecins en même temps que les draps et les bassins... Oui au début ça fait un peu mal à l'égo mais c'est comme ça...)

- Le médecin (en général réunit par deux ou trois en association) qui vous opère/soigne puis encaisse les payements de ses actes par vous ou par la sécu (ou les deux) et qui en contre partie, verse le loyer à la société de gestion de la clinique.

Jusque là tout va bien donc. Sauf que nous sommes dans une entreprise privée dont le but est le profit, et les infirmiers (le personnel en général d'ailleurs ne soyons pas totalement poujadiste) en font parfois les frais.

2- Clinique privée, la course au profit ?

Pour les médecins le constat est simple : ils payent pour l'accès aux lit une somme fixe, leur intérêt est donc de les remplir au maximum (un lit vide "coute" de l'argent au médecin et ne lui rapporte rien) puisqu'ils ne commencent à gagner de l'argent qu'une fois payé ce fameux loyer à la clinique (et au delà...).

D'autre part les actes qu'ils font sont souvent cotés précisément par la sécu (c'est ce qu'on appelle par exemple le "K chirurgical" : une opération précise est payée une somme fixe). Or pour une même opération, le chirurgien est payé la même somme quels que soient le nombre de jours d'hospitalisations (c'est le fameux "payement à l'acte"). Donc le médecin/chirurgien a tout intérêt à ce que les patients partent "le plus vite possible" après l'intervention. Par exemple il est plus "profitable" pour un chirurgien en 6 jours d'opérer deux prothèses et de les garder 3 jours, que d'opérer une seul prothèse et de la garder 6 jours au lit... Sauf nécessité impérieuse cela va sans dire.

Dans le même ordre d'idée, un lit occupé par un convalescent rapporte toujours un peu plus qu'un lit vide. Donc les jours où il n'y a pas de bloc ou pas d'entrée  (le samedi par exemple), un convalescent vaut mieux que rien...

Pour la société de gestion de la clinique l'équation est un peu différente : Ils doivent proposer des loyers compétitifs à leurs médecins (qui sinon vont soigner/opérer ailleurs ) et leur marge doit donc tenir entre ce prix de location et le coût réel qu'elle implique.Pour augmenter sa marge la société de gestion de la clinique doit donc réduire ses coûts au maximum ( or ses coûts couvrent le personnel et l'hôtellerie en gros).

Pour cela, par exemple, elles peuvent choisir les menus les moins chers à vous proposer, prendre le matériel le moins cher pour les soins (y compris du savon à l'acide... Histoire vécue et semi syncope de mon dermato en voyant mes mains) ou réduire au maximum la charge salariale bien sûr...

Résultat des courses :

- Le personnel naïf qui croit comme tout le monde être mieux payé en clinique privée, se retrouve avec des salaires identique voire plus bas qu'à l'hôpital (sans en plus les avantages sociaux et syndicaux), avec des services toujours pleins et surtout (puisqu'aucun texte ne fixe précisément le nombre de personnel par service de soin (excepté en réa)...) en nombre bien moindre qu'à l'hôpital (en général un infirmier du privé gère en gros 1.5 fois plus de patients par service que dans un même service à l'hôpital) (chiffre tirés de mon expérience personnelle, absolument non scientifique je le reconnais...) 

- Le patient naïf qui croit être mieux traité en clinique qu'à l'hôpital se retrouve lui, parfois, avec des prestations hôtelières "low cost" et est gentiment prié de quitter le service "dés que possible"... Et quand il n'est pas content il s'exprime auprès du personnel de service... qui par définition ne peut rien faire...

Résultat des courses bis, et élargissement du problème :

- Quand un membre du personnel est absent, par culture, par soucis de faire bien quoi qu'il arrive (et parce qu'ils n'ont souvent pas le choix...) le personnel restant travaille plus et couvre le manque.
A la fin de la journée ils récoltent alors (au mieux!) un merci, et la confirmation implicite qu'avec un de moins ça tourne quand même...
Quant au salaire journalier économisé ce jour là... a qui profite-t-il ?

(je vous laisse réfléchir...)

Conclusion provisoire : Alors quoi? Je suis un méchant marxiste qui refuse que les médecins gagnent de l'argent, qui est allergique au profit? Même pas et l'idée du profit dans les soins ne me choque pas du tout.

Cependant je me demande par qui et où est fixée la limite entre le désir de profit et le respect minimal dû aux patients... et aux soignants... D'autre part dans ces système de soins de plus en plus tendus et standardisés pour réduire les coûts, quelle part fait on aux plus fragiles, aux plus vieux, à ceux qui ont besoin d'un peu plus de soins que la "normale"?


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