Magazine Humeur

Grippe A : j'ai participé à un centre de vaccination

Par Yann Frat / Un Infirmier Dans La Ville

Ça y est j'y suis allé, j'ai vu et... je suis revenu... Et voici mon point de vue en quelques points clairs...

I- Le grand n'importe quoi :

- Privation de liberté : J'ai fini par mettre des mots sur mon sentiment ce matin : réquisitionné de force, j'ai donc été privé de ma liberté ce matin pendant 4 heures. Quand on se pose deux minutes c'est d'une violence incroyable, comme si j'avais été en garde à vue ou je ne sais quoi : je n'étais pas libre d'agir selon ma volonté, pas maître de son destin pendant 4 heures et cela me laisse vraiment un sale goût dans la bouche.

- Organisation absurde : Je n'ai pas reçu ma convocation à temps (elle n'est arrivée au cabinet que le matin de ma réquisition !). Arrivé sur place, quand je demande si oui ou non je suis réquisitionné, le chef de salle patauge et sue, ne me trouve pas puis si enfin, sur une autre feuille j'apparais... Avec mes quatre 4 , 4 (!!) autres collègues infirmières dont 2 réquisitionnées de force... (et l'autre réquisitionnée de force, sortait simplement de sa nuit de garde (!!!!!). La ddass, prévenue, n'a pas voulu changer les dates (nomeho)).
Pour se justifier, "l'organisation" n'a alors qu'un seul argument : "oui mais quand on a tout prévu en mai on ne savait pas l'ampleur que ça aurait", sauf que putain de bordel de merde quand j'ai été convoqué il y a 15 jours vous saviez où on allait, vous le saviez... et vous m'avez convoqué quand même. Vous m'avez quand même privé de ma liberté sans attendre que le système déborde... même potentiellement...

- Matériel absurde : Rassurez-vous, on ne manque pas de matériel... Moi qui connais le prix de chaque chose en matière de soins je peux vous dire qu'on a pas lésiné sur le pognon : tout le matériel, le moindre pansement et de top qualité qui coûte un bras et demi... (ce qui ne fût pas pour calmer mon énervement mais bon...). Par contre, sachez-le, le vaccin, comme au 19° siècle, se prépare par flacon de 10 doses (un vaccin normal se fait maintenant en unidose) et s'injecte avec des seringues dont on ne peut enlever l'aiguille... Donc en clair : on prépare la soupe et chacun vient piquer avec son aiguille à vaccin, d'abord le flacon puis le bras du patient.
Ergonomiquement, hygiéniquement, logiquement : c'est une façon de faire totalement absurde.

- Infirmier au diplôme en sursis : Dans la "grande organisation" bien faite, le rôle d'un infirmier est , normalement, d'encadrer un à trois (3!!) étudiants médecins ou infirmiers (qui ont été réquisitionnés de force aussi, alors que les étudiants médecins non...). En clair, vu les manipulations à faire, il y a un vrai risque d'erreur de dosage et/ou d'asepsie... L'infirmier (qui ne peut physiquement surveiller en même temps ce que font 3 personnes !!! ) est donc là juste pour avoir quelqu'un à sanctionner si une erreur est faite, le diplôme en ultime barrage, ultime caution d'une organisation à (gros) trous.

-Dévoyer le "plan blanc élargi" : Le plan blanc élargi est un plan mis en place par la sûreté civile pour organiser toutes les forces de soins en cas de catastrophe (AZF par exemple), et c'est ce plan qui justifie notre réquisitionnement (sauf qu'en cas de vrai problème personne n'attend de lettre recommandée pour porter secours et aider...). Or ce sont les structures de ce plan qui ont été utilisées pour cette grippe... Ce qui me semble profondément grave et pose la question des limites :

-Pour quelle pathologies va-t-on nous réquisitionner ainsi maintenant, maintenant que le rubicon est franchi une fois ?

-A l'inverse, si la pandémie de grippe nécessite un plan blanc élargi, comment justifier le fait que les centres soient ouverts de 8h30 à 12h30 du lundi au samedi, Et pas tous les jours au moins 12h par jour ? En cas de tremblement de terre pensez vous que les sauveteurs partent en week-end ? Quelle urgence vitale absolue supporte d'attendre le week-end ?

- Pas de café , pas de croissant, ce qui est franchement la honte. Du coup c'est un mec de la mairie qui est allé m'en chercher un à la machine (non mais).

II- Le public ce jour là :

On a vu quand même 30 personnes ce matin réparties en 4 groupes distincts :
-Les vrais malades avec facteurs de risque
-Les parents d'enfants en bas âge
-Les employés de la mairie (??), y compris un maire d'arrondissement...
- Quelques rares excités "UMP spirit" qui de toutes façons iraient se jeter sous un lac gelé pour respecter leur soumission à l'ordre établi... Et surtout toujours bien faire tout ce qu'on leur dit... (et cracher sur les journalistes...) (sachez-le il ne fait pas bon être journaliste dans un de ces centres....

III-L'ambiance

Même si je suis assez blessé par les méthodes employées je reste un vrai professionnel et l'ambiance a été excellente (enfin, une fois que la gourde de chef de salle a bien retrouvé ma convocation...). Nous étions deux médecins et 4 infirmiers et nous avons pu papoter et se donner des nouvelles de nos différents exercices, on a rigolé aussi, on s'est pas mal moqué de la salle de repos (hommage à Berlin EST), bref malgré tout cette matinée s'est très bien passé... Même les patients étaient loin d'être les chieurs auxquels je m'attendais...

Bon ceci dit 4 infirmiers, 2 médecins, 5 administratifs + 1 chef de salle ... Soit 12 personnes pour 30 patients... Heureusement qu'on n'a pas été débordés...

IV- Les blagues

Vous commencez à me connaitre, je crois que c'est une seconde nature chez moi...

Dans la grande salle de vaccination, une collègue devant un patient (un peu sympa lui aussi sinon c'est pas drôle):
"- Euh, Yann le patient me demande comment s'appelle le vaccin ?
-Mort subite non ?"
...
...
Oui c'est pourri mais ça m'a fait rire...

Conclusion

Passé les blagues que provoquent l'excitation nerveuse,  l'inadaptation totale, l'impression de grand n'importe quoi et d'emballement irrationnel reste très présente ce soir. Je n'étais pas utile ce matin et tout le monde le savait sauf que j'ai été réquisitionné la semaine dernière...

Je n'étais pas utile et tout le monde le savait sauf que qu'on m'a privé de ma liberté normale de citoyen payant ses impôts pendant quatre heures ce matin...

Et ça, ça va mettre du temps à passer...

Sinon, entre deux potins, j'ai aussi appris qu'un grand ministre moite du front devait venir dans mon centre jeudi...
... Mais que finalement, au dernier moment, il n'est pas venu...


Retour à La Une de Logo Paperblog

Dossiers Paperblog