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BusinessWeek : Les Médicaments Anti-Cholestérol ont-ils la moindre utilité ?

Publié le 11 avril 2008 par Phil443

Business-week   Story January 17, 2008, 10:00AM EST  

  

La recherche indique que, sauf pour les patients cardiaques à haut risque, les bienfaits des statines sont surévalués  

Page en anglais : http://www.businessweek.com/magazine/content/08_04/b4068052092994.htm  

Par John  Carey

* ndlr : le NNT (Number Needed to Treat) est le Nombre de personnes Nécessaires à Traiter pour obtenir un résultat. Exemple : pour éviter une crise cardiaque à une personne, 100 personnes ont dû prendre du Lipitor durant plus de trois ans. Les 99 autres n'en n’ont pas tiré de profit mesurable.  Le Nombre Nécessaire à Traiter pour qu’une seule personne bénéficie du Lipitor est de 100, ce qui signifie que le rendement de ce médicament est très bas. Plus le NNT est important, moins le rendement d’un médicament est bon.  

Le taux de cholestérol de Martin Winn augmentait légèrement. En montant des collines à vélo, il a senti des douleurs thoraciques qui pourraient être de l'angine de poitrine. Alors, lui et son médecin ont décidé qu'il devrait prendre un médicament hypocholestérolémiant appelé statine. Il était en bonne compagnie. Ces médicaments sont les remèdes les plus vendus dans l'histoire**, produisant 27,8 milliards de $ de chiffre d'affaires en 2006. Dont la moitié pour Pfizer (PFE) pour sa  statine-vedette, le Lipitor.  

(**) ndlr : 7 millions de personnes en France consomment des hypocholestérolémiants et des dizaines de millions dans le monde…    

Les statines ont certainement joué leur rôle comme prévu pour Winn, abaissant son taux de cholestérol de 20%. « Je suppose que je vais obtenir une plus longue durée de vie », a dit le machiniste à la retraite à Vancouver, à maintenant 71 ans. Mais ici, l'histoire prend une autre tournure. Le médecin de Winn, M. James Wright, n'est pas un médecin de famille ordinaire. Professeur à l'Université de la Colombie-Britannique, il est également directeur de l’Initiative Thérapeutique financée par le gouvernement, dont le but est d’examiner de près les données sur certains médicaments et notamment de déterminer leur efficacité.  Alors que Winn  commençait son traitement, l'équipe de Wright analysait les résultats d'années d'essais avec les statines et elle n’a pas aimé ce qu'elle a trouvé.  

Oui, Wright a vu que les médicaments pouvaient sauver des vies chez les patients qui avaient déjà subi des crises cardiaques, réduisant quelque peu les chances d'une rechute qui pourrait conduire à une mort précoce. Mais Wright a eu une surprise quand il a examiné les données pour la majorité des patients, comme Winn, qui n'ont pas de maladie cardiaque. Il n'a trouvé aucun bénéfice chez les personnes de plus de 65 ans, quel que soit l’abaissement de leur taux de cholestérol, et aucun avantage pour les  femmes de tout âge. Il a observé une petite réduction du nombre de crises cardiaques pour les hommes d'âge moyen de prenant des statines dans les essais cliniques.  

Mais même pour ces hommes, il n'y avait pas de réduction globale de nombre total de décès ou de maladies nécessitant une hospitalisation - en dépit d’une importante diminution du «mauvais» cholestérol. « La plupart des gens prennent quelque chose sans aucune chance de bienfait et avec un risque de dommages », affirme Wright. Sur la base des éléments de preuve, et le fait que Winn n'a pas vraiment d'angine de poitrine, Wright a changé d'avis sur le traitement de Winn par statines et Winn, aussi, en a été persuadé. « Parce que il n'y a pas de bienfait apparent », dit-il, « je n’en prends plus ».  

