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Quel débat sur l’identité nationale ?

Publié le 12 novembre 2009 par Lbouvet

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Entretien pour L’Hebdo des socialistes.

1) Que pensez-vous de la manière, tant sur la forme que sur le fond, dont Nicolas Sarkozy fait poser aujourd’hui le débat sur « l’identité nationale » ? Faut-il accepter les termes du débat ? Que nous apprend l’histoire de notre pays sur ce thème récurrent ?

La manière de poser le débat est typiquement sarkozyste. A la fois sur la forme : le débat est lancé à quelques mois d’un rendez-vous électoral, en partie pour faire diversion, en partie pour séduire un électorat supposément nationaliste ; et sur le fond : l’utilisation d’un terme, « identité nationale », très clivant dans l’histoire et l’espace politique français, afin de montrer combien lui, président de la République, est en rupture avec ses prédécesseurs qui ont tous été les garants de cette histoire et de cet espace.

La position à adopter, tant pour les intellectuels que pour la gauche, et le PS en particulier, par rapport à ce débat s’articule en deux temps.

1/ Il faut bien insister sur le décalage entre la parole présidentielle de N. Sarkozy qui n’a que l’identité nationale à la bouche, et la réalité quotidienne de sa pratique du pouvoir. Il enterre en effet chaque jour des pans entiers de ce qui peut légitimement être considéré par tout un chacun, à gauche comme à droite, comme une identité politique et sociale commune, celle de la République : laïcité, universalisme, humanisme, droits et libertés, principe d’égalité (devant l’impôt notamment)…

2/ Il faut accepter ce débat comme un combat politique parce que l’enjeu est d’importance. Certainement pas dans les formes et les termes proposés par le gouvernement (identité seulement « nationale », calendrier, organisation préfectorale…) mais en mobilisant largement les citoyens sur le sujet. Entrer dans la réflexion sur le projet de société que proposera le PS en 2012 par le truchement d’un questionnement sur l’identité et ses multiples implications ne peut pas faire de mal à la gauche. Ce pourrait être une manière de renouveler l’exercice de l’élaboration du projet qui s’est beaucoup fait ces dernières années à partir du simple alignement d’une série de mesures de politique économique.

Sur ce que nous apprend l’histoire, je laisserai les historiens répondrent en détail. Il me semble, simplement, que la principale leçon en la matière, c’est que l’on doit être prudent quand on manipule des matières aussi instables.

2) Comment définiriez-vous aujourd’hui le sentiment national ? Est-il en crise comme on le prétend souvent ?

« Sentiment national » et « crise » me paraissent être des mots piégés. Il n’y a, à mon sens, pas plus « un » sentiment national que de « crise » de celui-ci. Il y a beaucoup de sentiments (et de ressentiments) vis-à-vis de la nation, de la France. Et la crise, en la matière, peut s’apparenter à une situation constante. Comme si les peuples avaient toujours le sentiment que « ça allait mieux avant », qu’il y avait plus d’adhésion à la nation, comme s’il y avait eu un âge d’or de l’appartenance nationale. Si tel est le cas, alors cet âge d’or a aussi été celui du nationalisme.

Aujourd’hui la nation, comme bien d’autres identités collectives (familiales, sociales, culturelles, religieuses…), apparaît comme un refuge face à l’illisibilité du monde qui nous entoure, et des mutations profondes qui s’y déroulent. Est-ce que cela crée un sentiment commun au-delà d’une crainte diffuse et générale sur l’avenir de nos enfants, de la planète, etc. ? Je n’en suis pas sûr. Ce qui est sûr, c’est que jouer politiquement d’un tel « sentiment » pour s’assurer du pouvoir peut conduire à des résultats catastrophiques. Le XXe siècle l’a tragiquement démontré. La manipulation identitaire à des fins politiques n’est jamais de bon augure.

