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03. Xavier agent litteraire

Publié le 12 novembre 2009 par Irving
Xavier est un putain d’enculé de sa mère. J’aurais dû le tuer quand j’en avais l’occasion.
Le téléphone n’en finit pas de sonner, et pourtant je ne décrocherai pas. Jamais. Je mets un point d’honneur à rompre l’engagement débile que j’ai pris avec mon soi-disant agent littéraire.
Mon téléphone cesse de sonner, et j’avale une grande gorgée de café en fixant la page blanche du traitement de texte de mon ordinateur. Je devrais écrire sur du papier comme un vrai écrivain.
Je peux pas écrire quand j’ai rien à dire, c’est pas possible. Il devrait le comprendre et cesser de me harceler. Je devrais pas m’énerver tout seul devant mon ordinateur à cause des délais imposés par ce connard, je devrais aller lire une bande dessinée, ou télécharger une de ces nouvelles séries américaines.
Je reçois un message de Xavier qui dit «Je savais pas que tu préférais juste jouer à l’écrivain». Je lance le téléphone contre le mur, et réalisant la stupidité de mon geste, je me précipite pour le ramasser et vérifier qu’il n’est pas cassé.
Franchement c’est pas une vie. J’ai autre chose à faire que de rester à contempler la page blanche virtuelle sur l’écran de l’ordinateur. C’est même pas impressionnant, une page blanche virtuelle.
Une douleur violente s’empare de mon ventre. J’essaye de l’ignorer, mais bientôt elle m’oblige à m’assoir. C’est pas possible de se mettre dans des états pareils. La douleur grimpe en flèche, et je presse mon estomac de mes deux mains pour tenter de contenir l’alien qui est en train de me bouffer.
Les spasmes me forcent maintenant à m’allonger par terre. Ma respiration s’accélère, et me reprendre paraît de plus en plus difficile. Je hurle «maman» parce qu’après réflexion c’est le seul truc sensé à faire. Mes tripes palpitent et la peau de mon ventre gonfle à vue d’œil.
Je tente péniblement de ramper jusqu’à la fenêtre, espérant avoir encore la force de l’ouvrir et de sauter pour abréger mes souffrances. S’il était là, Vincent dirait que je fais mon cinéma.
La douleur devient si forte que je ne trouve même plus la force de ramper, à peine celle de rouler sur le dos. Une certaine sérénité s’empare immédiatement de moi, car j’ai fini par comprendre ce qui se passe: Je vais exploser.
Je hurle de plus belle, comme un goret qu’on égorge. Pas le temps de faire évacuer l’immeuble, ni de rédiger un testament. Je vais emplir le quartier de tripes en fusion, dans une fulgurante déflagration de stress.
Si seulement je n’avais pas eu cette idée à la con d’accepter d’écrire pour un blog…
Mon ventre cède et le souffle de l’explosion fait voler mon corps en éclats. Mes membres volent aux quatre coins de la pièce, et ma tête est projetée si violemment contre le mur qu’elle le transperce. C’est juste avant que le souffle de l’explosion ne balaie l’appartement.
Dans la rue, un passant observe d’un œil circonspect mon immeuble se disperser en un feu d’artifice de briques, et ça lui rappelle les bouses de vaches qu’il faisait exploser avec des pétards étant enfant, mais en plus grand.
Putain de bouseux.
Je monte péniblement les escaliers, trempé par la pluie diluvienne qui s’abat dans la rue, et qui m’est tombé dessus juste pour me faire chier. Je récupère douloureusement depuis mon explosion, et chaque goutte qui s’est aplatie sur moi aura été un coup de marteau pour m’enfoncer un peu plus dans le trottoir. Mais maintenant je suis à l’abri.
Je frappe à la porte, et Xavier vient m’ouvrir.
-Je venais voir Vincent, dis-je.
Il sourit en m’annonçant que j’ai une sale gueule, avant de me faire rentrer. Je lui demande un café, et il me répond que je peux m’en faire un si j’ai le courage de toucher au paquet qui traîne sur l’étagère depuis deux ans. Je m’affale dans le canapé, tentant d’attirer l’attention ou la pitié. Xavier, lui, s’assoit à son ordinateur et se met à surfer sur internet, apparemment à la recherche du dernier épisode de son manga du moment.
Je soupire fort mais il fait mine de ne pas m’entendre. J’attrape une bande dessinée et tente de me concentrer pour la lire, en vain. Et puis je suis pas venu pour ça.
-Au fait, dis-je en tentant de paraître détendu, je crois pas que je vais te rendre de texte cette semaine.
-C’est pas grave, répond-il, je comptais mettre un extrait de ton bouquin…
Il me lance un paquet de feuilles agrafées, et je reconnais l’extrait dès la première ligne:
" ...Floyd fit une chute vertigineuse d’environ huit étages. La tempête de neige le fit dévier, et il atterrit sur le toit de la rue d’en face. La violence du choc lui cassa les deux jambes. Il roula sur quelques mètres, avant d’aller s’écraser contre un mur de briques.
S’il avait été totalement humain, il serait certainement mort sur le coup.
Le corps meurtri, il resta ainsi une bonne heure à contempler les flocons se disperser sur cette ville qui avait eu sa peau. Son monde se changeait en coton, et plus les minutes passaient, plus il abandonnait l’espoir de se relever un jour pour se venger de l’infâme Wolfgang.
Les flocons étaient maintenant des étoiles filantes, et la vie folle passait bien trop vite pour le pauvre Floyd, lorsqu’un visage connu se pencha au dessus de lui.
-Helena de Suza, murmura-t-il.
La jeune femme lui sourit, et passa sa main sur le visage du malheureux.
-Je vous aime, confia-t-il. Je vous ai aimé depuis le premier jour, même si pour le cacher j’ai tenté de vous vendre à Wolfgang. Maintenant toute la ville est à mes trousses, et je n’ai plus rien à vous offrir, sauf une vieille Cadillac blanche garée au bas de l’immeuble. Je veux dire… Je sais que je ne suis pas le plus honnête des hommes, mais putain, je n’ai jamais voulu vous faire du mal, et vu le monde dans lequel on vit je trouve que c’est un bon début. Je vous promets pas le bonheur, mais dès que je pourrai me lever je vous emmènerai ailleurs, et vous serez un peu moins triste, ça je vous le promets.
Une rafale de mitrailleuse coupa net son discours. Un hélicoptère de combat approchait de l’immeuble dans un fracas d’enfer. L’engin était peint de jaune et de rouge, des couleurs qui étaient hélas bien trop familières à Floyd.
-Wolfgang! sursauta Helena de Suza."

