MVL, le Centaure de la Pampa

Depuis mardi, certains lecteurs (Lexl pour ne pas le citer) se demandent bien ce que signifie ce mystérieux sigle : MVL. Derrière se cache celui qui a réalisé un des plus grands exploits de l’Histoire des Echecs Français, Maxime Vachier-Lagrave. A 1000 km de Buenos Aires à Puerto Madryn, loin des rives calmes mais fougueuses rioplatense, le numéro un français est devenu champion du monde junior. Retour sur son parcours qui couronne une brillante année 2009, en attendant la suite.

Même si l’Argentine ne figure plus en haut des palmarès des compétitions internationales, le pays reste une grande nation du jeu d’Échecs. C’est bien sur la rive droite du Rio de La Plata qu’Alexandre Alekhine et Jose Raul Capablanca ont disputé leur mémorable champion du monde 1927. C’est toujours à Buenos Aires que l’Allemagne remporta le Tournoi des Nations (Olympiades aujourd’hui) devant la Pologne en septembre 1939. C’est ici que s’installèrent à cette occasion nombre de grands joueurs qui voulaient échapper à la guerre : Miguel Najdorf, Erich Eliskases, Hermann Pilnik. C’est dans la pampa que Veselin Topalov devint champion du monde en 2005.

Pour revenir au championnat du monde juniors, c’est une des compétitions prestigieuses et conquérir le titre est une incontestable référence. Seuls quatre champions du monde ont été aussi en junior : Boris Spassky, Anatoli Karpov, Garri Kasparov et Viswanathan Anand. La France n’a pas souvent brillé dans cette compétition. L’heureuse exception a été Joël Lautier en 1988 : l’actuel sélectionneur de l’équipe de France (et ancien numéro 1 français) avait remporté, au nez et à la barbe de la grande génération soviétique née en 1968-69, le titre, c’était à Adelaïde dans un collège privé.

Une compétition difficile.

Dans ce genre de compétition, être favori signifie surtout être l’homme à abattre, tout au moins celui contre qui il ne faut pas perdre. Tête de série numéro une, le Français Maxime Vachier Lagrave était nettement donné favori : avec un classement Elo à 2718 points (23ème mondial), le sociétaire d’Evry Grand Roque devançait de 59 points son premier poursuivant, le Russe Dmitry Andreikin (2659). Quand au champion de France junior, Clément Houriez, il affiche un Elo à 2304 (45ème du tournoi sur 84 participants). Les adversaires de « MVL » sont encore venus de l’Est : outre Andreikin, le Biélorusse Sergei Zhigalko (2646), l’Anglais David Howell (2624), l’Israëlien Maxim Rodshtein (2623), le Chinois Li Chao (2617) et le Vénézuélien Eduard Irrituzaga (2605). Dans un tournoi en formule open  (tous les joueurs peuvent potentiellement s’affronter), les surprises sont toujours légion.

Le début du tournoi ne procure pas de grosses surprises : les favoris sont là. Mais Maxime concède la nulle à l’Indien Adhiban, à qui il rend pourtant 218 points mais ce dernier a les Blancs, ce qui complique la tâche.

Après 5 rondes, deux joueurs émergent avec 4,5 points : Maxime et Zhigalko. Mais le tournoi est long (13 rondes). Opposés, les deux leaders s’accordent une nulle en 13 coups (MVL a les Noirs) mais conservent la tête. C’est à la septième que la course-poursuite entre les deux commence. Zhigalko gagne, Vachier-Lagrave annule. A la huitième, c’est le contraire. Les deux hommes possèdent un demi-point d’avance (6,5 points) sur quatre joueurs, tous parmi les mieux classés.

Maxime Vachier Lagrave

La course-poursuite.

Neuvième ronde. Avec les Blancs tous les deux, les leaders écartent quelques prétendants : c’est Howell qui perd contre MVL, Zhigalko bat le Chinois Li Chao. Mais Irrituzaga reste à un demi-point derrière le duo de tête. A la dixième, Maxime est apparié avec les Noirs contre ce dernier et se contente de la nulle. Zhigalko s’impose avec les Noirs contre le Polonais Olzsewski. Avec 8,5 points, le Biélorusse devance Maxime d’un demi-point.

Une image qui fait du bien. Maxime Vachier-Lagrave contre l'Anglais David Howell. Battre un Anglais est toujours une bonne nouvelle ! lol

Onzième ronde : Zhigalko annule avec les Blancs contre Andreikin, la tête de série numéro 2. Maxime profite d’une opposition plus faible (l’Américain Lenderman) pour gagner avec les Blancs et le rejoindre. La victoire se jouera entre les deux, qui ont un point d’avance sur les deux poursuivants les plus proches.

Douzième ronde : battre un Russe (Popov, 2582 points Elo) avec les Noirs n’est jamais facile. MVL fait quand même partie nulle. Zhigalko fait la bonne affaire : il défait avec les pièces noires l’Arménien Grigorian. Le titre est à sa portée : il doit faire au moins aussi bien que Vachier-Lagrave pour devenir champion du monde.

Treizième et dernière ronde. Les deux premiers ont les Blancs. C’est au tour de Zhigalko d’affronter Popov. Il annule sans trop d’histoires. Vachier-Lagrave doit battre Andreikin, l’autre Russe. Ce dernier choisit une variante rare. Maxime obtient un petit avantage mais pas suffisant. La partie s’achemine vers la nulle quand Andreikin joue Fc5 au lieu de prendre un pion en a2 qui aurait apparemment fait pratiquement nulle. Maxime lance alors Cf5 et prend l’avantage qu’il exploite tranquillement et le convertit en gain trente coups plus tard.

