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MON BUREAU QUATRE ETOILES, Marie Claire, X-07

Publié le 15 septembre 2007 par Caroline Rochet
MARIE CLAIRE
"Mon bureau quatre étoiles"
Enquête sur les entreprises qui bichonnent leurs salariés
Octobre 2007


Coiffeur, crèche, pressing ou massages, de plus en plus d'entreprises françaises proposent à leurs employés le bonheur en room-service. Nouvel éden professionnel ou fourbe stratégie pour accentuer la pression ? Enquête.
"Traitez les gens comme des cochons et vous obtiendrez un travail de cochons", clamait l'écrivaine américaine Harriet Beecher Stowe. Sans aller jusqu'à comparer la machine à café de votre bureau à une auge à gorets, vous estimez peut-être ne pas faire partie de ces heureux Français bichonnés par leur entreprise. Un siège qui tord le dos, une cantine fleurant bon le pâté rance et 4% de réduc au Parc Astérix les jours de pluie, telle est toute la féérie de votre environnement professionnel ? Réjouissez-vous, ça peut changer.
TENDANCE QUALITÉ
Le concept de la qualité de vie au bureau comme enjeu de management a fleuri dans le nord de l'Europe et aux Etats-Unis il y a presque 20 ans, mais ne démarre vraiment ici que depuis deux ou trois ans. Fait significatif, cette année a eu lieu le premier Grand Prix de la Qualité de vie au Bureau, initié par Actineo* : de la meilleure architecture intérieure (MediaEdge, voir plus loin) à la meilleure politique de services aux salariés (L'Oréal, parce qu'ils le valent bien), cinq entreprises ont vu leurs efforts salués par un jury de professionnels. Ce mouvement, ultra tendance, répond à une nouvelle génération. Celle des femmes qui travaillent, des monoparents, mais aussi de ceux qui refusent de tout sacrifier pour leur carrière : cette année, les diplômés des grandes écoles déclarent souhaiter avant tout "l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée"*. Désormais, la qualité de vie au bureau est fondamentale pour 94% de salariés (TNS-Sofres), et 51% d'entre eux jugent les conditions de travail très importantes, juste derrière la rémunération (59%) (CSA). Pour Dominique Drillon, psychanalyste, psychologue et professeur à Sup de Co Montpellier, cela répond également au pragmatisme croissant de notre époque : "Aujourd'hui, la société ne fait plus des citoyens, mais des consommateurs. Cela se répercute dans le monde du travail : on veut obtenir le maximum d'un employeur, et ces services "wellness" en font partie."
AMBIANCE TROIS ETOILES
Et le "luxe" au boulot, ça ressemble à quoi exactement ? Un peu au quotidien d’un hôtel chic. Côté pratique, vive la conciergerie : au sein même de votre entreprise, telle une bonne fée, un "concierge" aux petits soins vous propose pressing, retouches, courses, baby-sitters, billetterie spectacles et voyages, livraisons de fleurs ... Demandez, vous serez exaucés. D'abord réservé aux grands groupes, ce type de prestations se démocratise : "Pour payer moins cher, les PME peuvent choisir d'avoir un concierge à mi-temps, ou virtuel : il n'est pas présent dans les locaux et tout se fait par téléphone ou internet", explique Anne-Marie Richier, directrice de Concierge Plus, conciergerie du Var oeuvrant sur toute la France grâce à son système de hotline. En plus de ces commodités matérielles, certaines sociétés proposent aussi des services moins basiques : coiffeurs, soins esthétiques, massages, sophrologie ... Beauté et détente font leur entrée dans la vie pro. Certains dirigeants ont même recours à des spécialistes Feng Shui pour faire circuler les énergies dans les locaux. Vous travaillez dans un clapier bruyant, paré d’une vieille moquette pro-allergies et de néons accélérateurs de dépression nerveuse ? Visitez donc Mediaedge, l’agence medias qui a remporté le Grand Prix de la Qualité de Vie au Bureau dans la catégorie "Architecture intérieure et mobilier". Mixant esprit nature et design épuré, on y trouve table d'hôtes et forêt de bouleaux à l'accueil, bibliothèque cosy, web-bar techno-rose, espaces de réunion acidulés ... "Les gens travaillent mieux dans un environnement qui leur plaît, explique Arnaud Serre, président de l'agence. Et ça ne coûte pas tellement plus cher." Autre atout bien-être de ces bureaux de luxe, l'ambiance : chez Google, tout le monde se tutoie, les réunions se font sur des "Fat-Boys" (gros poufs régressifs), les apéros sont une religion et des blagounettes troisième degré s'affichent dans les couloirs. C'est sûr, on n'aurait pas vu ça dans la boite de papa. Bien entendu, pour parfaire le tout, ces entreprises de demain n’oublient pas les crèches. Là encore, la France a du retard, mais grâce aux aides de l'Etat établies en 2004, le concept cartonne : " Entre les nouveaux schémas familiaux et les déménagements des compagnies loin des centre-villes, le problème de garde d'enfants concerne autant la province que l'Ile de France. Et grâce au système des crèches inter-entreprises où les grosses sociétés se mutualisent avec les petites, ça devient plus accessible", confirme Bénédicte Ranchon des Petits Chaperons Rouges, pionniers du genre qui comptent plus d'une centaine d'entreprises parmi leurs clients.
MOINS STRESSÉS, PLUS PRODUCTIFS ?
On saisit bien l'intérêt pour les employés. Et pour les employeurs ? L'équation est facile : des collaborateurs moins stressés, plus motivés et mieux soutenus, ça donne moins d'absentéisme, moins de turn-over, plus de productivité et une réputation plaqué or pour attirer les nouveaux talents. D’ailleurs, 92% des salariés estiment que le cadre professionnel influence leur efficacité, et 89% leur motivation (TNS-Sofres). Mais attention, sans un bon climat social général, c'est risqué. Marie-Antoinette Klein, du laboratoire pharmaceutique Lilly (Alsace), insiste : "Chez nous, la "boutique des services" est l'épiphénomène de toute une façon de penser. Diversité, égalité hommes/femmes, mobilité interne et horaires flexibles, tout est fait pour que les salariés se sentent respectés." Mais chaque médaille a son revers : "Si le don est clair, le contre-don n'est pas régulé. Bien sûr, rien n'est imposé officiellement, mais si le salarié sait que le linge propre attend au rez-de-chaussée et que les enfants sont gardés jusqu'à 19h, n'a-t-il pas "gagné" le temps de rester plus tard à son poste ? Du coup, une pression peut se développer, engendrant horaires et charges de travail accrus", alerte Cécile Charlap, sociologue. Le véritable danger ? La porosité grandissante entre vie professionnelle et vie privée : "Gardés au sein de l'entreprise, les salariés n'ont plus l'espace dont ils ont besoin pour une distance critique vis-à-vis de l'organisation. Et désormais, en plus de rapporter du travail chez eux le soir, ils emmènent leurs enfants et leur linge sale au bureau ! Ce flou entre l'identité au travail et l'identité hors-travail peut être déstabilisant, voire anxiogène pour l'individu". Alors, ces employés chouchoutés, comblés ou déçus ? Trois intéressées nous ont répondu.
(*Observatoire de la Qualité de Vie au Bureau)
(*étude d'Universum Communications)
FLORENCE, 30 ANS, EN COUPLE
RESPONSABLE PARTENARIATS CHEZ GOOGLE (PARIS)
Je suis arrivée chez Google il y a six mois, et j'avoue être conquise par le fonctionnement. Tout est fait pour favoriser le contact : la hiérarchie est ultra plate, le tutoiement généralisé, des apéros champagne ont lieu chaque vendredi, et comme le self est bon et gratuit, on s'y retrouve souvent. Les bureaux sont design et spacieux, il y a plusieurs coins cuisine pour les pauses (en-cas et boissons en libre-service), une salle de jeux, un siège de massage ... Sans oublier une mutuelle fabuleuse. Bien sûr, nous sommes conscients que ces avantages sont là pour nous motiver et obtenir de nous une efficacité maximale. Nos objectifs professionnels sont très difficiles. Mais ceux qui travaillent ici ont parfois passé jusqu'à 12 entretiens pour obtenir leur job, ce sont de toutes façons de vrais passionnés. Un bémol ? Toute cette nourriture gratuite : gare aux kilos ! Heureusement, l'entreprise offre aussi un vélo à tout le monde ...

