Magazine Journal intime

Devenir un homme?

Par Crapulax

001Curieux comme tout ce qui parait infranchissable la veille ne l’est plus le lendemain. Comment me démerder de cette avarie grave dans ce pays paumé sans aucun moyen de réparation? Comment continuer à partager ce que je vis avec mes enfants en étant itinérant et sans leur mère? Ce genre de questions brûlent sur le moment et trouvent leur réponse assez simplement ensuite. Certains se réfèreront à des proverbes «ce qui ne tue pas rend plus fort» ou à des concepts plus chiadés comme la résilience de Cyrulnik. Qu’importe. On croit mourir d’abord, on survit ensuite et on se découvre des ressources insoupçonnées enfin. Alors, on rattrape le temps perdu. L’aveugle ouvre le yeux, le sourd entend, chaque jour dure une semaine, le sommeil n’est plus un refuge mais une perte de temps. Tout devient si facile et si simple qu’on se demande comment on a pu se fixer des limites aussi médiocres avant ça. Même pas besoin de faire appel à des substances illicites ou nocives pour atteindre cet état. Votre corps les génère à l’état naturel, lorsqu’il a été violemment stimulé.

Quitter Palmeira prochainement est un crève-cœur mais c’est aussi une nécessité. De toutes façons, nous y

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repasserons pour la sortie du pays avant le Sénégal vu que mon projet initial d’en sortir via Santiago est remis en cause par la dengue qui sévit dans les îles du sud. Autant je ne prête pas attention aux bruits de ponton aussi alarmistes qu’injustifiés, autant je sais que ce qui se passe là-bas n’est pas anodin. Ils tombent comme des mouches, mon modeste portuguais créole me permet de saisir sur la radio du aluger que c’est une urgence sanitaire nationale, les frenchies ont même envoyé un avion sanitaire pour enrayer le fléau et ceux qui savent ce que c’est m’expliquent qu’entre les premiers frissons et le coma avant le trou, il n’y a que 24h. Parfois téméraire, je ne tente pas ma chance et repasserai donc par Palmeira plutôt que par Santiago.

Dur de quitter Palmeira donc car comme le dit un slammer à la mode dont je ne me souviens plus du nom, ici, «c’est du lourd». L’ami Nikko, qui m’a rejoint il y a quelques jours de son

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Canada glacial pour un mois est aussi tombé sous le charme. Il voulait initialement aller sur les spots de kite surf, dans les eaux claires et le voici qui prépare les lignes avec Grillon pour retourner une nouvelle fois à la pêche et tenter de ramener le thon de 100 kilos ou plus qui est devenu notre graal. La pêche au thon est la reine des pêches. On y investit 25 litres de mélange mais si on n’en ramène qu’un, c’est jack-pot. Mais ce n’est pas garanti, c’est ce qui fait la beauté de l’affaire. Il faut s’y donner à fond. Partir à 6h du mat’, pêcher les vifs pres de la côte, ça va vite, 10 mn tout au plus, puis tracer au large tant qu’ils sont vivaces et espérer le thon. Le thon est un vilain animal qui ne mérite finalement que d’être mangé: Il bouffe des bonites, ses cousins donc ainsi que ses enfants. Dans le règne animal, il me semble que ce genre de comportement est assez rare. C’est la guerre, certes, mais rares sont les espèces qui bouffent cousins ou enfants. Si le vif, ne fonctionne pas, il faut chercher les dauphins. Les dauphins mangent les maqueraux et chient en même temps. Les thons sont toujours dans leur sillage et se nourrissent de leur déjections. On peut alors tenter de les attraper avec des morceaux sanguinolents de poisson mort. Et si ça ne marche toujours pas, ne reste plus qu’à se poser au corps mort, moteur arrêté, en jetant de temps en temps des morceaux de vifs morts qui attireront peut-être des thons attardés vers midi. C’est la troisième phase de la pêche et la plus désespérée. Et puis on rentre en silence, bredouille souvent, comblé sinon, fatigué toujours. On range, on va à la douche des pêcheurs se débarrasser de l’odeur tenace de poisson en se disant, philosophe, que la mer n’a pas voulu. Boa Soerte, demain peut-être.

Voilà l’économie de la pêche ici qui, au-delà de la technique, tient du casino. Ceux qui y gagnent à coup sûr sont bien

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entendu les négociants qui viennent choisir les prises au quai vers 13h. J’avoue que ça m’inspire d’autant que si je prolonge la ballade sans durée définie, il faudra quand même penser à remplir la caisse de bord en chemin, surtout avec un canot bien trop grand et couteux pour moi seul. Alors, il y a là une vraie opportunité. A mon sens, ces thons rouges de première classe que l’on achète au quai pour un prix dérisoire et qui se vendent ailleurs comme de l’or en barre me donnent des idées. Simplissime. Un partenaire en France, au brésil ou au japon qui s’assure du prix de vente sur le marché et des normes sanitaires, je lui envoie en test deux beaux specimens dans un bac à glace avec un billet d’avion en first class et, tous frais defalqués, en faisant 50/50, ça peut bien le faire. Moins prestigieux qu’un job chez McKinsey&Co ou LVMH mais pas nécessairement moins rémunérateur et pas trop épuisant. Quelques données à me préciser pour les candidats partenaires côté vente: le prix au kilo, les normes sanitaires et les emmerdes de douane. Je ne plaisante pas. C’est tout à fait sérieux, pas compliqué, à bon entendeur, regardez de votre côté et écrivez-moi. Parfois c’est tellement simple de se faire un peu d’argent de poche qu’on en oublie de regarder.

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Désolé pour cet apparté mercantile mais le rêve et la bourlingue ne vivent pas d’amour et d’eau fraîche ou alors, ça ne dure pas. Beaucoup ont oublié ce paramètre et se retrouvent coincés ici ou ailleurs. Trop rêveurs, pas assez pragmatiques. Le vrai rêve nécessite des moyens, de la démerde et une planification sans faille. Il n’y a que dans le jardin d’Eden où les fruits tombent des arbres quand la faim se fait sentir. La réalité est plus rude mais plus intéressante aussi. Le rêve se paye très cher et cash. On peut comme moi y perdre sa famille, ses certitudes, sa naïveté mais je crois quand même que ça en vaut la peine. Une façon comme une autre de tenter de devenir un homme au sens de Kipling dans son poème à relire chaque jour, le seul qui vaille d’ailleurs: Si


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