Avec 10,5 points chacun (8 victoires et 5 nulles chacun), Vachier-Lagrave et Zhigalko terminent premiers ex-aequo. Mais au départage, le Français devance le Biélorusse (au cumul des classements des adversaires). Le jeune parisien de 19 ans est champion du monde juniors.

Podium du championnat du monde juniors : de gauche à droite, Zhigalko, Vachier-Lagrave et Oslewski.

Sur le plan sportif, un match de départage, même en parties rapides, vaut mieux qu’un calcul mathématique mais le règlement est ainsi et favorise le Français (au deuxième départage, il aurait été devancé mais aurait été devant au troisième). Vingt et un ans après Joël Lautier, un tricolore donne un titre majeur échiquéen au fin fond de l’hémisphère sud. Michal Olzsewski complète le podium avec 9 points et devance Popov et Lenderman au départage.

Le sort aussi a donné une petite revanche à Maxime. En 2008, il avait perdu contre Zhigalko à l’open Aeroflot avant d’affronter le frère de Sergey, Andrei et d’en faire autant. Certains peuvent éprouver l’amertume de la défaite autant qu’on peut savourer la douceur d’une victoire.

Quoiqu’il en soit, Maxime n’est pas devenu l’oncle légendaire, le Centaure de la Pampa décrit par Claude Rich, mais bien le français légendaire de la pampa argentine.

Un exploit construit.

Bravo à Maxime, numéro un français, qui n’est pas un joueur professionnel : à 19 ans, il poursuit des études en maths-physique (deuxième ou troisième année… pas mal comparé à d’autres). Garçon sympathique, un peu réservé, il est le plus fort joueur amateur au monde. D’ailleurs depuis cet été, ses performances ont été remarquables. Une place en milieu de tableau à Saint-Sébastien, mais il était malade. Surtout une magnifique victoire au prestigieux tournoi de Bienne, en ayant battu le favori Morozevitch dans une partie de folie. Vice-champion de France devancé par un sobre Vladislav Tkachiev (vous savez celui qui s’est endormi dans un tournoi, on en a même parlé dans un journal de la Catalogne nord). Et ce n’est pas fini ! En fin d’année, Maxime participera à la Coupe du Monde, qualificative pour le prochain cycle mondial (qui commencera après 2010 si j’ai bien compris).

Bravo aussi à son entraineur Arnaud Hauchard, qui est son mentor et un excellent préparateur technique. Maxime peut-il être champion du monde senior ? Tout est possible pour ce joueur au style agressif et sans compromis. Cela dépend de lui, de son envie de mener une carrière de joueur professionnel, dont on sait qu’elle n’est pas ultra-rémunératrice. Il n’a pas encore décidé s’il se lancera dans cette carrière ou s’il continuera ses études. Pour le moment il conjugue les deux avec réussite. Et la confiance en lui est grande. La Fédération Française avait choisi de le laisser disputer le championnat du monde plutôt que de jouer avec l’équipe de France aux championnats d’Europe de Novi Sad fin octobre. Et son club d’Evry Grand Roque, qui est en passant le champion de France par équipes, en a fait de même en le laissant se préparer tranquillement, plutôt que de participer à la Coupe d’Europe où le club francilien n’avait  de toutes façons pas les moyens de prétendre à la victoire.

Les autres français et les demoiselles.

Clément Houriez a fait l’apprentissage de la haute compétition. Le champion de France junior marque 6 points sur 13 (53ème place avec 4 victoires, 4 nulles et 5 défaites). Le championnat du monde junior féminin s’est déroulée en même temps. Une des coqueluches françaises, Mathilde Congiu, a fait un tournoi honorable : 22ème place avec 6,5 points sur 13 (4 victoires, 4 défaites et 5 nulles). Malheureusement, elle a perdu deux de ses trois dernières parties et annulé une fois alors qu’elle occupait la dixième place après 10 rondes.

Mathilde Congiu

Clément Houriez

Le titre mondial junior féminin s’est disputé au départage : avec 9,5 points, l’Indienne Swaminathan Soumya (9ème Elo : 2297 points) devance la Péruvienne Deysi Cori Tello (16 ans, tête de série numéro 3) et la Turque Betul Cemre Yildiz (14ème Elo du tournoi).

Le podium du championnat du monde junior féminin

Grosse déception pour les favorites : l’Indienne Mary Ann Gomes meilleure joueuse classée termine 19ème avec 7 points et la Chinoise Zhang (n°2) se contente de la 9ème place en ayant battu Gomes à la dernière ronde.

L'Indienne Soumya 20 ans, championne du monde junior féminine. Elle succède à une autre Indienne Dronavalli Harika.

Ailleurs… enfin au-delà du fleuve.

Nous sommes en Argentine, bien loin du mythe rioplatense mais je ne peux m’empêcher de vous tenir informés des performances des riverains du côté gauche.

Sebastian Decuadro termine 69ème sur 82 classés avec 4,5 points sur 13. Il a gagné ses trois dernières parties alors qu’il avait totalisé 1 victoire, 1 nulle et 8 défaites dans les 10 premières parties.

Chez les féminines, Camilla Colombo termine à la 28ème place (sur 45) avec 6,5 points sur 13. Patricia De Leon termine 43ème avec 4,5 points sur 13.

Si vous êtes intéressés par son parcours, je vous invite à lire le prochain compte-rendu d’Arnaud Hauchard, qui sortira d’ici peu de temps (attendons le retour en France), sur le site d’Evry Grand Roque :

http://www.evry-grandroque.com/

Quant à moi, je répondrai à vos questions en fin d’après-midi.