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Palestine : la diplomatie Obama-Clinton doublement tenue en échec

Publié le 07 novembre 2009 par Robocup555

Par Luc Delval

L'Autorité palestinienne vient, dans un sursaut tardif et inattendu de lucidité et de dignité, de résister (pour combien de temps ?) à la pression exercée par Hillary Clinton pour une reprise immédiate des négociations avec Israël, sans aucune perspective politique autre que la légitimation de la poursuite de la colonisation à marche forcée de la Cisjordanie.

Obama et sa Secrétaire d'Etat ont en effet échoué - mais ont-ils réellement essayé ? difficile d'y croire ! - à obtenir du gouvernement israélien un "gel" de la colonisation. Un "gel" qui eut, l'auraient-ils obtenu, été un leurre, puisque dans le meilleur des cas il eut été partiel et provisoire, et qu'en tout état de cause la question qui est posée n'est pas celle de "geler" la colonisation encore inachevée, mais d'y mettre fin.

Le chef des négociateurs palestiniens, Saeb Erekat, a fort bien résumé la question en mettant sérieusement en doute non seulement "la volonté du gouvernement Netanyahou de mener des négociations crédibles et qui aient un sens" mais, par le fait même, la faisabilité de ce qu'on a appelé "la solution à deux Etats". Il n'y a pas d'intérêt pour les Palestiniens, dit Erekat, à "négocier pour le plaisir de négocier", dès lors que ces négociations, dans les conditions créés par Israël ne peuvent pas conduire à l'établissement d'un Etat palestinien souverain, viable et indépendant, mais ne erviraient qu'à "fournir une couverture sous le couvert de laquelle Israël continue à consolider son occupation et à créer de nouveaux faits accomplis sur le terrain".

Et Saeb Erekat d'en conclure qu'il faut sérieusement s'interroger sur la pertinence qu'il y a à maintenir l'hypothèse d'une "solution à deux Etats", ce qui le conduit inévitablement à évoquer la perspective du retour à l'ordre du jour (lointain) d'un "Etat binational", dans lequel - dit-il - "musulmans, juifs et chrétiens pourraient vivre ensemble dans la paix et l'égalité".

Le site "www.juif.org" trouve cette déclaration "surprenante".

Elle est au contraire d'une logique imparable. Voilà trop longtemps, en effet, que les gouvernement israéliens successifs font mine d'accepter la perspective de la création d'un Etat palestinien à côté d'Israël - non sans évidemment y mettre mille conditions qui videraient pratiquement de sens l'idée de sa souveraineté, comme sa démilitarisation alors qu'il serait bien contraint de vivre à côté de la puissance la plus agressivement militariste qui soit - tout en s'échinant jour après jour à créer les conditions de son impossibilité.

Palestine : la diplomatie Obama-Clinton doublement tenue en échec

C'était au temps où Israël faisait encore des "concessions"... verbales.
La situation sur le terrain s'est depuis lors considérablement dégradée,
d'un point de vue palestinien.

Lire : Un Etat palestinien, oui mais où ?

Le découpage de la Cisjordanie en "cantons" palestiniens relativement étanches, séparés par des "blocs" de colonies juives, le grignotage du territoire palestinien tant par le tracé du "mur de séparation" que par la construction à un rythme effréné de logements réservés à des juifs (voir à ce propos ICI une carte particulièrement éclairante sur la situation autour de Jérusalem), la confiscation progressive des meilleures terres agricoles et de l'essentiel des ressources en eau, la destruction des oliveraies par ceux qu'on appelle "des colons extrémistes" (pléonasme assez remarquable), et - fantastique "réussite" de la politique israélienne - le "découplage" pratiquement achevé entre la Cisjordanie et la Bande de Gaza (voir à ce propos le tout récent livre de Charles Enderlin, "Le Grand Aveuglement - Israël et l'irrésistible ascension de l'islam radical", qui explique avec minutie comment la prise de contrôle du Hamas a été favorisée par Israël)... Tout indique qu'Israël  ne soutient l'idée d'une "solution à deux Etats" qu'en paroles, tandis qu'en pratique ses gouvernements successifs ne ménagent aucun effort pour la repousser sans cesse à plus tard et surtout la vider de sens et de substance.