MARIELLE, 35 ans, MARIÉE, UN ENFANT, ENCEINTE DU DEUXIÈME
RESPONSABLE FINANCES CHEZ LILLY, LABORATOIRE PHARMACEUTIQUE (ALSACE)
Mon obsession ? Gagner du temps ! C'est pour ça que j'utilise beaucoup le « Bureau des services » de mon entreprise, aussi appelé « l’usine à vivre » : situé dans nos locaux, c’est une sorte de petit centre commercial et administratif, personnalisé et très pratique. Moi qui habite un village dépourvu de banque, je peux y retirer de l’argent au distributeur, mais aussi profiter des permanences de la Poste, la Caisse d'Allocations Familiales ou la Sécurité Sociale : un vrai luxe ! J'utilise également les services du garagiste, qui vient sur rendez-vous pour toute réparation ou révision, et de la couturière, présente à jours fixes. Mais le top, c'est le panier bio : une ferme voisine nous livre chaque semaine des fruits et légumes biologiques, ce qui permet de zapper le marché le samedi matin ... Je pense que ce type d'initiatives devrait être encouragé partout, surtout maintenant que tant de femmes travaillent. Personnellement, je ne le ressens pas comme un substitut au salaire ou un moyen de pression : ici, la culture d'entreprise est vraiment respectueuse des employés. Oui, je sais, j'ai de la chance !
DOROTHEE, 43 ANS, EN COUPLE, UN ENFANT
TECHNICO-COMMERCIALE CHEZ L'ORÉAL (LEVALLOIS)
Chez nous, la conciergerie s'appelle "L'espace-beauté". Elle me fait penser à un mini-village en interne : on y trouve des services pressing, retouches, cordonnerie, billetterie, un mini-marché (pratique pour acheter en dernière minute du vin ou des bas), mais aussi un coiffeur et une esthéticienne. Ce qui m'a rendue addict, outre les tarifs compétitifs, c'est évidemment le gain de temps, et ... l'effet anti-stress ! Aujourd'hui, on court tous après ça, non ? Tout le monde ne travaille pas à Paris avec des commerces à proximité. Ne pas prendre sa voiture pour aller faire une course ou éviter de faire la queue pour obtenir un visa, c'est du souci en moins. Evidemment, ça nous aide à mieux travailler, et renforce notre lien avec l'entreprise. Mais je crois que nous sommes tous conscients de notre responsabilité et de notre charge de travail, services ou non ... Personnellement, j'y vois plus un énorme avantage qu'un quelconque moyen de pression. Surtout quand je vais me faire coiffer en plein milieu de l'après-midi !


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