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Privatisation du bonheur

Publié le 01 novembre 2009 par Smara
Il y a près de Grenoble un beau territoire de forêt sans grand relief et parsemé d'étangs, chose rare et précieuse dans notre région de montagnes. En 1778, le procureur général du roi Doudart de Lagrée écrit : "Tous les actes établissent évidemment qu’il existe dans le territoire de Bressieux un canton du bois de Chambaran appartenant en toute propriété au Seigneur, sur lequel les habitants ont des droits par concession." Les seigneurs ont disparu au profit des communes républicaines, mais le droit des habitants se perpétue par la chasse et la cueillette des champignons.  Et c'est au milieu de ces splendides futaies et taillis que j'ai fait ce week-end une des plus belles promenades de l'année, tant la douceur de cet automne préserve l'éclatante palette de couleurs des feuillages autant que le plaisir de s'asseoir sur une branche pour regarder tomber en pluie d'étoiles les feuilles d'or enlevées par la brise. J'ose à peine vous raconter quelle a été mon émotion pendant ces quelques heures de bonheur absolu, tant elle me semble maintenant excessive, revisitée dans le décor quotidien de mon appartement. Sentiment de communion joyeuse et rassurante à une énergie paisible et inaltérable. C'est peut-être ce qui pour moi pourrait ressembler de plus près à la confiance des croyants réunis dans la célébration de leur foi. Sur le retour, je méditais sur l'extraordinaire réserve de bien-être que nous offre la nature, et sur l'urgence de travailler à la reconnaissance collective de ce trésor ainsi qu'à sa protection et sa mise à la disposition de tous par la promotion et l'organisation de sa découverte respectueuse. Aussi, vous imaginerez sans mal ma colère, quelques heures après le retour, à la lecture sur Internet d'une information qui n'est certes pas celle que je m'attendais à trouver en cherchant à mieux connaître ce bel espace naturel. Le Conseil Général de l'Isère, la Région Rhône Alpes, et bien entendu les maires des communes avoisinantes se congratulaient il y a quelques semaines en présence du PDG du groupe Pierre et Vacances, responsable de l'ouverture en 2013 sur ce site du cinquième Center Parc de France avec un bon millier de "cottages" sur plus de 200 hectares. Pour mémoire les Center Parcs sont des villages de loisirs fermés, auxquels on accède exclusivement par la location d'un cottage pour un montant moyen de 400 € le week-end ou 600 € la semaine. Je ne veux pas développer ici tout ce qui pourrait être dit sur la vocation affirmée de l'entreprise, "Préserver la nature et le patrimoine, contribuer à les restaurer et à les enrichir" sachant que le futur village comporte 30 000 m2 couverts dont l'Aqua Mundo, énorme bulle de loisirs aquatiques de plus de 5 000 m2, chauffée à 30° toute l'année, le bowling, le Club... Selon les élus, il s'agit là d'une chance exceptionnelle pour les habitants de la région. Pas parce qu'ils pourront passer gratuitement leurs week-ends dans l'Aqua Mundo, bien sûr, d'ailleurs les clients viendront de loin, et le PDG explique que le lieu est stratégiquement bien choisi : « à 1h30mn de Paris, à quelques encablures de la Suisse… », mais parce qu'ils pourront occuper un des nombreux emplois proposés par le village : serveur, femme de ménage, ouvrier d'entretien... Qui sait, les travailleurs pourront peut-être louer de temps en temps un des petits cottages vendus 250 000 euros aux investisseurs avec promesse de 4,5% de rentabilité et de 50 000 € de réduction d'impôt ! Et voilà... je me suis remis en colère.


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