La chose est devenue tellement évidente que même une Autorité Palestinienne dirigée par le très accommodant Mahmoud Abbas ne peut plus faire semblant de ne pas s'en rendre compte.

La conséquence inéluctable en est que, l'hypothèse de deux Etats étant "totalement morte" (comme l'expliquait avec clarté et conviction Illan Pappé lors de son récent passage en Belgique), on ne peut qu'en revenir à l'idée d'un "Etat binational". Quoi de plus logique si on admet que la dissolution par décret du peuple palestinien n'est pas possible ?

Un "Etat binational", autrement dit un Etat "normal", une république "ordinaire" dont les citoyens soient égaux en droits, en devoirs et en dignité, et dont - pourquoi pas ? - la devise pourrait être "Liberté, Egalité, Fraternité"...

Une perspective évidemment étrange pour ceux qui ne veulent voir en Palestine-Israël qu'une puissance occidentale instrument du "choc des civilisations", enfichée dans le flan d'un Orient par définition menaçant, et "une patrie pour les Juifs", c'est-à-dire une sorte de ghetto, mélange de théocratie et de démocratie formelle, créé pour ces Juifs que les puissances occidentales de l'après-guerre mondiale aimaient d'un amour si sincère qu'elles préféraient les savoir "chez eux", c'est-à-dire loin, ailleurs.

Les mêmes feindront maintenant d'avoir oublié que la "solution à deux Etats" était (l'imparfait s'impose de plus en plus puisqu'elle elle trucidée par Israël) une concession fantastique des Palestiniens, le renoncement à la majeure partie de leur territoire d'avant le nettoyage ethnique de 1948.

Le problème, disait encore  Ilan Pappé à Bruxelles, c'est que non seulement Israël est fondamentalement une entreprise coloniale, mais d'un "colonialisme aggravé" car les Israëliens sont convaincus que ce sont les Palestiniens qui sont des intrus dans leur propre pays. Jamais les colons français en Algérie et les "coloniaux" belges au Congo n'ont imaginé être "chez eux" et n'ont vu dans les autochtones des "corps étrangers" dont il s'agirait de se débarrasser autant que possible. Or, tel reste envers et contre tout le projet sioniste : se saisir d'autant de territoire que possible, avec dessus aussi peu d'Arabes que possible. Autrement dit, détruire la Palestine.

Interrogé par Denis Sieffert dans le numéro de cette semaine de l'excellent hebdo "Politis", Shlomo Sand répond comme suit à la question : Que pensez-vous de l’idée d’un État binational ? :


Je crois que cette idée est juste éthiquement, mais infantile politiquement. Pourquoi ? Parce que pour chasser l’armée d’occupation et les colons des territoires palestiniens, il n’y a pas besoin de l’accord du peuple israélien. Il suffirait théoriquement que les États-Unis et la communauté internationale le décident. Les Israéliens devraient n’avoir rien à dire sur cette question. En revanche, si vous voulez un État binational, il faut évidemment l’accord des deux peuples. Proposer aux Israéliens, aujourd’hui, de devenir minoritaires dans un État binational est sans doute éthiquement juste, mais politiquement débile.


On pourrait objecter qu'en approuvant massivement la politique menée par Netanyahou, le peuple israélien choisit du même coup d'empêcher la réalisation de la "solution à 2 Etats".


Il ne reste donc que deux scénarii possibles : soit un Etat binational soit un conflit destiné à durer éternellement, sauf déportation des Palestiniens en masse et par la force, comme en rêve l'extrême-droite israélienne au pouvoir. Il est pour le moins curieux qu'on puisse considérer ce dernier scénario comme moins "débile" et plus encore comme "éthiquement juste".


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