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"Katyn", le film magistral de Wajda, qui n'est toujours pas diffusé en Suisse

Publié le 17 novembre 2009 par Francisrichard @francisrichard
Le Centre d'Animation Cinématographique Voltaire (ici), qui est une des associations culturelles de la Maison des Arts du Grütli à Genève, s'est distingué hier soir à 19 heures. Devant un parterre de 150 à 200 personnes, Katyn, le film magistral d'Andrzej Wajda  y a été projeté - merci aux organisateurs ! - à l'occasion de la sortie du livre "Katyn et la Suisse",  publié aux Editions Georg (ici). 

Ce livre est en fait le recueil des actes d'un colloque qui s'est tenu du 18 au 21 avril 2007 à l'Université de Genève et qui était organisé par les facultés de lettres, de médecine et de droit (ici). A partir du cas de François Naville, les participants au colloque se sont penchés sur les problèmes qui se posent aux humanitaires  et aux experts médicaux quand ils se trouvent confrontés à des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité.  

François Naville, "directeur de l'Institut de médecine légale du canton [de Genève] entre 1934 et 1960" [voir l'article de Sylvie Arsever dans Le Temps du 16 novembre 2009 ici], avait été appelé par les Allemands, en 1943, à enquêter sur le massacre de Katyn, découvert par les Allemands, et avait conclu, éléments probants à l'appui, recueillis sur place, que ce massacre s'était produit au printemps 1940 et que les Soviétiques russes en étaient responsables.  

En 1946, François Naville avait été "mis en cause devant le Grand Conseil genevois par le communiste Jean Vincent", lequel, à la tête de la plus forte représentation de cette assemblée, demandait rien de moins que son exclusion de l'Université de Genève. Grâce au soutien du directeur libéral de l'Instruction publique genevoise de l'époque, Albert Picot, qui avait salué sa probité et sa "mission positive" effectuée à Katyn, François Naville avait fini par être laissé tranquille par la gauche genevoise. Entre-temps le Procès de Nüremberg s'était terminé sans que le massacre de Katyn ne soit attribué aux Nazis, au grand dépit des Soviétiques...qui l'avaient ajouté pourtant à l'acte d'accusation.

En 1967, j'étais lycéen, à Henri IV, à Paris. Je venais de lire le livre qu'Henri de Montfort avait consacré au Massacre de Katyn: crime russe ou crime allemand ? et où il faisait le point de toutes les connaissances de l'époque sur le sujet. Il concluait qu'il s'agissait bien d'un crime russe. On ne savait pas, alors, que le bureau politique du Parti communiste russe avait donné l'ordre écrit, le 5 mars 1940, d'assassiner 25 700 responsables polonais, parmi lesquels les 4 400 officiers, retrouvés dans les fosses de Katyn, ce que l'ouverture des archives soviétiques devait nous apprendre plus de 30 ans plus tard. Un de mes condisciples ne supportait pas que j'impute ce crime à ses chers camarades russes... et me traitait de tous les noms d'oiseaux que les communistes savent proférer dans de telles circonstances.

Comme je le disais dans ma recension du livre de Stéphane Courtois, intitulé "Communisme et totalitarisme" il est un tabou qu'il est encore difficile d'enfreindre aujourd'hui. Interdiction est en effet toujours faite de comparer nazisme et communisme. C'est sans doute pourquoi la diffusion du film de Wajda est demeurée confidentielle en France, inexistante en Suisse, si elle a été un grand succès en Pologne. En effet le film n'est sorti en France que dans une quinzaine de salles en avril dernier, pendant un court laps de temps, qui ne m'a pas permis d'aller le voir. Hormis hier soir, il n'est pas du tout sorti en Suisse...

Or, en voyant le film de Wajda, dont le père a péri à Katyn, il est frappant de voir que les Polonais ne portent dans leur coeur pas davantage les communistes que les nazis, qui ont d'ailleurs commencé, ensemble, par se partager les dépouilles de leur pays en 1940. Les Allemands ont fait prisonniers les soldats, les Russes les officiers. A un moment donné, deux de ces officiers parlent de la présence des armées des deux régimes totalitaires sur le sol de la Pologne. L'un d'eux, Jerzy, qui ne veut pas perdre espoir, dit qu'"ils auront besoin de nous". L'autre, Andrzej, lui répond par une question : "Lesquels ?".

