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« Au sein du patronat français, on ne traite pas spontanément les questions liées aux conditions de travail»

Publié le 09 novembre 2009 par Delits

imagesSuite à notre article sur le stress au travail1, Délits d’Opinion a rencontré Jean-Frédéric POISSON, co-rapporteur général de la Commission chargée d’étudier la souffrance au travail.

Délits d’Opinion : Pouvez-vous tout d’abord nous présenter les moyens et les buts de la Commission que vous allez animer ?

Jean-Frédéric POISSON : Je suis le co-rapporteur général avec Olivier Jardé (Député UMP de la Somme). Je serai donc en charge d’en rédiger le rapport final, prévu pour la mi-décembre.

Cette Commission est co-présidée par Jean-François Copé (Député UMP de Seine-et-Marne, Président du groupe UMP à l’Assemblée Nationale) et Pierre Méhaignerie (Député UMP d’Ille-et-Vilaine, Président de la commission des affaires sociales).

Concernant ses moyens, elle sera composée de 4 ateliers, chacun spécialisé sur une thématique particulière : les relations entre santé et travail, les nouvelles organisations et modalités de travail (flux tendu, open space etc.), les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) et le dernier sera consacré au management et à la culture de management. Ce dernier atelier s’intéressera notamment aux questions liées à la formation des managers, de façon à ce que les personnes qui gèrent les équipes prennent conscience de l’aspect humain de cette gestion. Chaque atelier est animé par un binôme de députés : chacun a son propre programme d’audition et travaillera de manière autonome vis-à-vis des autres.

Le but de cette Commission est de parvenir à définir quelques pistes à caractère législatif : les députés n’ont pas nécessairement vocation à légiférer sur les thématiques dont ils se saisissent, sur les différentes problématiques abordées.

L’idée serait de faire prendre conscience de ces questions au sein des décideurs privés et publics et de faire en sorte que cette question soit traitée par la représentation nationale. Il s’agira également de définir puis de saisir les meilleures dispositions pour intervenir sur ces sujets, la voie législative n’étant pas nécessairement la plus adaptée.

Sur cette thématique, je vais également travailler dans le cadre de la Commission des affaires sociales sur une mission d’information qui abordera la question des risques psychosociaux. L’objectif sera ici de lister ces différents risques et de tenter de les prévenir. La présidente de cette mission, demandé par le groupe socialiste, est Marisol Touraine (Députée SRC d’Indre-et-Loire).

Délits d’Opinion : La France se situe dans la moyenne assez haute en Europe des pays où les populations estiment que leur activité professionnelle nuit à leur santé (c’est le cas de 79% des Français). Pensez-vous que cela renvoie à un constat objectif ?

Jean-Frédéric POISSON : Nous sommes dans la moyenne haute c’est vrai, mais j’observe que la moyenne est elle-même déjà très élevée (75%) et que certains pays connaissent des taux nettement plus élevés que les nôtres (cf: la Lituanie voit 91% de ses ressortissants interrogés affirmer que leur activité professionnelle dégrade leur santé). Je présume que ce constat est objectif, que la méthodologie et l’objectif de la démarche ne sont pas à remettre en cause, pourtant en France ce constat vient en contrepied de ce que les salariés déclarent généralement sur leurs relations avec leurs employeurs dans les TPE. Ceux-ci déclarent habituellement que leurs relations y sont bonnes et leurs conditions de travail relativement agréables. Il y a probablement un effet de taille sur ces relations : dans les plus grandes structures peut apparaitre un certain effet d’anonymat qui fait partie des facteurs aggravants du mal être au travail.

D’une manière plus générale, comme j’ai eu l’occasion de le mentionner l’année dernière notamment dans le rapport d’information dont j’étais rapporteur sur la pénibilité au travail, nous sommes dans une situation d’accroissement de la brutalité des relations de travail. Il existe de nombreuses raisons à cela : montée de l’individualisme, mondialisation et concurrence exacerbée, le tout lié aux méthodes de managements, également le rôle des instances représentatives des salariés est primordial.

