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Gibraltar au coeur de la stratégie du Royaume-Uni

Publié le 06 novembre 2009 par Infoguerre

Le détroit de Gibraltar est un nœud maritime important puisqu’il relie l’Océan Atlantique à la Méditerranée, ainsi qu’à l’Océan Indien grâce au canal de Suez. Il permet d’éviter la longue route du cap faisant le tour de l’Afrique. On comprend donc qu’il est le point de passage privilégié des échanges Orient-Occident. Ceci, et suite à la montée des échanges commerciaux et maritimes (90% des marchandises produites et consommées dans le monde sont transportées par mer), fait du rocher de Gibraltar l’un des cœurs stratégiques des échanges maritimes.

Consciente de son caractère insulaire, la Grande-Bretagne s’est très vite orientée vers le contrôle des axes de circulation maritime et a ainsi œuvré pour développer une puissance navale importante. Au XIXème siècle, elle possédait la flotte la plus redoutable. C’est pourquoi, suite à la guerre de succession espagnole,  les britanniques se sont emparés de Gibraltar en 1704. Le  traité d’Utrecht l’officialise en 1713, et donne accès à l’espace méditerranéen aux britanniques.

Le rocher a ensuite été un point clés dans la stratégie de puissance de la Royal Navy, notamment durant la bataille de Trafalgar (1805) et pendant la seconde guerre mondiale, où, les Force H interceptaient les sous marins allemands. Aujourd’hui, qu’en est-il ? Du point de vue énergétique tout d’abord, la sécurisation des ressources pétrolières et gazières est l’une des neuf priorités du RU selon le Livre blanc du Foreign Office de 2006. Sachant que 65 % du pétrole et du gaz naturel consommés en Europe occidentale passent chaque année par la Méditerranée, Gibraltar se révèle donc être un point stratégique dans l’acheminement des ressources énergétiques.

D’autre part, le Livre blanc du Foreign Office déclare : «les forces armées du Royaume-Uni […] traiteront des menaces à notre sécurité, souvent en tant qu’éléments d’opérations multilatérales plus vastes impliquant les Etats-Unis, ainsi que d’autres alliés de l’OTAN ou partenaires de l’UE ». Le RU coopère dans l’opération « Active Endeavour », mise  en place depuis le 11 septembre 2001, afin de détecter et décourager les activités terroristes et à assurer une protection contre ces activités. Des navires de l’OTAN patrouillent dans l’ensemble de la Méditerranée pour surveiller le trafic maritime et escorter les navires non militaires. Ainsi, par l’intermédiaire de Gibraltar, qui reste une base active, avec environ 800 hommes, 4 navires (dont deux frégates) et le « Z Berth » (centre de soutient au sous marin nucléaire américains et britanniques); le RU possède une bonne visibilité de la région.  Région où l’on craint une montée des menaces terroristes et de piraterie. Ces craintes sont motivées par l’accroissement du trafic maritime, mais aussi par l’annonce faite par le gouvernement israélien de son inquiétude face à la marine algérienne considéré comme "un danger pour la sécurité intérieure israélienne". L'OTAN a par conséquent récemment autorisé la marine israélienne à participer à des manœuvres navales en Méditerranée ce qui lui était refusé précédemment. Cette base militaire est aussi un relais vers d’autres zones encore plus sensibles telles que la Palestine, l’Irak et la Somalie. Ainsi, Gibraltar est un atout majeur du point de vue de la sécurité pour le RU.

Du point de vue des flux clandestins. La maîtrise de l’immigration illégale est à nouveau une des neuf priorités stratégiques du RU. 3ème pays d’immigration d’Europe, et avec près de 400 000 africains, le RU veut désormais contrôler son immigration notamment grâce à la sélection des candidats. Gibraltar étant situé aux confins de l’Europe, il est le théâtre de la grande majorité des migrations clandestines entre l’Afrique et l’Europe. Le caractère sensible de cette zone à d’ailleurs motivé au déploiement de patrouilles par l’agence Frontex (agence de surveillance européenne) depuis 2005.

