Magazine Journal intime

Yogyakarta, du chaud au froid, des pantoufles vers l'aventure

Par Simplybrice

A Pangandaran, je compte les gouttes. Une, deux, trois.

Mille, deux mille, trois mille.

Un milliard, deux milliards, trois milliards.

Le 28 octobre, la faute aux préliminaires, la faute à Varanasi, la faute à la fée goutelettes, il est 6h et je suis levé depuis déjà belle lurette quand le soleil ne se cache plus derrière la terre mais derrière une couette de nuage bien épaisse. Le village se lève et je fête ça en sa compagnie. J'enfile mon imperméable et m'adonne aux joies de la promenade en solitaire sur une plage battue par les vagues entre autres éléments.

En arrivant sur le sable, c'est à un slalom autour des sacs en plastiques de tous genres et échoués là par hasard qu'il faut se livrer, la faute aux cons d'espèce je-jète-là-où-je-suis-et-pas-dix-mètres-plus-loin-dans-une-poubelle que je ne porte pas dans mon estime. C'est en partie à cause de ça que je me livre sans doute une dernière fois ici à cette marche de bord de mer et que la décision de partir finalement dès que possible a été prise à l'unanimité des votes. Après avoir quand même baigné mes orteils dans l'eau chaude et bouillonante, mes pas me dirigent maintenant vers l'agence à même de me vendre un billet de bus pour Yogyakarta la plus proche.

A l'intérieur, après m'être acquitté des formules de politesse locale, je demande s'il est encore possible de faire une réservation pour le jour même ce à quoi on me répond que, c'est trop tard pour moi, le seul bus du jour est parti à 5h,

- "je vous réserve celui du lendemain?"

- "Ben, faîtes donc ça alors!"

Sur le chemin qui me ramène dans mon antre multi-chambrée, je rebifurque vers la mer, parfaite donneuse de conseils quand on se demande ce à quoi va ressembler cette journée hormis enfin se souvenir du nom "Pagandaran" qui ne veut pas rentrer. Ca se vérifie. Sur ma droite, en amont de la plage, se suivent des petites barraques. Certaines vendent des T-shirts, certaines le petit déjeuner, certaines louent des planches de surf et de bodyboard, comme aux grandes heures ferrecapiennes (du Cap Ferret).

La décision penche alors vite en faveur de ces dernières, petites biscottes permettant de surfer les vagues en position allongée. Seulement, il n'est encore que 7h00, des surfeurs sont déjà à l'eau mais le loueur, lui, n'être pas encore prêt de se montrer. Je m'accorde donc une petite sieste syndicale le temps d'y voir plus clair. Trente minutes plus tard, je suis déjà de retour sur mes pieds, en chemin vers la plage, prêt à en découdre. Sur mes épaules, rien d'autre qu'une serviette, un maillot de bain, une paire de tongs et quelques roupies.

J'échange ces dernières contre un planchette et une paires de palmettes et me voilà à l'eau à l'heure où d'habitude, j'émerge encore à peine. Ce matin, Pagandaran étant un beachbreak (vague qui casse sur du sable) pas ridicule, je me bats pour passer une barre de vagues de deux mètres qui déferlent à allure régulière, ça change de Varanasi! A Pagandaran au moins, je peux me permettre de me prendre des bouillons! Et je ne me prive pas! En trois heures de temps, je me draine de toutes les forces qui j'avais en réserve pour la journée. En proie à des menaces de crampe au mollet qui n'inspire en moi qu'une crainte teintée de respect à distance, je me remets sur mes deux pattes gonflé à bloc de tant de plaisir, d'efforts physiques, et de contacts sportifs avec la nature. Peut-être aurais-je du prendre un encas avant d'en arrivé là? Rattrapons le temps perdu et allons dévorer un pancake au miel et à l'ananas!!

Tentons également de reprendre un rythme normal. Je m'imagine d'avance que si je passe les huit heures de minibus de demain à dormir, je suis reparti pour un tour avec des réveils tardifs et des couchers, je ne vous dis pas.

Les heures qui me séparent du lendemain sont donc un planning de sommeil hautement scientifique visant à me réveiller de bonne heure et de bonne humeur, mission accomplie, à l'heure où le minibus est déjà à m'attendre.

Il est 7h, commence une nouvelle épreuve de patience déjà éprouvée maintes et maintes fois, à chaque occasion d'un nouveau transport en somme.