Attendez une minute. Les Américains sont bombardés avec le message des médecins, d'entreprises, et des médias disant que des niveaux élevés de mauvais cholestérol sont le ticket pour une aggravation précoce et qu’ils doivent être abaissés. Les statines, le message continue, sont les plus puissantes armes dans ce combat. Les médicaments sont censés être tellement essentiels que, selon les directives gouvernementales officielles du National Cholesterol Education Program (NCEP), 40 millions d'Américains devraient les prendre.

Certains chercheurs ont même suggéré – en ne plaisantant qu’à moitié - que ces médicaments devaient être mis dans l'approvisionnement en eau, comme le fluorure pour les dents. Les statines sont vendues par Merck (MRK) (Mevacor et Zocor), AstraZeneca (AZN) (Crestor), et Bristol-Myers Squibb (BMY) (Pravachol), en plus de Pfizer. Et il est presque impossible d'éviter les rappels de l'industrie disant que ces médicaments sont d’une importance vitale. Une campagne télévisée et de journaux pour une statine, approuvée par le Dr Robert Jarvik, inventeur du cœur artificiel, proclame que ce médicament « réduit le risque de crise cardiaque de 36% … chez des patients atteints de multiples facteurs de risques pour les maladies cardiaque ».  

Alors, comment peut-on mettre en question les avantages d'un tel médicament?  D'une part, de nombreux chercheurs portent des doutes quant à la nécessité de faire baisser le taux de cholestérol, en premier lieu. Ces doutes ont été renforcés le 14 janvier(2008)lorsque Merck et Schering-Plough (SGP) ont révélé les résultats d'une étude dans laquelle un médicament hypocholestérolémiant très répandu, une statine, a été enrichi par un autre, le Zetia, qui fonctionne par un mécanisme différent. La combinaison devait réussir à réduire le cholestérol des patients plus qu’avec la statine seule. Mais même après deux années de traitement, les réductions supplémentaires n’ont apporté aucun bénéfice de santé.     Faisons les calculs 

Le deuxième point essentiel est caché au beau milieu de la propre annonce du Lipitor dans les journaux. Le chiffre spectaculaire de 36% a un astérisque. Lisons les petits caractères. Il est écrit: « Cela signifie que dans une grande étude clinique, 3% des patients prenant une pilule de sucre ou de placebo ont une crise cardiaque comparés à 2% des patients prenant Lipitor. »  

Maintenant, faisons de simples mathématiques. Les chiffres dans cette phrase signifient que pour chaque 100 personnes de l’étude, qui a duré 3 ans 1/2, trois personnes sous placebos et deux personnes sous Lipitor ont eu une crise cardiaque. La différence est due au médicament ? Moins d’une crise cardiaque pour 100 personnes. Alors, pour éviter une crise cardiaque à une personne, 100 personnes ont dû prendre du Lipitor durant plus de trois ans. Les 99 autres n'en n’ont pas tiré de profit mesurable. Ou pour mettre cela en termes de statistiques utiles, le nombre nécessaire à traiter (ou NNT) pour qu’une personne en bénéficie est de 100.  

Comparez cela avec, par exemple, la norme actuelle de la thérapie antibiotique pour éradiquer l'ulcère provoqué par la bactérie de l’estomac H.pylori. Le NNT est de 1,1. Donnez les médicaments à 11 personnes, et 10 seront guéris. Un faible NNT est le type de réaction efficace que les patients attendent des médicaments qu'ils prennent. Lorsque Wright et d'autres d'expliquent aux patients sans maladie cardiaque antérieure que seulement 1 sur 100 d’entre eux est susceptible de tirer un bénéfice de la prise de statines durant des années, la plupart sont étonnés. Beaucoup, comme Winn, choisissent d’arrêter.  

De plus, il y a des raisons de croire que les avantages globaux pour de nombreux patients est encore inférieur à ce que le score NNT de 100 suggère. Ce NNT a été déterminé dans une étude parrainée par l’industrie sélectionnant soigneusement des  patients avec de multiples facteurs de risques, qui comprennent l'hypertension artérielle ou le tabagisme.

