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L'annexe à l'accord du 19 août sur l'UBS entre la Suisse et les Etats-Unis

Publié le 18 novembre 2009 par Francisrichard @francisrichard
L'annexe à l'accord du 19 août sur l'UBS entre la Suisse et les Etats-Unis Avant-hier la fameuse annexe à l'accord du 19 août 2009 entre la Suisse et les Etats-Unis sur les comptes détenus à l'UBS [photo ci-contre en provenance du site de la RSR ici] par des Américains a été publiée, comme prévu, 90 jours après la conclusion de cet accord [voir ici la version française de cet accord, comprenant la fameuse annexe].

Ce qui est dit dans cette annexe n'est malheureusement pas surprenant et confirme ce que j'écrivais le 19 août 2009, au soir de l'accord [voir mon article Sauvetage UBS : la concession faite par la Suisse serait-elle de livrer les noms ? ], à savoir :

"Il semble bien que la concession qu'ait faite la Suisse aux Etats-Unis soit donc bien de donner des noms spontanément, en respectant cette fois la procédure qui prévoit un recours de la part des nominés, au contraire de ce qui a été pratiqué en début d'année. Mais cette concession est de taille et c'est un fâcheux précédent..."

Ce qui était un euphémisme... 

Interrogé dans le cadre de l'émission Forum, du 20 août 2009, entre 18 et 19 heures, sur La Première, Philipp Fischer, avocat d'affaires, confirmait mon analyse de la veillle:

"Il est important de constater que dans la conception traditionnelle de l'entraide en matière fiscale il appartenait à l'autorité requérante, donc ici à l'autorité américaine, de nommer les titulaires des comptes concernés, au sujet desquels les informations étaient requises de la part des établissements bancaires suisses. L'accord change de manière radicale cette approche dans la mesure où il n'appartient plus à l'autorité requérante d'identifier les clients mais à la banque concernée, donc ici à l'UBS, d'identifier ces comptes sur la base de ces fameux critères qui ne sont pas encore connus à l'heure actuelle, et, une fois que ces clients, qui ne sont pas connus de l'autorité américaine ont été identifiés, l'autorité fiscale suisse rend une décision de communiquer les noms aux autorités américaines. Là il y a un changement de rôle pour l'identification des comptes concernés qui est très important et qui permet de dire qu'on a affaire à un changement de paradigme." 

L'annexe à l'accord du 19 aôut, dans son jargon juridique, ne dit pas autre chose [j'ai souligné en gras les passages essentiels]:

"Une demande d'entraide administrative implique en principe l'identification claire et précise des personnes concernées. Cependant, vu (i) le comportement fautif mis en évidence chez certains contribuables américains, titulaires de comptes non déclarés au moyen du formulaire W-9 (non-W-9) auprès d’UBS SA Suisse (UBS) à leur nom ou au nom d’une société offshore sans activités opérationnelles dont ils étaient ayants droit économiques, (ii) la spécificité du groupe de personnes concerné, décrit au ch. 4 de l’exposé des faits du Deferred Prosecution Agreement (DPA) conclu entre les Etats-Unis d’Amérique et UBS le 18 février 2009, et (iii) les exigences formulées dans l’arrêt du Tribunal administratif fédéral du 5 mars 2009, il n’est pas nécessaire de mentionner les noms des clients américains d’UBS dans la demande d’entraide administrative."

Autrement dit, sans langue de bois : en principe les noms ne doivent pas être donnés, mais, vu le comportement fautif de certains américains titulaires de compte UBS, ils ne peuvent pas bénéficier de l'anonymat qui les aurait protégés normalement. Il n'est pas nécessaire que le fisc américain donne leurs noms dans sa demande d'entraide judiciaire. Ils seront donnés sur un plateau par la Suisse.

Auparavant, fautifs ou pas, cela aurait été au fisc américain de donner les noms des présumés coupables. Qu'est-ce qui a changé ? La Suisse a préféré défendre ses intérêts immédiats plutôt que ses principes. Belle mentalité ! Car il n'y a pas d'autre raison qui justifie cette volte-face.  