Mais ce matin au moins, je quitte les trombes d'eau qui me saluent une ultime fois à Pangandaran, croyant en ma bonne étoile d'un soleil radieux bientôt proche. Les heures se succèdent. A côté de moi est assise une jeune femme voilée silencieuse et somnolante. Ce n'est qu'en milieu d'après-midi que l'on pénètre enfin dans les faubourgs annonciateurs de Yogyakarta. Je touche l'objectif du doigt quand subitement le chauffeur, sans raison apparente, se gare sur le bas côté. Il descend du véhicule, je l'y rejoints. Quelques dizaines de minutes auparavant, j'avais remarqué un bruit suspect comme si on avait heurté quelque chose mais n'y avait pas prêté plus d'attention que ça. Or, il s'avère maintenant que ce bruit était la cause de notre présente crevaison puisque c'est de cela qu'il s'agit. Il fallait que ça arrive si près du but! Heureusement, pas de panique; d'un bond, le chauffeur maintenant mécanicien a extirpé de sous la voiture une roue de secours. Le temps de courir m'acheter une boisson fraiche pour lutter contre les effets de la chaleur ensoleillée dont je me plains déjà de sueur, la roue est changée, plus de peur que de mal. En quelques tours de roues, je suis déposé où bon me semble, à l'entrée du quartier rassemblant les meilleurs adresses économiques de la ville. Mon sac sur le dos, je pars à la recherche de la meilleure affaire possible. La première tentative puis la deuxième sont des échecs, la faute à un taux d'occupation de 100%, mais la troisième, une réussite.

Je loge à l'hotel Bladok qui, en plus dêtre coquet et avenant, cache dans une arrière cour une piscine d'un beau gabari et d'un effet itou à laquelle il est impossible de résister à l'heure où on hésite à cause du prix.

Je m'installe donc dans ma chambre avant de redescendre tester les talents du cuisinier qui se targue d'une viande de boeuf importée de Nouvelle-Zélande, avant gout du futur.Toujours en manque de chair rougeoyante après les périgrinations indiennes, mes canines croque encore le gout du plaisir au moment de se planter dans la bidoche.

L'assiette est vidée, l'estomac remplit, et l'esprit détourné.

Je remarque la serveuse qui s'active autour. C'est une petite javanèse avec une grace de ballerine, qui s'acquitte de son travail en vire-voletant, en envoyant des rayons de sourire à tout ce qui l'entoure. Je suis sous le charme et fond dès qu'elle m'adresse la parole. Bladok quand tu nous tiens...

A l'issue de ce repas synonyme de petit déjeuner-déjeuner-dîner, je libère la place laissant derrière moi quelques bons mots et quelques pourboires. Il est temps de s'occuper du rythme de vie et éventuellement faire une nuit normale. Elle se produit. Tout rentre dans l'ordre, je me lève enfin à 9h dans une forme tonitruante avec le corps en fête et l'estomac en faim.

Quelques tartines plus tard, Rita déjà là faisant danser les plats, j'ai un état d'esprit idéal pour me lancer dans l'exploration de la ville. Je commence par une petite marche le long de l'artère principale avec en point de mire le Kraton, demeure du Sultan et rendez-vous majeur des visites locales. Après avoir refusé les offres des guides locaux n'ayant pas envie de me faire remplir l'oreille, j'arpente les lieux et surprise, en fais le tour en moins d'une demie heure. C'est joli certes, mais c'est un peu court jeune homme! Je pourrais alors continuer les visites à proprement parlé mais si elles sont tous du même accabi, autant aller se perdre dans les rues des environs.

Je préfère alors laisser de côté les artères principales pour m'enfoncer dieu sait où. Je tourne dans un dédale de rues trop petites pour une voiture à l'affut des bonjours, à l'affut des sourires qui viennent naturellement.

A plusieurs reprises, je m'arrêtes pour converser avec qui m'engage dans la conversation, c'est courtois, bon enfant, traditionnel. Je m'en délecte d'autant que c'est une surprise. Java étant l'île la plus peuplée du monde avec pas moins de 150 millions de javanais, j'étais persuadé d'étouffer dans les villes. Or, à Yogyakarta, c'est plaisant, ça respire la province, ça respire tout court.

Puis, après avoir perdu trois kilos d'eau à errer ça et là, il est venu le temps de me mettre à l'ombre, de faire refroidir un corps chauffé par un soleil radieux qui, si tu en abuses, n'est plus un modèle de bienfait comme en atteste tous les locaux qui se sont forts de rester à l'ombre.

De retour à l'hotel, je m'immerge dans la fraîche piscine surpris de ne pas voir de vapeur éclore à mon contact. Quelques longueurs plus tard, Rita rentrée chez elle, je reprends les clés du voyage et assouvis ma quête de merveilles en me portant acquéreur d'un billet tout compris pour admirer Borobudur au prochain lever de soleil ce qui a beau être prometteur de difficultés à l'heure de s'activer les neurones, le nom de l'endroit est tellement évocateur presque d'un autre monde que je suis en joie rien qu'à le prononcer.

Et ce n'est pas tout. J'organise aussi la visite d'un autre sîte majeur, les temples de Pranbanan, qui sera cloturé par une spectacle nocturne de danse à ciel ouvert avec les temples illustres illuminés pour arrière-plan. Pas mal pour un samedi ou quelque autre jour.

Passé le dîner où le chef se sublime une nouvelle fois, je retourne dans mes quartiers bien décidé à faire honneur à tout ce qui m'attend demain. A 21h, je dors comme un bébé. Mais qu'est ce qui m'arrive?

Conséquence de tout ça, la mise en action de 4h30 est un jeu d'enfant. De grand enfant.