En revanche, le seul grand essai clinique financé par le gouvernement, et non par des compagnies, n'a trouvé aucun bénéfice statistiquement significatif. Et parce que les essais cliniques eux-mêmes souffrent de préjugés potentiels, les résultats annonçant de légers bienfaits sont toujours incertains, explique le Dr M. Nortin Hadler, professeur de médecine à l'Université de Caroline du Nord à Chapel Hill, critique de longue date de l’industrie pharmaceutique. « Tout au-delà d’un NNT de 50 est pire que un billet de loterie, il n’ aura pas de gagnants », a t-il fait valoir. Plusieurs documents scientifiques récents fixent le NNT pour les statines à 250 et au-delà pour les patients ayant un risque inférieur, même si ils les prennent durant cinq ans ou plus.  

« Qu'arrive-t-il si vous mettez 250 personnes dans une pièce et leur dîtes qu'ils paieront chacun 1000 $ par an pour un médicament à prendre tous les jours, que beaucoup auront des diarrhées et des douleurs musculaires, et que 249 n’en tireront aucun bienfait? Et qu’ils pourraient obtenir la même chose en faisant de l'exercice? Combien en prendront? » demande le Dr Jerome R. Hoffman, critique de l'industrie pharmaceutique, professeur de médecine clinique à l'Université de Californie à Los Angeles.  

Les sociétés pharmaceutiques et d'autres promoteurs de statines admettent facilement  que le nombre nécessaire à traiter est élevé. « Comme vous l’avez calculé, le NNT n’apparaît qu’à partir de 100 environ pour cette étude », ont déclaré les représentants de Pfizer dans une réponse écrite aux questions. Mais les promoteurs des statines ont plusieurs contre-arguments. Tout d'abord, ils insistent sur le fait qu’un NNT élevé ne signifie pas toujours qu’un médicament ne doit pas être largement utilisé. Après tout, si des millions de personnes prennent des statines, même le petit avantage représenté par un NNT de plus de 100 signifierait des milliers de crises cardiaques évitées.  

C'est un point légitime, et il soulève une question difficile sur la politique de santé. Combien devrions-nous dépenser pour des mesures préventives, comme le recours à des statines ou le dépistage du cancer de la prostate qui, à terme, ne bénéficient qu’à un petit pourcentage de personnes ? « Il s'agit de savoir si nous pensons que la population est ce qui importe, dans ce cas, nous devrions tous être sous statines, ou si c’est la personne, cas dans lequel nous ne devrions pas », explique le Dr Peter Trewby, médecin consultant au Darlington Memorial Hospital en en Grande-Bretagne. « Ce qui est d'une grande valeur pour la population peut être de peu d'avantages pour l'individu. »

Pensez à l'achat d'un ticket de tombola pour une communauté de charité. C'est pour une bonne cause, mais vous avez peu de chances de gagner le prix.  Les promoteurs des statines font également valoir que, lorsque les NNT sont calculés après que les médicaments aient été pris seulement durant trois ou cinq ans, ils sont abusivement élevés. Pfizer affirme que, même si seulement une crise cardiaque a été évitée pour 100 personnes expérimentées,  « il y a une possibilité pour que plusieurs ou même tous [100] en bénéficient » en réduisant leur risque d'une future crise cardiaque. Et le bénéfice augmente lorsque les médicaments sont pris durant plusieurs années, pensent les commanditaires.  