Seront déclarés fautifs ceux pour lesquels "il y a de sérieuses raisons de penser qu'ils ont commis "des fraudes ou délits semblables"". L'annexe nous éclaire sur les critères qui permettent de penser que des fraudes et délits ont été commis. Ce sont bien les critères que le Centre patronal mentionnait dans son numéro 39 d'Etudes et enquêtes, consacré au secret bancaire et à la place financière suisses (voir mes articles
Une étude du Centre patronal - 1ère partie : le secret bancaire suisse et Une étude du Centre patronal - 2e partie : la place financière suisse ). Sous une autre formulation, ce sont les trois cas de figures suivants synthétisés par le Centre patronal:

"Premièrement, la fraude qui ne serait pas réalisée dans un but de fraude fiscale ; deuxièmement, la destruction de livres comptables, leur non-production et leur absence de tenue; troisièmement, le fait de ne pas remplir une déclaration d'impôt, couplé avec un comportement qui rend difficile, pour l'autorité fiscale, la découverte de certains éléments non déclarés."

Aux critères définissant les présomptions de "fraudes ou délits semblables",
l'annexe - ce qui est propre à l'accord du 19 août - ajoute des critères de montants, en avoirs et en revenus, et divise les clients américains de l'UBS en deux catégories, les clients titulaires directs et ayants droit économiques de comptes-titres d'une part, les ayants-droits économiques de comptes de sociétés offshore d'autre part. Pour les premiers, au nombre de 4'200, ce sont les ressortissants domiciliés aux Etats-Unis qui sont visés et, pour les seconds, au nombre de 250, ce sont tous les ressortissants, indépendamment de leur domicile.

Je rappelle qu'en droit fiscal américain l'imposition est fondée sur la nationalité et pas seulement sur la résidence. Ce qui permet d'introduire cette seconde catégorie de contribuables dans l'annexe à l'accord du 19 août. Jan Krepelka, dans un entretien accordé à Sonia Arnal dans Le Matin Dimanche du 8 novembre 2009, dit tout le mal qu'il pense de ce fondement de l'imposition (ici) :

"[Les Etats-Unis] font payer des impôts à leurs ressortissants même s’ils ne vivent plus sur le territoire américain depuis des dizaines d’années. Ces citoyens sont otages de leur passeport et victimes d’un abus de pouvoir de l’Etat."

Il ne faut pas se faire d'illusions. Le dossier de ces fautifs américains sera suffisamment bien ficelé autour de leur cou par l'Administration fédérale des contributions, AFC, pour que le recours éventuel qu'ils feront devant le Tribunal administratif ne puisse pas aboutir. Ce sera un simulacre de procédure respectée, puisque le résultat est garanti d'avance. Il ne faut pas oublier que la Suisse s'est engagée à donner les noms de ces 4'450 clients américains de l'UBS et que, si elle ne le fait pas, l'accord pourra être remis en cause par les Etats-Unis et la licence de l'UBS d'exercer aux Etats-Unis pourra être supprimée. Je précisais dans mon article du 19 août la chronologie de l'accord :

"Les premiers 500 comptes devraient être livrés sous 90 jours, le reste sous 360".

Il paraît qu'effectivement l'AFC est prête à notifier aux 500 premiers clients qu'ils seront livrés au fisc américain, sauf recours de leur part, couronné de succès...

Il y a 75 ans, exactement, en 1934, le secret bancaire était renforcé dans la Loi fédérale sur les banques,  notamment dans les articles 162 et 320. Comme le rappelait Jan Krepelka dans l'entretien évoqué ci-dessus  :

"Quand en 1934 il est devenu punissable de divulguer des informations sur les détenteurs de compte en banque, il s’agissait de protéger les avoirs de personnes persécutées par leur pays d’origine. Après la Grande Dépression, certains Etats ont interdit toutes les exportations de capitaux, même si leur source était parfaitement légale. Les gens qui tentaient de mettre à l’abri leur fortune risquaient de très lourdes peines de prison, et dans une Europe d’avant-guerre très instable, où les dictatures commençaient à émerger, certains risquaient aussi la confiscation, par exemple à cause de leur appartenance religieuse. Garder le secret était primordial pour leur sécurité et a été vu à l’époque comme parfaitement en accord avec la défense des droits de l’homme et la morale."

