Oui, ceux que le mal va crucifier seront ceux que l'amour aura stigmatisés. La joie de Dieu : lumière à fleur de terre ! Que cette fête soit réveil de tout ce potentiel de sainteté qui est la, à fleur de terre, fantastique gisement encore si peu exploité ! Nos villes sont surpeuplées de bien plus de saints que d'assassins. De même, les assassins peuvent devenir saints puisque le premier canonisé, et par Dieu lui-même ! l'était sans doute : le gangster crucifié aux côtés de la lumière, y découvrant son Roi et son frère.
Devenons éveilleurs de sainteté. Chez tous, chez les enfants, chez les jeunes, chez les pauvres, chez tous, chez tous... Car finalement, qu'est-ce que la sainteté, sinon le bonheur ? Le simple bonheur d'exister ! Comment être heureux sans répondre, correspondre, aux préférences, aux rêves d'amour du Seigneur sur moi ? Comment être pleinement moi-même, sans coïncider avec ce regard laser, qu’il ne cesse de poser sur moi ? Qui donc est plus heureux qu'un saint ? La petite Claire de Castelbajac osait s'écrier : « J'aime tellement la vie ! Vous rendez-vous compte combien je suis heureuse ? Tellement heureuse que si je mourrais maintenant je crois que j'irais au ciel tout droit... Je suis dans la béatitude jamais expérimentée jusque-là ! C'est fou ce que je suis heureuse, à cause de tout, et malgré tout. J'apprends par expérience qu'il y a toujours un bonheur plus profond qu'on ne le croit ». Bonheur contagieux : « j'ai envie de rendre tout le monde heureux : ça doit être ça la joie des enfants de Dieu ». Et ce mot fulgurant griffonné en Terre sainte : « Je crois que j'ai été choisi par Dieu pour être la plus heureuse de ma génération » (23 septembre 1974). Quatre mois plus tard, elle entrait pour toujours dans la joie de son Seigneur. Elle avait 22 ans.
L'Eglise choisit aujourd'hui comme évangile l’hymne au bonheur, composé, joué, chanté sur une colline de Galilée, au bord du lac. Charte de la sainteté que ce champ aux huit couplets. Seul refrain : Bonheur ! Bonheur ! Bonheur ! Et qui chante ? Celui qui est la joie même du Père, la joie des pauvres. Un autoportrait : il a dessiné son propre visage. Qui donc comme lui a été pauvre, a pleuré, a été persécuté ? Mais aussi, qui donc plus que lui a consolé, semé la paix, guéri mille blessures ?
Huit couplets : les couleurs de l'arc-en-ciel, où se réfracte l'unique lumière de la gloire. Impossible d'en vivre une sans que toutes les autres suivent. Parfois l'une plus qu'une autre, mais toujours toutes sont la, indissociables. Autant de dons du Saint-Esprit. Tout le ciel (le Royaume, les larmes essuyées, le festin final » est déjà là, mais aussi tout ce qui fait notre vie sur terre (la pauvreté, les larmes, la persécution). Ciel et terre s'imbriquent l'un dans l'autre. Un saint : celui dont le cœur s'ouvre au ciel, devient ciel, devient royaume : le roi, chez lui habite. Hymne qui a traversé les continents et les générations. Qui a fasciné les pauvres et les petits de tous les temps. Qui coupe en deux l'histoire du monde. Qui renverse toutes les valeurs humaines. Formidable révolution copernicienne, qui n'a pas fini de nous bousculer.
(Dans Missel Kephas 3, Fayard, 2000, p. 1306-1307)