Je regarde Xavier, en lui montrant les feuilles que je tiens en main.
-Enculé de ta mère, dis-je d’une voix blanche, tu peux pas mettre ça sur internet.
Terrifié, ne sachant sans doute plus ce que je fais, je jette les feuilles à la gueule de mon ami. Il me jette la souris de l’ordinateur, et je me réfugie derrière de canapé pour éviter un boitier de disque lancé comme un freesbe. J’attrape une chaussure qui traîne et vise Xavier avec, mais manque mon coup.
-Tu sais pourtant très bien que tu sais pas viser, se moque-t-il.
Je lui demande des parlementassions et il me rappelle que je ne suis pas en position de force. Je lui réponds que je pourrais tout à fait mettre le feu à son appartement.
-Avec quel briquet? T’as arrêté de fumer. Tu as encore deux jours.
Les vagues apportent des nouvelles de la mer, plus ou moins fameuses. Le vent fait voler mon écharpe, et onduler mes vêtements. Me pieds se fondent avec le sable, et toute trace de mon passage sera bientôt recouverte par la marée.
C’est pas la méditerranée de pédé. C’est une mer agitée de vagues grises et vertes. C’est le froid et les bateaux qui peinent vraiment à la tâche. C’est un des endroits que je préfère au monde.
Mes chaussures s’enfoncent un peu plus dans le sable humide à chaque pas que je fais. Un char à voile arrive vers moi à toute vitesse, et je n’y prête pas attention. J’avais tort de vouloir écrire, et je pense que je vais passer ma vie ici.
Le char à voile manque de me rentrer dedans, et je lui hurle des insanités. Il tente de faire demi-tour et se renverse, ce qui me fait rire jusqu’à ce que je reconnaisse le conducteur accidenté.
Je sais pas ce qui a fait penser à Xavier que ce serait facile de conduire ce truc. Je l’aide à se relever, et il râle au sujet de la caution qu’il a laissée pour le char. Je lui demande comment il m’a trouvé.
-Satellite espion, répond-il en marmonnant.
-Sérieux?
-Mais non, pauvre con, j’ai appelé ta mère.
Je tire sur mes jambes pour décoller mes pieds du sable boueux. C’est un choix que j’ai fait. J’aurais très bien pu rester collé ici quelques heures de plus.
Xavier et moi nous mettons en route vers le parking au loin. Je lui demande s’il est venu me chercher parce qu’il est secrètement amoureux de moi, et il me répond que je prends mes désirs pour des réalités.
Il me tend un paquet de feuilles imprimées que je reconnais à une phrase surlignée en jaune: «Floyd décida de se mesurer au monde». Je déchire les feuilles en deux et les jette en direction de a mer, dans un geste que je veux romantique et désespéré. Mais le vent souffle dans le mauvais sens, et elles me reviennent en pleine figure, avant d’aller effectuer une danse folle sur le sable.
-J’ai écrit un bouquin de merde, dis-je.
-Il est pas si merdique, corrige Xavier. Et puis c’est pas grave.
Il ajoute que ma mère nous invite à manger. Nous continuons notre route jusqu’à la voiture, agressés par un froid polaire et la certitude de ne pas être invincibles.
Note: Idée du char à voile complètement débile.
Prochainement: Vincent me casse la gueule.

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