3) Les socialistes, depuis le dix-neuvième siècle, ne pensent pas que le sentiment national puisse être séparé de la République, de ses valeurs et de ses acquis, en termes de droits, de libertés, de protection sociale. Comment définir, aujourd’hui, cette alliance ? Comment la perpétuer et l’approfondir ?

Là aussi, je laisse volontiers ce terrain aux historiens.

Le seul constat politologique qui me semble possible ici est celui de la division profonde et parfois schizophrène, à gauche et au PS, entre une vision que l’on pourrait qualifier d’élégiaque de la République : celle d’un modèle idéal perdu (mythes de l’âge d’or de la IIIe République et du compromis social d’après-guerre) qu’il faut tout faire pour défendre voire pour tenter de le restituer ; et une vision déconstructionniste de la République : la République et la France d’avant, c’était l’ère de la domination machiste, hétérosexuelle, coloniale, familialiste, scolaire…, alors que nous serions désormais dans le temps de l’émancipation généralisée – celle qui passe notamment par la demande continuelle de davantage de droits individuels et de « liberté culturelle ».

Tant que le PS notamment n’aura pas réussi à formuler une position claire, lisible et à laquelle il se tienne en la matière en interrogeant ces deux « logiques » antagonistes pour non pas les réconcilier ou privilégier l’une ou l’autre mais les dépasser dans un projet à la fois contemporain et constructif, il pourra difficilement proposer autre chose aux Français qu’une série de mesures techniques sur tel ou tel aspect des politiques publiques.

Ce qu’il faut retrouver, puisque l’on parle d’identité, c’est le sens de l’identité socialiste en France, c’est l’unité narrative d’un projet spécifique susceptible de rassembler des citoyens et non des morceaux d’électorats soit-disant préconstitués.

4°) Dans une France engagée dans la construction européenne, ouverte au monde, avec une population de plus en plus diversifiée, comment penser la diversité des appartenances et des expériences qui font une société ?

La diversité, culturelle et sociale, est une réalité dans toute société complexe – notamment dans les grandes sociétés multiculturelles contemporaines. C’est aussi incontestablement un atout démographique dans un monde ouvert et interdépendant tel que le nôtre. Elle ne doit cependant pas être érigée en objectif politique ou en principe directeur de l’action publique. Quand c’est le cas, on tombe vite dans sa réduction à quelques segments de la société française et dans les politiques caricaturales de représentation de la diversité dans les institutions ou les médias par exemple – à partir notamment de l’utilisation de catégories aussi discutables que celle de « minorités visibles ».

Je citerai, comme clin d’œil, l’usage de la diversité ethnique telle qu’il était envisagé par l’un des premiers auteurs américains à avoir réfléchi à la question, au début du XXe siècle, au moment où l’on a commencé à parler du fameux melting pot aux Etats-Unis : « comme dans un orchestre, chaque type d’instrument a un timbre et une tonalité spécifiques, qui proviennent de sa composition et de sa forme, comme chacun possède son propre thème et sa mélodie dans l’ensemble de la symphonie ; en société, chaque groupe ethnique est un instrument naturel, son caractère et sa culture sont son thème et sa mélodie, et les harmonies, dissonances et désaccords entre eux forment la symphonie de la civilisation. » (Horace Kallen, Culture and Democracy in the United States : Studies in the Group Psychology of the American People, Boni & Liveright, 1924, p. 124-125).


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LES COMMENTAIRES (1)

Par eclipse
posté le 14 novembre à 14:23
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Le débat sur l'identité nationale n'intéresse pas que la droite extrême et l'extrême droite. Les Ateliers de l'Eclipse, association d'artistes-recycleurs, sont sortis de leur légendaire politique de réserve (quoique l'on ne nous ait pas encore donné le Goncourt) pour s'exprimer dans le Nouvel Observateur. En gros, le débat est désormais clos puisque l'identité nationale, ça n'existe pas. Bisous rouillés.

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