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Claude levi-strauss ou le regard eloigne :l'identite.

Publié le 07 novembre 2009 par Regardeloigne

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Je n’ai jamais vraiment abordé, hormis quelques citations, la pensée de Claude Levi-Strauss ; c’est une tache, chacun le comprendra à la fois immense et périlleuse.Je vais pourtant m’y risquer par quelques notes .En guise d’introduction et d’hommage cependant, je voudrai citer un texte moins connu, extrait de son séminaire sur l’identité(1974-1975).

Ce texte situe bien la manière distante du savant et la rupture épistémologique qu’il opère dans son abord d’un sujet brulant et maintenant d’actualité.Il jetait de ce fait ,et à l'avance, un regard ironique sur les « inventeurs » possibles d’un tel débat .

(C’est moi qui souligne certains propos).

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« Le thème de l'identité se situe non pas seulement à un carrefour, mais à plusieurs. Il intéresse pratiquement toutes les disciplines, et il intéresse aussi toutes les sociétés qu'étudient les ethnologues; il intéresse enfin l'anthropologie de façon très spéciale, puisque c'est en imputant à celle-ci une obsession de l'identique que d'aucuns font son procès. En revanche, nous ne l'avons pas choisi parce que, depuis quelque temps, une mode prétentieuse l'exploite.A en croire certains, la crise d'identité serait le nouveau mal du siècle. Quand des habitudes séculaires s'effondrent, quand des genres de vie disparaissent, quand de vieilles solidarités s'effritent, il est, certes, fréquent qu'une crise d'identité se produise. Malheureusement, les personnages qu'inventent les média pour convaincre du phénomène et souligner son aspect dramatique ont plutôt, de façon congénitale, la cervelle vide; leur iden­tité souffrante apparaît comme un alibi commode pour nous masquer, et masquer à leurs créateurs, une nullité pure et simple. La vérité est que, réduite à ses aspects subjectifs, une crise d'identité n'offre pas d'intérêt intrinsèque. Mieux vaudrait regarder en face les conditions objectives dont elle est le symptôme et qu'elle reflète. On l'évite en évoquant des fantômes sortis tout droit d'une psychologie à bon marché

Ce sont d'ailleurs souvent les mêmes — en mal d'identité pour ce qui les concerne — qui voient dans l'anthropologie une entreprise frénétique pour plaquer à tout prix une iden­tité mensongère sur des expériences vécues, irréductibles à tout effort de description et d'analyse. Une mode qui ne vaut pas mieux que l'autre reproche aux anthropologues de fondre des cultures, qui sont radicalement différentes, dans le moule de nos catégories et de nos classifications, de sacrifier leur originalité distinctive et leur caractère ineffable en les assujettissant à des formes mentales propres à une époque et à une civilisation.

Si l'on veut dire par là qu'une traduction n'est jamais par­faite et qu'un résidu de sens lui échappe inévitablement, on a raison sans doute, mais on se borne à énoncer un lieu com­mun, et des plus plats. En revanche, ceux qui prétendent que l'expérience de l'autre — individuel ou collectif — est par essence incommunicable, et qu'il est à jamais impossible, coupable même, de vouloir élaborer un langage dans lequel les expériences humaines les plus éloignées dans le temps et dans l'espace deviendraient, au moins pour partie, mutuellement intelligibles, ceux-là ne font rien d'autre que se réfugier dans un nouvel obscurantisme.

Il nous est donc apparu que pour poser le problème de l'identité sur un terrain plus solide, il convenait d'adopter une double démarche : d'une part, s'interroger sur la façon dont, au sein de notre propre civilisation, des disciplines diverses formulent et tentent de résoudre chacune pour son compte le problème de l'identité, en leur demandant de définir ce que chacune entend par là de son point de vue par­ticulier : D'autre part, à ces conceptions de l'identité, peut-être très différentes (on n'en savait rien au début), des anthropologues reçurent pour mission de confronter celles que des sociétés exotiques s'en font.

Or, une convergence curieuse allait se dégager de cette comparaison. En dépit de leur éloignement dans l'espace et de leurs contenus culturels profondément hétérogènes, aucune des sociétés constituant un échantillon fortuit ne semble tenir pour acquise une identité substantielle : elles la mor­cellent en une multitude d'éléments dont, pour chaque cul­ture bien qu'en termes différents, la synthèse pose un pro­blème. En ce qui concerne notre civilisation et l'état actuel des connaissances dans les branches très diverses : mathé­matiques, biologie, linguistique, psychologie, philosophie, etc., là aussi on a constaté que le contenu de la notion d'iden­tité est mis en doute, et fait même parfois l'objet d'une très sévère critique.

On connaît, notamment en Indonésie, des sociétés qui croient en des « âmes » innombrables logées dans chaque membre, chaque organe, chaque jointure du corps individuel; le problème est alors d'éviter qu'elles ne s'échappent, de vaincre leur tendance constante à la dispersion. Car seulement à la condition qu'elles restent ensemble, l'individu conservera son intégrité. Envisagée d'un point de vue philosophique, cette conception d'une identité, dirait-on volontiers, statis­tique, n'offre-t-elle pas une lointaine ressemblance avec celle, inspirée par la biologie moderne, pour qui l'identité résulte, en fin de compte, du comportement de milliards de neurones, sans qu'on puisse jamais prévoir si tel ou tel d'entre eux réagira ou non à une stimulation donnée?

A supposer que l'identité ait elle aussi ses relations d'incer­titude, la foi que nous mettons encore en elle pourrait n'être que le reflet d'un état de civilisation dont la durée aura été limitée à quelques siècles. Mais alors, la fameuse crise de l'identité dont on nous rebat les oreilles acquerrait une tout autre signification. Elle apparaîtrait comme un indice attendrissant et puéril que nos petites personnes approchent du point où chacune doit renoncer à se prendre pour l'essentiel : fonction instable et non réalité substantielle, lieu et moment, pareillement éphémères, de concours, d'échanges et de conflits auxquels participent seules, et dans une mesure chaque fois infinitésimale, les forces de la nature et de l'histoire suprê­mement indifférentes à notre autisme.".....(P.10-11)

CLAUDE LEVI-SRAUSS.L'IDENTITE.QUADRIGE.P.U.F.

 

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