J'ajouterai que ce n'était pas une menace en l'air puisque l'Allemagne nazie, en juin 1933, avait promulgué, une série de lois obligeant les citoyens allemands à déclarer leurs avoirs à l'étranger. Pour défaut de déclaration, la sanction pouvait aller jusqu'à la peine de mort :
trois Allemands ont d'ailleurs été exécutés en 1934 pour crime de posséder un compte en Suisse...

Jan Krepelka a raison de souligner que le secret bancaire relève des droits de l'homme :

"Chacun a droit au respect de sa sphère privée, il n’y a aucune raison pour que l’Etat sache tout de votre santé ou de vos finances. De même qu’il faut des bonnes raisons et un mandat pour que des policiers viennent fouiller chez vous, il faut aussi de très sérieuses raisons et des autorisations pour que vos comptes soient épluchés. En tant que citoyen, vous avez droit à cette protection. Mais ces derniers temps, en matière fiscale notamment, il y a une inversion de paradigme. C’est un peu comme si dans un procès, au lieu que la charge d’établir la culpabilité incombe à l’Etat, la charge d’établir son innocence incombe à l’accusé. Il n’y a plus de présomption d’innocence, le contribuable doit prouver qu’il ne fraude pas le fisc ou ne se prête pas à de la soustraction avant même qu’on ait la moindre preuve qu’il puisse l’avoir fait."  
 
Jan Krepelka conclut ainsi son entretien avec Sonia Arnal :

"Les Etats qui nous entourent, et qui gèrent mal leurs finances publiques, vont continuer à faire pression non seulement sur leurs contribuables, mais aussi sur la communauté internationale, pour freiner autant que possible la concurrence fiscale. Je vois gagner du terrain à cette conception très désagréable de l’impôt où l’Etat a un droit de plus en plus étendu sur le revenu du citoyen, qui doit lui en rétrocéder une part toujours plus importante sans qu’on lui demande son avis, et qui devrait en plus tout dire de comment il gagne sa vie, où il place son argent, ce qu’il en fait. Or le citoyen n’a pas à se justifier sur ces points. C’est aussi à cela que sert le secret bancaire, et pour cela qu’il faut le protéger."

Dimanche dernier, 15 novembre 2009, Patrick Odier, le nouveau président de l'ASB, l'Asssociation suisse des banquiers accordait un entretien à la NZZ am Sonntag que Le Matin résume en ces termes (
ici) :

"A l’avenir, les banques suisses doivent refuser l’argent non déclaré au fisc de clients étrangers. C’est avec ce nouveau modèle commercial et l’introduction d’un impôt libératoire que l’Association suisse des banquiers (ASB) veut contrer l’échange automatique d’informations réclamé par l’étranger dans la lutte contre l’évasion fiscale."

Dans les passages que j'ai reproduits de son entretien au Matin Dimanche, Jan Krepelka a bien montré que le secret bancaire relève des droits de l'homme et qu'il est le garant de libertés individuelles, que l'on s'empresse de mettre dans sa poche avec un mouchoir par dessus, au nom d'une Real-Ökonomie, bien éloignée des principes d'une libre économie.

La Confédération suisse en signant l'accord du 19 août 2009, dont nous connaissons maintenant l'annexe, l'Association suisse des banquiers en déclarant par la voix de son président que les banques ne devraient plus accepter que de l'argent fiscalement propre, montrent que les libertés individuelles sont le cadet de leurs soucis à partir du moment où leurs intérêts sont en jeu. Cette attitude sans élégance n'est pas près de redorer le blason de la Suisse, passablement écorné ces derniers temps.

Francis Richard

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