« Il n'est pas logique de prendre une statine pendant cinq ans», explique le Dr Scott M. Grundy, président du comité NCEP et directeur du Center for Human Nutrition à Dallas, qui a demandé un traitement par statines plus agressif. « Quand vous prenez un médicament hypocholestérolémiant, il s'agit d'un énorme engagement », dit-il. « Vous prenez cela pour la vie. » Grundy chiffre les risques d'avoir une crise cardiaque au cours d'une vie de 30% à 50% environ (plus élevé pour les hommes que les femmes). Les statines, soutient-il,  réduisent ce risque d’environ 30%. En conséquence, prendre le médicament pendant 30 ans ou plus éviterait 9 à 15 crises cardiaques pour 100 personnes. Ainsi, 7 à 11 personnes devraient prendre ces médicaments à vie pour qu’une seule en bénéficie.  

Les critiques répondent qu’il s’agit d’une vision en rose. Une réduction de 30% des crises cardiaques « est le meilleur des scénario ne se trouve pas dans un grand nombre des études », affirme Wright. De plus, les statines sont maintenant en service depuis 20 ans, et il y a encore peu de preuves montrant que plus les gens prennent ce médicament longtemps, plus le NNT décroît. Plus important encore, les expériences des statines sur les personnes sans maladie cardiaque n’ont montré aucune réduction de décès ou de graves événements de santé, malgré la petite baisse de crises cardiaques. 

« Nous devons dire aux patients que la réduction du risque cardiovasculaire sera remplacée par d'autres maladies graves », dit Dr. John Abramson, instructeur clinique à la Harvard Medical School et auteur du livre Overdosed America (l’Amérique en overdose).   

Changement de mode de vie  Dans sa réponse écrite, Pfizer n'a pas contesté cette affirmation-clé: que les médicaments ne réduisent pas le nombre de décès ou de maladies graves chez les personnes sans maladie cardiaque. En revanche, elle a répété que les statines « réduisent le risque de décès par accidents coronaires » et a ajouté que l'analyse de Wright n'a pas été publiée dans revue visée par un comité de lecture scientifique.  

Si nous savions avec certitude qu’une médication était complètement sûre et peu coûteuse, alors son recours généralisé serait une évidence, même avec un NNT élevé de 100.  Mais on estime que 10% à 15% des utilisateurs de statines souffrent d'effets secondaires, dont des douleurs musculaires, des problèmes cognitifs et des  dysfonctionnements sexuels. Et l'usage intensif des statines revient à des milliards de dollars par an, non seulement pour les médicaments mais aussi pour les visites médicales, le dépistage du cholestérol et autres analyses.

Depuis que les soins de santé sont financièrement limités, « les ressources ne sont pas allées à des interventions qui pourraient être utiles », explique le Dr Béatrice A. Golomb, professeur de médecine associée au San Diego School of Medicine.  Qu'est-ce qui fonctionne mieux ? Peut-être inciter les gens à passer à un régime alimentaire méditerranéen ou tout simplement à manger plus de poisson. Dans plusieurs études, les deux changements de mode de vie ont apporté une plus grande baisse de crises cardiaques que les statines, bien que les expériences étaient trop petites pour être totalement convaincantes. Être en bonne forme physique est également important. « Les choses qui fonctionnent vraiment sont le style de vie, l'exercice, l'alimentation, et la réduction du poids », dit Hoffman de l'UCLA. « Ils ont encore un grand NNT, mais le coût est bien moindre que celui des médicaments et ils améliorent la qualité de vie. »  

La question difficile du bénéfice/risque concerne la plupart des médicaments, et pas seulement les statines.

Un vilain petit secret de la médecine moderne est que de nombreux médicaments ne fonctionnent que pour une minorité de personnes. « Il y a une tendance à présumer que des médicaments fonctionnent très bien, mais les gens seraient surpris par l'importance réelle des avantages », explique le Dr Steven Woloshin, professeur associé de médecine au Dartmouth Medical School.  Un bon exemple: les bêta-bloquants sont considérés comme essentiels dans le traitement de l'insuffisance cardiaque congestive. Pourtant, des études montrent qu'une moyenne de 24 personnes doivent prendre les médicaments pendant sept mois pour empêcher une hospitalisation pour insuffisance cardiaque (et donc, un NNT de 24). Et 40 personnes doivent le prendre pour éviter un décès (NNT de 40). « Même pour les médications que nous considérons efficaces, nous voyons des NNT de 20 ou supérieures » dit le docteur Henry C. Barry, professeur associé de médecine familiale au Michigan State University College.  