A un autre moment les Allemands accusent les Russes d'avoir commis le massacre. Ils soulignent que la méthode employée pour les exterminer - les prisonniers entravés reçoivent une balle dans la nuque - est caractérique du NKVD. Après que les troupes russes, quelques mois plus tard, ont repris la région de Smolensk, où se trouve la forêt de Katyn, une commission d'enquête russe cette fois est constituée de personnalités, uniquement russes, qui concluent, comme il se doit, que le massacre a été commis... par les Allemands et que la méthode employée est caractéristique de la Gestapo... Deux régimes criminels qui s'accusent mutuellement : ce n'est pas moi c'est lui. Sauf que, cette fois, l'un, le communiste, mentait, de manière éhontée, et l'autre, le nazi, pas... pour une fois.

Aujourd'hui la vérité historique n'est plus à établir. En se basant sur le roman Post Mortem d'Andrzej Mularczyk, Andrzej Wajda a cherché à nous restituer une autre vérité, tout aussi importante, la vérité humaine, qui ne peut se comprendre que par des destinées singulières, plus proches de nous. Trois familles ont ainsi vécu le drame de Katyn dans leur chair, en versant des larmes et du sang, et n'ont jamais accepté le mensonge du crime allemand, que les autorités "populaires" polonaises voulaient leur imposer, au besoin par la violence, contre toute vraisemblance. 

Le capitaine Andrzej, qui a un haut sens du devoir et de sa dignité d'officier, va finir ses jours dans une des fosses de Katyn et son père, professeur à l'université de Cracovie, dans un camp nazi. Sa femme, Anna, ne croira qu'il est mort à Katyn que lorsque la preuve lui en sera apportée plusieurs années plus tard sous la forme d'un agenda, où le supplicié a tout noté, jusqu'à son dernier jour, avant les pages blanches.

Agniezska, la soeur d'un pilote, lieutenant mort à Katyn un chapelet à la main, fait réaliser une pierre tombale où est inscrit 1940, comme année de son décès, ce qui lui vaut d'être emprisonnée par le régime communiste polonais pour avoir voulu contester la vérité officielle, édictée par le grand frère russe. Sa soeur, qui dirige une école, ne croit pas que la Pologne puisse un jour redevenir libre. Elle s'accommode de la situation, au contraire d'Agniezska, qui refuse de faire des concessions.

Le général est mort avant tous ses hommes, dans une sordide pièce, où son sang répandu sur le sol a été évacué, partiellement, à grandes giclées de seau d'eau. Puis il a été jeté, comme les autres, dans une des fosses de la forêt de Katyn. Sa femme, Roza, est d'une grande dignité. Elle aussi regimbe contre "la vérité" de la  "démocratie populaire" polonaise, à la remorque de la russe, qui attribue son forfait à l'Allemagne, vaincue et flétrie, alors que ses crimes sont blanchis par son statut de vainqueur.

A la fin du film, quand le générique est apparu sur l'écran, j'ai ressenti que je venais de vivre un moment exceptionnel, sans doute dû aux images que seul un grand artiste est capable de nous offrir. Un débat devait suivre la projection, un coquetel devait se tenir encore après. Cependant je ne suis pas resté, parce que je devais retourner à Lausanne bien sûr, mais aussi parce que j'avais le besoin impérieux de conserver en moi, pendant quelque temps du moins, l'émotion qui m'avait gagné, de méditer sur le sort de ces milliers de victimes polonaises, oubliées parmi des millions d'autres victimes, que les totalitarismes du XXe siècle auront sacrifié sur l'autel de leurs idéologies funestes.

Francis Richard

Extraits du film publiés sur Daily Motion :



Nous en sommes au

483e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani, les deux otages suisses en Libye

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