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Identité Nationale

Publié le 29 octobre 2009 par Jlhuss

besson.1256681233.jpgVoilà un sujet que les Français ont toujours eu honte d’aborder, tout en en frémissant d’envie. Pendant longtemps, à chaque fois que j’ai entendu prononcer ce mot, je ne me suis pas senti concerné (efficacité des discours de Le Pen : je ne me considérais pas comme autorisé à m’interroger sur ma « Francitude » or not). Pendant longtemps, à chaque fois que je faisais la connaissance d’une personne, je redoutais la question “tu viens d’où?” et cette demande bénigne, parfaite pour amorcer une conversation, me renvoyait dans les affres de l’identité : étais-je un bon Francomtois ? Devais-je raconter ma vie dans le détail ? Dire que j’étais d’ici et de là encore. Dire tout simplement que j’habitais Pont-de-Roide en restant muet sur tout le reste ?

peugeot.1256681465.jpgMon père recruté par les usines Peugeot, à travers les comptoirs d’embauche implantés dans le Moyen Atlas marocain, est arrivé en France en 1973. J’ai grandi sans lui auprès de ma mère et de mon grand-père, je savais vaguement que mon père était là-bas, en France. Grâce au regroupement familial, je suis arrivé en France, avec ma mère et ma petite sœur, en 1980. J’avais 7 ans. Je ne savais pas parler Français. Tout était neuf, à la fois exaltant et effrayant. Excusez cette introduction un peu longue et très personnelle, mais je veux vous faire ressentir combien ce sujet est complexe : il a d’abord des répercussions personnelles avant d’avoir un écho collectif. Plus l’histoire personnelle est compliquée, plus le rapport à l’identité l’est. Par ailleurs, elle démontre que l’identité se définit d’abord par rapport à l’autre, à son questionnement, à l’image que les autres vous donnent de vous-même.

fromage-comte.1256681640.jpgPendant longtemps, donc, j’ai attendu que l’on m’accepte dans le cercle, de faire partie du club, d’être Français. Une éducation dans l’école républicaine, la laïcité, une attitude active à essayer de se comporter « comme il faut », mais rien, pas de signe d’accueil. Il faut dire que la région où j’ai grandi n’est pas l’une des plus ouvertes, son identité à elle est très forte, régionale, un terroir français, frontalier qui plus est donc, prudent.

Un espoir avec Mitterrand qui promettait le droit de vote aux immigrés et une déception qui demeure aujourd’hui. Une autre déception avec les promesses de 1987 de Chirac : un chèque de 100 000 francs aux immigrés qui repartiraient chez eux…C’était nous redire que nous n’étions pas français, que nous devions retourner « chez nous ». Dur. Je passe sur les discours lancinants de Le Pen sur « les immigrés », leurs maux, leurs pestes…

Pendant ce temps, les années passent à baigner dans la société. On absorbe sans même s’en rendre compte, on s’imprègne. Les « retours au pays » se font pendant les vacances. Le pays d’origine n’est en fait qu’une destination estivale. Lorsque l’on croit retourner « chez nous », on se retrouve dans la peau d’un touriste, tout juste de passage. On ne devrait plus parler d’immigrés d’origine maghrébine, mais de transméditerranéens. Les immigrés sont davantage constitués par leurs voyages, leurs parcours, leur aller et retour transumant, que par leur seul pays d’origine.

new-york-16.1256682058.jpgC’est lors d’un échange universitaire avec les États-Unis, confronté à une troisième culture, que l’on fait le tri. Les voyages sont formateurs, c’est indéniable. Un jour, on est assez grand et assez mûr pour se dire que ce n’est pas à l’autre de vous dire qui vous êtes et si vous en êtes ou pas. Dans l’autre sens, vous êtes assez fort pour dire au groupe auquel vous apparteniez qu’il n’y a pas « trahison », que vous avez acquis les références de la société « d’accueil » sans avoir oublié, ni même nié les origines. Ce jour-là, on est prêt à affirmer qu’on est français, parfois plus que le français moyen d’ailleurs, parce qu’on l’a voulu, parce que l’on a une vision du monde enrichie par un vécu et une culture différente.