Pour de nombreux autres médicaments, les NNT sont importants. Prenons L’Avandia, le médicament de GlaxoSmithKline (GSK) pour la prévention de la progression mortelle du diabète. Le blockbuster, avec 2,6 milliards de dollars de ventes aux États-Unis en 2006, fait les manchettes en 2007 lorsque l'analyse de données d'essais cliniques a montré qu’il a augmenté le risque de crises cardiaques. Une affaire en grande partie  passée sous silence : Il y a peu de preuves que ce médicament aide effectivement les patients. Oui, l’Avandia est très valable pour abaisser le sucre dans le sang, tout comme les statines pour réduire le taux de cholestérol. Mais cela ne se traduit pas  par une prévention des sinistres conséquences du diabète, y compris les maladies cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux et l'insuffisance rénale. Les essais cliniques « ont échoué à trouver une réduction significative des événements cardiovasculaires, même avec un excellent contrôle du glucose », écrit le Dr Clifford J. Rosen, président du comité de la Food & Drug Administration qui a évalué l’Avandia, dans un commentaire récent du New England Journal of Medicine .

« L’Avandia est l’exemple type de tout ce qui ne va pas dans notre système », explique Hoffman de l’UCLA. « Son NNT est proche de l'infini.»  En ce qui concerne l’Avandia, le Dr Murray Stewart, vice-président de Glaxo pour le développement clinique, dit que la preuve de ses avantages contre les maladies cardiaques et d'autres grandes complications du diabète « est encore indécis ».

Mais le médicament a d'autres avantages, fait-il valoir, tels que retarder la nécessité de prendre de l'insuline. Lorsque d'autres médicaments que beaucoup croient être efficaces ont été mis à l'épreuve d'un essai clinique, ils ont échoué. L'hormonothérapie substitutive ne protègent pas contre les maladies cardiaques. Les médicaments anti-psychotiques ont été effectivement moins efficaces qu’un placebo dans la réduction de l'agressivité chez les patients atteints de déficience intellectuelle.  La vérité sur l'efficacité des médicaments ne serait pas aussi inquiétante si les consommateurs et les médecins avaient une idée précise de l'état des connaissances et pouvaient prendre des décisions rationnelles au sujet des traitements. Les études réalisées par Trewby de l'Hôpital Darlington, Wright de l’UBC et d'autres, en revanche, montrent que les patients attendent beaucoup des médicaments que ce qu’ils apportent réellement.  Pourquoi ce décalage?

Une certaine responsabilité incombe à la façon dont les résultats sont présentés. Une baisse de 36% des crises cardiaques apparaît plus dramatique et plus importante qu'un NNT de 100. « C’est un choc de voir le NNT », explique le Dr Barnett Kramer, directeur du bureau des applications médicales de la recherche au NIH. Les sociétés pharmaceutiques en profitent pleinement ; elles font de la publicité pour la grande baisse en pourcentage, par exemple, les crises cardiaques, tout en masquant le NNT. Mais quand on en vient aux effets secondaires, ils contournent le message en disant que seulement une personne sur 100 souffre d'effets secondaires, même si cela représente une augmentation de 50%.

« Beaucoup de médecins ne connaissent pas le NNT », explique le Dr Darshak Sanghavi, cardiologue pédiatre à l'Université du Massachusetts Medical School et fervent du NNT.  