Délits d’Opinion : Près de sept Français sur dix estiment que leur entreprise agit peu ou pas du tout pour réduire le stress de leurs salariés. Parallèlement plusieurs enquêtes mettent en évidence que le lien affectif à l’entreprise s’est progressivement érodé et que les sentiments négatifs vis-à-vis de l’entreprise l’emportent. Existe t-il un risque réel de rupture entre les salariés et leurs entreprises ?

Jean-Frédéric POISSON : Je pense que le risque existe toujours, même si je maintiens que dans les petites structures les relations personnelles permettent de ne pas ne jouer pas dans ce registre. Il faudrait selon moi plutôt regarder ce qu’il se passe dans les plus grandes entreprises.

Je constate malgré tout qu’au sein du patronat français en général, on ne traite pas spontanément les questions liées aux conditions de travail. Ce constat doit prendre en compte l’exception faite des secteurs qui bien souvent souffrent de difficultés à recruter. Je pense notamment au BTP. Le secteur a réagi : les fédérations et confédérations professionnelles ont signé des accords pour améliorer les conditions de travail et la prévention des problèmes liés à la santé. Ce processus a donné de bons résultats dans ce secteur. Mais d’une manière générale, peu de conventions collectives se sont saisies du problème. On en trouve dans quelques autres secteurs particuliers comme la métallurgie, mais il reste rare que les partenaires sociaux se saisissent de ces questions de manière spontanée.

Le constat aujourd’hui est que les conditions de travail sont le parent pauvre de la négociation syndicale. On a atteint aujourd’hui une situation insupportable, comme c’est le cas chez France Telecom.

Délits d’Opinion : Avez-vous le sentiment que les entreprises ne mettent effectivement pas tout en œuvre pour réduire le stress de leurs employés ? Pensez-vous que c’est avant tout aux entreprises de « faire le ménage»  chez eux ou l’État doit-il légiférer en la matière dans le cadre d’une politique de santé publique ?

Jean-Frédéric POISSON : Pour répondre à votre première question, sans doute que non. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles les partenaires sociaux ont signé en 2008 un accord sur la question du stress, qui est en fait une application d’une directive européenne de 2006 visant à mettre en place des critères objectifs de mesure et de prévention du stress.

Au-delà de ce point, le manque des entreprises sur ces questions restent très interrogeant, dans les deux missions au sein desquelles je travaillerai ces questions (UMP et affaire sociales), j’interrogerai les syndicats pour savoir quels rôles ils ont joué dans cette affaire. Y a-t-il eu un problème de circulation d’information ? Il est bien évidemment important de s’en assurer avant d’affirmer quoique ce soit sur ce point mais il est clair que la question mérite d’être posée.

Concernant votre seconde interrogation, j’ai envie de vous répondre : s’agit-il de faire le ménage ou de former des managers ? Avant de faire le ménage, il faut veiller à ce que dans les entreprises les bonnes personnes soient aux bonnes places. Il faut également faire en sorte que les personnes en place aient les compétences nécessaires à l’accomplissement de leurs tâches.

Pour cette raison, je milite pour l’instauration de modules de formation obligatoires sur des enjeux de formations humaines dans la gestion d’entreprise : ces modules aborderaient la gestion des relations sociales (apprentissage des mécanismes de représentativité du personnel au sein des entreprises), les relations humaines en tant que tel (contrat de travail, attentes des personnes) et la formation en management en tant que tel.

Doit-on légiférer ? Pas sûr car le code du travail me parait déjà suffisament armé. Je pense qu’il suffit de l’appliquer et de rester attentif aux besoins des personnes pour régler une grande partie des problèmes Après, contraindre les employeurs, améliorer les instances de représentativité, pourquoi pas, mais je pense qu’il est tout d’abord nécessaire de prendre en compte les besoins des employés.

Propos recueillis par Olivier.


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