On comprend une chose sur ce chemin : c’est que l’école est importante, peut-être même le seul véhicule pour avancer. L’école donne les mots et les bagages pour être capable de mener une réflexion, pour exprimer les choses avec nuance (c’est ce dont manque le discours sur l’identité de manière générale). Tout en avançant là, il faut aussi s’être approprié son passé et celui de ses parents, en être fier. Si l’on avance pas sur ces deux pieds, on bute face à l’incapacité de pouvoir se raconter et cela conduit à la violence. ecole-a-l-ancienne-2.1256681860.jpgL’école est importante, mais ne méprisons pas l’un des principaux vecteurs d’intégration : celui qui m’a appris le Français, tandis que l’école n’y parvenait pas encore : La télévision. Cet outil, dans les années 80, poursuivait et complétait le travail entamé par l’école. Il participe à consolider le socle commun avec l’ensemble de la population française. Certes, la qualité des programmes, l’avènement des antennes paraboliques et donc l’accès aux chaînes de télévision des pays d’origine, ne lui permet plus d’effectuer un travail aussi efficace, mais c’est un outil !

Permettez-moi aussi une petite digression sur le mot « intégration » derrière lequel on se cache. La France se targue « d’intégrer » parce qu’elle a peur d’employer le mot véritable : l’assimilation. On peut parler d’intégration sur une période courte, mais à terme, « l’intégration » n’est qu’une étape qui mène invariablement vers « l’assimilation » sur une, maximum deux générations. Qu’elle l’assume ! Pour ma part, je n’y vois pas d’inconvénient. Le temps et la maturité m’ont fait accepter cette dilution, cette petite part de moi-même qui s’effacera, dans le grand chaudron national.

Je vais conclure car ce mot est bien trop long, l’identité comme les humains qu’elle concerne est une notion dynamique. Elle évolue au fur et à mesure des situations, des rencontres, de l’âge, des états de la vie. L’identité est tout sauf une notion statique. C’est un sentiment fugace qui disparaît à la minute même où l’on cherche à la définir.

Mustapha

[ComEdité paru sur la note : “La crise de l’identité nationale “]

A la suite de ce commentaire, l’auteur de la note initiale avait souhaité publier une réponse : 

jpsplume1.1256684188.jpgLe témoignage de Mustapha est émouvant. Quel beau texte ! Mustapha a raison : nous évoquons l’intégration ; c’est d’assimilation dont nous devrions parler. Mais nous avons peur de nous-même. De ce qui nous sommes ensemble. « L’intégration n’est qu’une étape qui mène invariablement vers l’assimilation sur une, deux générations ». Et Mustapha d’ajouter, dans une formule qui rejoint, de nos jours, l’idéal républicain de Paul Bert- et qui me comble : j’accepte « cette dilution, cette petite part de moi-même qui s’effacera, dans le grand chaudron national ». Tel était le creuset républicain. Il est aujourd’hui menacé. J’ai entrepris une biographie de Paul Bert : « Paul Bert, l’idéal républicain ». Député d’Auxerre de 1872 à 1886 – date de sa mort-, disciple de Gambetta, ministre de l’Instruction publique et des Cultes dans le ‘’grand ministère’’ de ce dernier, il a fondé la République sur l’école laïque, « lieu où se cimente l’unité nationale, où la langue commune, l’instruction commune, où le respect et l’amour de la patrie, de ses institutions, de ses lois, où les bases de la démocratie enseignées en commun fondent, dans une merveilleuse sérénité, sans leur faire perdre leur caractère d’originalité, tous les éléments dont se compose la Nation ».

Paul Bert mettait en premier plan de l’instruction publique l’instruction civique, dont il a jeté lui-même les bases dans un manuel destiné aux instituteurs de France. Dans l’avant-propos de son manuel, Paul Bert résumait ainsi la mission de l’instruction civique et morale : « Si nous devons d’abord, dans l’école, former des hommes et des femmes dont l’âme, fortement trempée, ne subordonne pas l’idée de la morale aux croyances religieuses, notre premier souci doit être ensuite d’y former des citoyens ».  Selon lui, l’instruction civique est au-dessus de toutes les autres matières : les langues, la littérature, les sciences sont à son service. « Rien de tout cela n’est l’éducation : C’est la matière de l’éducation ; ce n’est pas l’éducation elle-même ». Cet objectif a été perdu de vue depuis plusieurs décennies, ce qui explique en partie la crise actuelle que nous vivons.

Fonder dans un ensemble des hommes et des femmes divers, qui conservent leur originalité, assument leur différence : je dédie cet objectif, qui fondait l’idéal républicain de Paul Bert, à Mustapha.

Jean-Pierre Soisson

Ancien Ministre d’Etat

Député de l’Yonne

Clin d’oeil de Makhno :


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