Toute l’histoire des statines est un cas classique de bons médicaments poussés trop loin, affirme M. Howard Brody, professeur de médecine à l'Université du Texas Medical Branch à Galveston. Le commerce du médicament, après tout, est un commerce. Les compagnies sont censées stimuler les ventes et le rendement pour les actionnaires. Le problème auquel ils sont confrontés, cependant, c'est que de nombreux médicaments sont plus efficaces dans des sous-groupes relativement restreints de malades.  Avec les statines, ces sont les patients qui ont déjà une maladie cardiaque. Mais ce n'est pas un marché de blockbuster. Ainsi, les entreprises ont tout intérêt à commercialiser leurs médicaments censés être indispensables pour un plus grand nombre de personnes, pour lesquels les avantages (réels) sont, par définition, les plus petits.  

« L’astucieux marketing des gens de Pfizer et des autres compagnies… fait que chaque personne ayant un taux de cholestérol élevé pense qu’elle doit vraiment le réduire »  explique le Dr Bryan A. Liang, directeur de l’Institute of Health Law  en Californie et co-directeur du San Diego Center for Patient Safety« C’est de la pseudo-science, ne vous indiquant jamais finalement la vérité, [qui est] que les médicaments ne servent à rien à moins que vous n’ayez une maladie cardiovasculaire pré-existante ». Le marketing fonctionne, dit Liang, « même face à des études et des gens qui crient et hurlent, dont moi-même, qu'il n’est fondé sur aucun élément de preuve. »  

Pfizer rétorque que l'industrie est « très réglementée » et que chaque message dans les annonces et le marketing « reflète exactement la labelisation du Lipitor et les données des essais cliniques. »  Les fabricants de médicaments, cependant, s’assurent que les chercheurs et les médecins qui vantent les avantages de médicaments sont bien indemnisées. « Il est presque impossible de trouver quelqu'un qui croit fermement dans les statines, qui ne reçoive pas beaucoup d'argent de l'industrie », explique le docteur Rodney A. Hayward, professeur de médecine interne au Michigan Medical School

La manchette du guide du NCEP (ndlr: National Cholesterol Education program) de 2004 recommande des objectifs moindres pour le mauvais cholestérol, ce qui mettrait plus d'Américains sous médicaments. Mais il y avait aussi une vive controverse dans la communauté médicale sur le fait que 8 des 9 experts sur le panel avaient des liens financiers avec l'industrie. « La mise à jour du guide a été faussée » dit Barry de l'État du Michigan. Lui et 34 autres experts ont envoyé une pétition de protestation au National Institute of Health, disant que les preuves étaient insuffisantes et que les membres du groupe avaient été influencés par leurs liens avec les entreprises ».      

Systèmes de mesures simples  

L'existence de conflits d'intérêt est « très important pour des organisations comme les nôtres, et nous les prenons tous au sérieux », répond le coordinateur officiel du NCEP et du NIH le Dr. James I. Cleeman. « Mais les données scientifiques ont été tout à fait exactes. »   La confiance de Cleeman n’est pas universellement partagée. Au sujet de la critique des statines, les Américains se sont beaucoup trop fiés à des marqueurs de santé faciles à saisir. Les gens aiment avoir un système de mesure, comme les taux de cholestérol, qui peut être contrôlé et modifié. 

« Une fois que vous dites un nombre à une personne, il se fixera sur le nombre et essaiera de l’améliorer », affirme Brody de l'Université du Texas. En outre, « la norme culturelle américaine, c'est que faire quelque chose nous fait nous sentir mieux que seulement regarder et attendre », explique Barry. Cela s'applique aussi bien aux médecins. Ils sont poussés par les directives nationales, par la demande des patients eux-mêmes, et par la règle de la rémunération aux résultats qui récompensent les médecins qui contrôlent et réduisent le taux de cholestérol.  « J'en fait partie », dit Brody. Ne pas le faire est presque impossible, ajoute-t-il. « Si un médecin suggère de ne pas vérifier un taux de cholestérol, de nombreux patients vont sortir mécontents du cabinet en proclamant que le type est un charlatan. »   Cependant Brody à changé d'avis. « Je vois maintenant comme un mythe que tout le monde devrait vérifier son taux de cholestérol », dit-il. « Avec le recul, c’était évident. Mais voyons ! Pourquoi ne l'ai-je pas vu avant? »  