On comprend donc aisément pourquoi le RU tient à cette « colonie », et ce malgré les revendications espagnols. Pendant 300 ans, l’Espagne a multiplié les tentatives pour récupérer « the rock », par exemple lors du grand siège de Gibraltar à la fin du 18e siècle, ou encore quand Franco décida d’isoler le territoire en fermant la frontière, et plus récemment lors de « manœuvres » de l’armée espagnole. La prise de Gibraltar signifierait, pour l’Espagne, le contrôle du Détroit de tous les côtés, au nord avec la côte espagnole et Gibraltar, au sud avec Sebta et Melilla, ce qui renverserait les rapports de force de la région. Cependant, le conflit tend à s’atténuer avec le temps, suite notamment aux coopérations bilatérales au sein de l’Union européenne et de l’Otan. De plus, les discussions tripartites de 2006 ont donnés lieu à la mise en place d’une coopération dans un certain nombre de domaines notamment en matière de services financiers, juridiques et sociaux, maritimes, aériens (l’aéroport international de Gibraltar date de 2001) et frontalier. Cependant, la question de souveraineté territoriale n’a pas été soulevée et il est donc difficile d’envisager la façon dont les choses vont évoluer.

Or pour l’ONU, Gibraltar figure parmi les seize territoires qui demeurent à ce jour non autonomes (le seul encore en Europe), et pour lesquels il s’est engagé à mettre en œuvre les conditions nécessaires à l’autonomie. Notons que le RU administre 10 des 16 territoires en question. Malgré, l’appel en mai 2008 de Ban Ki-moon, Secrétaire-général de l'ONU, qui invitait les puissances coloniales à « compléter le processus de décolonisation dans l’ensemble des seize territoires non autonomes restants, sans exception » la GB n’envisage pas de prochains changements. Elle s’appuie sur deux référendums (10 septembre 1967 et 2002) qui ont permis aux Gibraltariens d’exprimer un non massif (99%) à un éventuel condominium hispano-britannique.

Actuellement, l’attachement des britanniques à Gibraltar traduit la possibilité d’avoir un pied dans l’espace méditerranéen, et ainsi d’étendre leur influence sur les enjeux internationaux et au sein de l’OTAN. Après une période de transition (diminution des effectifs militaires, croissance du secteur tertiaire dû aux avantages fiscaux et promotion du tourisme), la menace terroriste, les enjeux économiques et géopolitiques confèrent un nouvel intérêt stratégique à la possession de Gibraltar.

Marie Albane Courtier

Sources

Ouvrages

  • Livre blanc, Foreign Office, 2006
  • L’Atlas des Migration, 2008 – 2009, Hors Série, Le Monde.
  • La dissertation de géopolitiques, Olivier David et jean-Luc SUissa, PUF.
  • L’atlas des migrations, Le monde, hors série 2008-2009.
  • Atlas géopolitique des espaces maritimes: frontières, énergie et pêche, Didier Ortolland et Jean-Pierre Pirat.
  • La politique britannique de sécurité, Julian Lindley-French.

Articles

  • Gibraltar, Jean Sermet, Annales de Géographie, Année  1939, Volume  48, Numéro  272, pp. 178-179.
  • La Méditerranée : une histoire d'un monde global, Jean Frederic Schaub, les notes d’analyse du CIHEAM, N° 4 5 – Ma r s 2 0 0 9, Assemblée générale des Nations Unies, AG/COL/3179, Le comité des vingt quatre examine la question de Gibraltar
  • Assemblée générale, AG/COL/3192, L’Espagne et le chef de l’opposition de Gibraltar confrontent leurs vues sur l’avenir du territoire, administré par le RU.
  • Le détroit de Gibraltar : d’une frontière conflictuelle à un espace transnational ? , Rachid EL HOUDAIGUI.
  • Les enclaves : « volcans » éteints ou en activité, Susanne Nies,Revue internationale et stratégique 2003- 1 (n° 49),page 111 à 120.

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