La grande névrose dépressive des intellectuels français.
Michael Christofferson est un jeune homme qui n’a pas vécu la période qu’il décrit et analyse dans son livre. C’est en pur historien qu’il s’est intéressé aux intellectuels français d’après guerre, des années 50 à la fin des années 70, avec le recul et l’objectivité conséquente que lui procure sa double étrangeté à l’objet de son étude : l’age et la culture nationale : il est américain, il n’a pas 40 ans. Il a choisi comme sujet de thèse un objet assez étrange et paradoxal pour un jeune historien américain. Il confesse y être venu par le biais de son intérêt initial pour la « période 68 » en France , mais la moindre des surprises que nous réserve ce jeune homme discret, souriant et sans prétention, c’est que travaillant seul dans sa chambrette, pendant plusieurs années, à la lueur tremblante de sa chandelle, sur la thèse qu’il préparait sous la houlette de Robert Paxton, et qui va devenir le « grand livre » de l’histoire des idées en France sur la seconde moitié du XXème siècle, il va réussir le même « coup de maître » que Paxton jadis sur « la France de Vichy » : révéler au Français (la suite de) leur propre histoire, soigneusement occultée jusqu’ici.
Pour parvenir à ce résultat il a fallu que le jeune historien travaille sérieusement et de manière très scrupuleuse. Ce qu’il fit, mais évidemment ça ne suffit pas à produire un tel effet de novation et d’accroissement des connaissances - au point qu’on peut parler de « révélation » - qu’à peine publié il a déjà a donné lieu à une importante recension. Une authentique révélation qui prend pour cible les fausses , et singulièrement une , que le futur lecteur du livre saura apprécier comme il se doit. En réalité, le livre de Christofferson repose sur deux intuitions remarquables :
D’une part le rôle majeur de deux évènements dans l’histoire de la France d’après guerre : « mai 68 » et tout son pathos rapporté aux circonstances politiques et idéologiques de « l’union de la gauche » initiée 6 ans plus tard par le PS et le PC français, en tant que phases déterminantes (initiatrices) de ce que Lacan appelait la "grande névrose contemporaine" : la dépression.
Naturellement Michael Christofferson ne fait aucune référence à cette conception psychanalytique, que Lacan pouvait rapporter au corps social tout entier quand il qui affirmait qu’elle enferme son sujet dans l'impuissance et l'utopie, et au delà naturellement dans le déni et le refoulement. Comment pourtant ne pas voir qu’à l’évidence l’histoire que Michael Christofferson nous découvre , avec une impitoyable rigueur historiographique, s’organise bien autour d’une telle figure pathologique, avec la phase de montée progressive de la pulsion désirante (les années 60) , son apogée (68), puis aussitôt la frustration de l’inassouvissement (fin 68) , entraînant le déclenchement du processus névrotique dépressif avec toutes les modalités symboliques du refoulé qui dès lors seront convoquées (les années 70 ).
D’autre part la compréhension de la généalogie du concept/fantasme central de cette scène symbolique : le totalitarisme « à la française » et son envers , figure essentielle du refoulement : l’anti-totalitarisme, fédérateur de toutes les stratégies individuelles compensatoires des névrosés affectés.
Cette histoire là, bien différente de celle que nous serine depuis 30 ans la doxa relativiste et « morale » vulgarisée par nos « intellectuels» de cour, désormais hégémoniques en tant que parvenus aux postes de commande de l’appareil idéologique, cette histoire VRAIE, permet de comprendre enfin « comment on en est arrivé là » …
Car, dans une très large mesure, c’est « leur histoire », celle des renégats de tous poils , ex-communistes, ex-maoïstes, ex « compagnons de route » du parti, de la GP, etc. , toujours libertaires mais désormais libéraux et démocrates , dont la seule détermination consistante au fil du temps (avec l’opportunisme le plus narcissique) fut le rejet compulsif du marxisme auquel jadis , « dans l’enfance de l’age », ils avaient puérilement adhéré …
Nous parlons ici, évidemment des survivants, encore en charge de juteuses et gratifiantes sinécures, mais bien d’autres, très notoires ou un peu oubliés, ont disparu mais n’en ont pas moins participé activement à ce spectaculaire effondrement, tandis que d’autres encore y contribuèrent par leur effacement et/ou leur impotence théorique.
Ceux dont il ne sera guère question , et naturellement Michael Christofferson sait bien qu’il y en eut (et pas des moindres) et qu’il y en a encore, ce sont ceux qui ne purent renverser ce rapport de force névrotique et combattre un mouvement aussi massif et compulsif que cette grande névrose dépressive des intellectuels français d’influence . Ceux-là, des « résistants » et leur généalogie, peut-être, enfin, vont ils pouvoir reprendre le dessus ? Il est bien temps de commencer la cure.
Donc … il était une fois, dans un beau pays qu’on appelait « France » et qui sortait d’une longue et terrible guerre contre la tyrannie …
Urbain