Le cholestérol est seulement l'un des facteurs de risque de maladie coronarienne. Le Dr Ronald M. Krauss, directeur de recherche de l'athérosclérose à Oakland, explique que des niveaux plus élevés de LDL contribuent à mettre sur la scène les maladies cardiaques, en participant à la formation de plaques dans les artères. Mais quelque chose d’autre doit se produire avant que les gens n’aient une maladie cardiaque. « Quand vous regardez les patients ayant une maladie cardiaque, leur taux de cholestérol n’est pas [beaucoup] plus élevé que ceux qui n'ont pas de maladie cardiaque », dit-il. Faisons des comparaisons entre les pays, par exemple. Les Espagnols ont des niveaux de LDL similaires aux Américains, mais moins de la moitié de maladies cardiaques. Les Suisses ont des taux de cholestérol encore plus élevés, mais leur taux de maladies cardiaques est également inférieur. Les aborigènes australiens ont un faible taux de cholestérol, mais des taux élevés de maladies cardiaques.  

En outre, selon Barry du MSU, les médicaments abaissant le taux de cholestérol autres que les statines «  n’empêchent pas des attaques cardiaques ou des accidents vasculaires cérébraux. » Prenons le Zetia, qui bloque l'absorption du cholestérol de l'intestin. Commercialisé par Merck et Schering, le médicament a rapporté 1,5 milliard de dollars en 2006, avec un chiffre d'affaires ayant grimpé de 25% dans la première moitié de 2007 dit IMS Health (RX). Les compagnies l’ont combiné avec une statine pour créer un médicament appelé Vytorin, avec plus de 2 milliards de dollars de ventes en 2007.  

Dans une étude très attendue achevée en 2006, les compagnies ont comparé le Zetia associé à une statine avec une statine seule chez les patients ayant un taux de cholestérol élevé génétiquement. Mais le fabricant de médicaments a retardé l'annonce des résultats, provoquant l’indignation des scientifiques et la menace d'une enquête du Congrès. Les résultats, enfin dévoilés le 14 janvier(2008) ont montré que la combinaison du Zetia et d'une statine réduisait les niveaux de LDL plus que la statine seule.

Mais cela n'a pas apporté d’avantage supplémentaire. En fait, les artères des patients s’épaississent plus en prenant la combinaison qu’avec la statine seule. Skip Irvine, un porte-parole du joint venture, affirma que l'étude était de petite taille et insista sur le fait qu'il y avait une « forte relation entre l'abaissement de cholestérol LDL et la réduction des décès cardiovasculaires. »  Le LDL a t-il la moindre pertinence ?  

Si l'abaissement de cholestérol lui-même n'est pas une panacée, pourquoi est-ce que les statines sont utiles chez les gens ayant une maladies cardiaque ? Dans son laboratoire à l'Unité de médecine vasculaire à Cambridge, Mass, le Dr James K. Liao a commencé à réfléchir à cette question plus d'une décennie auparavant. La réponse, qu'il soupçonnait, est que les statines ont d'autres effets biologiques. Depuis lors, Liao et son équipe ont fait la preuve de cette théorie. Tout d'abord, un peu de biochimie. Les statines travaillent en démolissant la production d'une substance qui est transformée en cholestérol dans le foie, réduisant ainsi les niveaux dans le sang.

Mais la même substance se révèle être un élément essentiel pour d'autres éléments chimiques-clef. Pensez à une fabrique de jouets où la même matière plastique est façonnée en petites voitures, camions et trains. La réduction de la production du plastique coupe non seulement la production de petites voitures (cholestérol), mais aussi les camions et les trains. Dans le corps, ces autres produits sont des molécules de signalisation qui indiquent aux gènes de s'activer ou se désactiver, ce qui provoque à la fois des effets secondaires et des avantages.  

