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Le destin des femmes

Publié le 01 novembre 2009 par Memoiredeurope @echternach

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Après avoir cessé pratiquement d’écrire pendant des semaines, j’accumule deux notes coup sur coup. Il est vrai que pour une fois le week-end dépasse deux jours et que dans les rues de mon village, un peuple vêtu de noir s’en est retourné chez soi vers seize heures, comme des âmes en peine, après avoir quitté l’Abbatiale où la messe des morts a précédé celle des âmes, qui viendra demain.

J’ai pensé à mes propres âmes, aux plus proches, pourtant dispersées. Auraient-elles aimées que je me mêle à la foule endeuillée ? Je ne crois pas. Elles auraient aimé que je songe un instant à elles. Ce que j’ai fait. Et j’ai pris le temps d’écrire, ce qui est une manière de pensée destinée à tous ceux que j’aime.

Cette deuxième note concerne un autre livre. Chez le même éditeur, Gallimard. Il se trouve qu’il figure parmi la liste très restreinte de ceux qui demain devraient prendre le devant de la scène en recevant un prix prestigieux. Je ne devrais pas dire : je ne connaissais pas Marie Ndiaye avant de lire « Trois femmes puissantes. » Et pourtant cette femme jeune est déjà célèbre. Mais, pauvre de moi, le temps de lecture m’est compté et je cherche pour trouver, pas pour suivre des conseils. En un mot, je compte sur le hasard pour me frotter aux imaginaires multiples.

Peu importe l’origine du nom de cette auteure qui laisse supposer un imaginaire éloigné. Peu importe la notice qui souligne qu’elle connaît aussi bien Berlin, elle aussi, que Rome où la Villa Médicis l’a accueillie, ou encore la France profonde.

Ce roman, cloisonné en trois parties, comme autant d’enfermements, se présente comme le témoignage d’un esprit qui habiterait un temps le corps d’un être malheureux, avant de partager la peine d’un autre. C’est un livre d’empathie, troublant au point de faire penser parfois à la sorcellerie.

Si le romancier est souvent habité par ses personnages, c’est certainement qu’il les habite lui aussi un temps. Mais cet échange corporel et sensuel est fait de distance, parfois de mépris, et fort heureusement d’un tissu de pardons. 

Ici, on se trouve placé à la limite du supportable. Une femme en plein qui doit prendre entre ses mains la faute éternelle du père. Une autre femme en creux, que l’on devine dans les dérives schizophrènes de son mari. Une troisième, à peine vivante, que le sort jette sur les barbelés de la famine et de l’exil.

Et à chaque fois une musique intérieure tendue à l’extrême et pourtant résignée. Une musique comme notre parole, quand nous sommes seuls, quand nous chantons notre malheur, à l’abri de nos poumons, avant que les pleurs ne coulent.

Et une musique d’une beauté funeste, modulant une langue qui se lance parfois dans tous les dangers de la longue litanie où les adjectifs sont autant de césures entaillées au couteau dans la peau maquillée. 

Marie Ndiaye habite les êtres comme un esprit, parce qu’elle a compris qu’ils ne communiquaient pas vraiment et qu’en faire le portrait, un portrait aussi symbolique que vibrant, voulait dire les regarder de l’extérieur, mais depuis une autre âme avec laquelle ils ont établi des rapports de fascination, que cette fascination soit de l’amour, de la crainte ou du mépris.

Ecrire cela, c’est me délivrer d’une souffrance. J’ai en effet besoin de dire que ce livre m’a fait souffrir.D’abord dans son inexorable méfiance des hommes : pères, maris, amants, compagnons…Qu’elle les regarde agir ou ne pas agir, dans le reflet d’une glace où ils se détestent où dans l’œil de celles qui les méprisent, les hommes ou plutôt les mâles ne sont que des épaves grandioses qui veulent croire qu’ils peuvent faire encore un peu illusion.

Les femmes puissantes mourront certainement par devoir. Mais elles ne mourront pas sans avoir posé les cartes.  Cependant sur les ventres de ces héroïnes quotidiennes, le démon, là aussi, s’est assis.

Les mots doivent être d’autant plus précieux, comme des exorcismes, pour qu’elles puissent s’en dégager !

Photo : Delonix regia (Flamboyant). « Mais le voyant là debout dans ses tongs en plastique, sur le seuil de béton parsemé des fleurs pourrissantes qu’il faisait tomber peut-être lorsque, d’une aile lourde et lasse, il quittait le flamboyant, elle réalisa qu’il ne se souciait pas davantage de l’examiner et de formuler un jugement sur son allure qu’il n’eût entendu, compris la plus insistante allusion aux méchantes appréciations qu’il lançait autrefois. »


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