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Crise d’identité

Publié le 30 octobre 2009 par Variae

Il flotte dans l’air comme un parfum de 2007. A nouveau Nicolas Sarkozy, par l’intermédiaire de son ministre Eric Besson, met sur la table la question de « l’identité nationale », en appelant cette fois-ci à un grand débat national sur « les valeurs de l’identité nationale », pour savoir ce qu’être Français veut dire. Cette initiative tend à la deux fois deux pièges à la gauche. Le premier, celui de refuser le débat, en dénonçant cette idée comme une ruse politique et électoraliste – ce qu’elle est assurément – et en laissant ensuite le terrain libre à l’UMP pour décider seule du contenu de ces travaux, qui seront relayés avec toute la force non seulement du parti majoritaire, mais aussi de l’appareil d’Etat, ne nous y trompons pas. Deuxième piège : celui d’accepter le défi, mais en se rendant directement sur le terrain de la droite, et en acceptant les termes du débats tels qu’ils sont posés par Eric Besson. Pour être clair, le challenge de la gauche est le suivant : répondre à l’offensive, mais le faire en assumant, justement, son identité politique.

 

Crise d’identité

On pourrait rappeler que cette proposition d’Eric Besson tombe à point nommé pour la majorité, au moment où les controverses médiatiques s’enchaînent, au moment où le style présidentiel est de plus en plus en décalage avec les valeurs de son électorat de droite traditionnel, au moment où le FN pointe à nouveau le bout de son nez. Au moment, enfin, où les élections régionales se préparent. On pourrait encore s’interroger sur la pertinence d’employer un concept psychologique ou anthropologique – l’identité – pour parler de façon métaphorique d’une entité juridique et politique, une nation (jusqu’à preuve du contraire, une nation n’est pas une personne). On nous objectera sans doute que ce ne sont là que des échappatoires pour refuser d’affronter le cœur du sujet. Examinons-le.

On nous propose de débattre du contenu de l’identité nationale, des valeurs qui la constituent. Valeur : voilà un terme bien flou. Il peut renvoyer pêle-mêle à l’éthique individuelle, aux goûts culturels, aux croyances religieux, et pas seulement : dans ses déclarations, Eric Besson y associe même des symboles, comme la Marseillaise ou le drapeau français. Ce flou est somme toute logique : les valeurs sont du registre de l’individu et de l’intime, et peuvent donc couvrir toute la gamme infini des choix individuels. Il y a sans doute autant de combinaisons de valeurs, en France, qu’il y a de citoyennes et de citoyens. On peut être Français en aimant le « bling bling » ou au contraire en le détestant, en chantant avec joie notre hymne national ou au contraire en contestant ses accents martiaux. On peut être Français en pensant que la France, c’est « la terre », ou en pensant que la France n’est France que quand elle est métissée. Ce n’est pas à l’Etat de trancher sur ce sujet, fut-ce au terme d’un « grand débat » ; en affirmant le contraire, en allant jusqu’à dire qu’il faudrait inculquer de force aux élèves une histoire officielle, glorifiant arbitrairement certains épisodes, on glisse, peut-être sans s’en rendre compte, vers une conception dangereuse de notre société.

Alors où se trouve l’identité nationale ? Il suffit de revenir aux fondamentaux pour le découvrir. La France est un Etat de droit. Comme tout Etat de droit, elle repose – et même plus que d’autres – sur des principes, qui sont ceux de 1789, de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, et de notre constitution. Etre Français, c’est respecter les droits et les devoirs qui en découlent, et non pas se conformer à un corpus de « valeurs » déterminées par on ne sait qui, au nom d’on ne sait quoi. Gardons en mémoire que parmi les principes de la République, il y a justement celui de laïcité, qui postule notamment la liberté de conscience de tout citoyen, et qui exclut par conséquent de mesurer le degré de « francité » à l’aune, par exemple, de l’amour porté à la Marseillaise, ou de l’identification à tel ou tel moment de notre histoire nationale.

C’est parce la France est d’abord et avant tout un pacte politique et social passé entre ses citoyens, c’est parce qu’elle est une idée, qu’elle n’est d’une part pas strictement liée à un territoire géographique donné – de 1939 à 1945, la France est à Londres avec De Gaulle, pas à Vichy avec Pétain – et qu’elle a longtemps bénéficié, d’autre part, d’un rayonnement intellectuel et culturel à portée universelle.

Voilà une première ébauche de la position que les socialistes et la gauche devraient porter dans le débat qui s’annonce et qui s’amorce. On ne créera pas du consensus factice en essayant d’imposer à tous les Français une liste de valeurs validées en haut lieu, et ne faisant sans doute même pas l’unanimité dans le camp politique qui les portes. On ferait mieux d’ailleurs de s’interroger sur les raisons du dissensus croissant entre les Français des ghettos culturels, économiques, sociaux et le reste de la Nation ; dissensus né, justement, de la dégradation et de l’insuffisance de l’action publique dans les quartiers déshérités. Sécurité sociale, services publics : elle est aussi là, l’identité nationale, dans ces projets émancipateurs qui sont directement issus de nos principes républicains. Le combat pour la justice sociale (et donc la cohésion nationale) n’est pas étranger à l’interrogation sur la définition de la France ; il y est au contraire tout à fait central. A la gauche et aux socialistes d’en faire la démonstration pour répondre à Eric Besson.

Julien Dray et Romain Pigenel


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