Liao a tracé quelques-unes de ces voies biochimiques. Son travail récent montre que l'un des camions, en l’occurrence - une molécule appelée Rho-kinase – était clé. En réduisant la quantité de cette enzyme, les statines en contrepartie provoquent des inflammations des artères. Quand Liao fait chuter le niveau de Rho-kinase chez les rats, ils n’attrapent pas de maladie cardiaque. «L’abaissement du cholestérol n'est pas l’explication du bienfait des statines», conclut-il.  Ce travail offre également une possible explication des raisons pour lesquelles on observe surtout des bénéfices chez les personnes ayant des maladies cardiaques et pas chez ceux qui ont seulement un taux de cholestérol élevé.

Etant en relativement  bonne santé, leur niveau de Rho-kinase sont normaux, il y a donc peu d'inflammation. Mais quand les gens fument ou ont de l'hypertension artérielle, leur niveau de Rho-kinase augmente. Les statines ramènent ces niveaux plus près de la normale, contrecarrant le mal.    Rassemblez tout cela, et on obtient « des preuves évidentes d’ encouragements  à ignorer purement et simplement le cholestérol LDL », explique Hayward de l'université du Michigan.

Dans un pays où baisser le taux de cholestérol est généralement considéré comme une question de vie ou de mort, ces mots sont un casus belli (these are fighting words). Un éminent cardiologue et partisan des statines fulminait lors d'un récent meeting que « Hayward devrait être tenu comptable devant une cour de justice pour faire des choses qui tuent des gens », raconte Hayward. Cleeman du NECP ajoute que, à son avis, les éléments de preuves contre Hayward sont écrasants.  Mais alors que les nouvelles analyses peuvent exaspérer ceux qui ont construit des carrière autour de la nécessité de réduire les taux de cholestérol LDL, elles ouvrent également la voie à l'utilisation des statines de façon plus efficace. Étonnamment, les deux parties dans le débat sont d'accord sur l'approche générale. Pour Toute personne qui s'inquiète des maladies cardiaques, la première étape doit toujours être une meilleure alimentation et une activité physique accrue. Faites-le, et « nous pourrions réduire le nombre de personnes à risque de façon tellement spectaculaire » que beaucoup moins de médicaments seraient nécessaires, dit Krauss. 

Pour ceux qui  bénéficieraient néanmoins d'un traitement, une étude récente de Hayward montre que les statines pourraient être mieux prescrites sur la base des patients à risque de maladies cardiaque, et non pas sur leur taux de cholestérol LDL. Plus le risque est élevé, mieux le médicament semble fonctionner.   Les moyens d'affiner cette approche pourrait venir bientôt. La compagnie qui la première à séquencé le génome humain, Celera Group (CRA), a trouvé une variation génétique qui prédit qui bénéficie des médicaments. Peut-être 60% de la population,  dit le Dr. John Sninsky, vice-président de recherche, et pour tous les autres, le NNT est extrêmement élevé. « Il n’est pas du tout en rapport avec votre taux de cholestérol », ajoute Sninsky. Si les médicaments étaient utilisés de façon plus rationnelle, les fabricants de médicaments en prendraient un coup. Mais la santé de la nation et le porte-monnaie s’en porteraient mieux. Cela pourrait-il se produire? Est-ce que les données sur le NNT, le maillon faible de cholestérol, et la connaissance des variations génétiques modifie ce que font les médecins et ce que croient les patients? Pas avant que le pays ne change les incitations sur les soins de santé, dit Hoffman de l’UCLA. « De la façon dont notre système de santé fonctionne, il n'est pas basé sur des données, il est basé sur ce qui fait de l'argent ».  

   (*) John Carey est haut correspondant  de BusinessWeek à Washington

Publié dans : Non classéEditer| |le 24 septembre, 2008 |  


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