Car avant de lever le camp, je vais d'abord à l'épicerie du coin qui reste ouverte 24h/24h pour acheter boissons et biscuits. Devant, à l'extérieur, il y a là un groupe de jeunes locaux qui finissent leur nuit en buvant tout ce qu'il leur reste d'alcool. N'ayant rien contre les jeunes débonnaires, je leur lance à tous un bonjour enjoué.

- Salut à tous! Ca va bien? Vous passez un bon moment? La nuit a été bonne?

- Salut mon frère! Comment tu t'appelles? Tu viens d'où? Tu veux boire un verre?

- Non merci, ç'eu été avec plaisir mais je viens juste de me réveiller et la journée commence à peine.

- Orrhhhh!!!! Allez!!! Un p'tit verre!!!!

- Bon allez, pour vous faire plaisir...

Le type le plus proche de moi se saisit alors d'une bouteille déjà à moitié vidée et me remplit un gobelet. Ne sachant alors pas à quoi m'en tenir, dans une pirouette, je lui propose alors de boire le premier et de m'en resservir un autre. Il boit et titube. Je frémis. Viens alors mon tour. Le même type me sert alors le même verre aux deux tiers.

- Merci... C'est trop, je n'en demandais pas tant...

- Orrhhhh!! Allez!!!!!

Un cul sec de cette niaule plus tard, vient mon tour de tituber.

L'heure de voiture jusqu'à Borobudur qui aurait pu n'être qu'une longue agonie défile à grande vitesse comme les motos qui nous doublent de tous les côtés dans la lumière naissante. Toute L'indonésie est déjà debout, le premier métro parisien n'est même pas encore parti. En quittant Yogyakarta, on longe un marché ouvert uniquement de 3h à 7h, ici ça ne choque personne. Moi non plus, la seule chose qui me choque, c'est qu'il fait encore nuit, que je suis déjà un peu bourré.

Il est 6h. Les portes du parc entourant Borobudur s'ouvrent. A cette heure, on ne compte qu'une douzaine de touristes ce qui n'est pas pour me déplaire. En marchant vers le sîte sacré, j'accélère jusqu'à atteindre le monument en lui-même en deuxième position, parfait pour avoir un point de vue dégagé et la sensation, qu'à tort, ils ne sont pas nombreux à avoir foulé ces marches.

Devant, en haut de sa colline majestueuse au milieu juché au milieu d'une large plaine verdoyante ourlée de montagnes, se dresse le phénomène. Construit au IXème siècle (IXème!!!!!), Borobudur est une immense structure rectangulaire à sa base et ronde à son sommet, remplie de centaines de statues et de bas-reliefs qui à cette heure du jour prennent des reflets aux couleurs chaudes.

Son exploration complète prend deux bonnes heures pendant lesquels le paysage se découvre mais pendant lesquels les groupes commencent à envahir le pavé. C'est donc sans regrets que dès 8h je retrouve le chemin du minivan que je partage avec d'autres. Les stands de souvenirs sont maintenant ouverts et bruyants, les chaussettes/sandales sont partout.

Sur la route du retour, le chauffeur se propose de nous arrêter à deux autres temples plus modestes. Maintenant qu'on est debout pourquoi pas?

Un premier temple passe. Place au deuxième.

Au moment d'arrêter le minivan le long de la large étendue d'herbe, on remarque qu'ici nous ne sommes pas les premiers. Plus d'une centaine d'écoliers font leur sortie du samedi matin, plus synonyme de récréation que de lesson d'histoire. Ils crient, se courent après, se pendent les uns après les autres à d'immenses lianes qui pendent du sommet d'un arbre colossale. A peine posé le pied au sol, l'arbre n'a plus grande importance, en bons non-caméléons que nous sommes, tous les enfants nous ont repérés et quand nous nous dirigeons vers l'entrée du temple, ils s'y dirigent aussi.

Nageant dans une énergie née de ma nuit ensommeillée, le temple prend alors une importance toute relative en comparaison avec le fait de jouer avec une centaine d'enfants déchaînés qui ne demandent que ça. Au départ, notre chauffeur nous avait dit que ce ne serait qu'une pause rapide, le temple étant "visitable" en moins de cinq minutes. Mais trente minutes plus tard, je suis encore là à me rouler par terre, à me pendre aussi aux lianes ou à fendre la foule des gamins en poussant des cris d'animaux.Ce n'est que quand on vient me chercher dans des ralements plaintifs que je redescends de mon nuage, la notion du temps étant toute différente que l'on soit ou non soi-même un gamin.

Dans la voiture, personne ne bronche, certains dorment même. Je suis branché sur 100.000 volts de courant continu et en arrivant à l'hotel, rien a changé si ce n'est que Rita est là, du service du matin, prête à recevoir ma commande en souriant à tue-tête.

Moi qui n'en demandais pas tant, je m'exécute en pensant en passant que quand elle veut, je lui sers son petit déjeuner.

Celui-ci fini, on entame alors la conversation de manière plus longue que quelques phrases anodines alors qu'elle s'apprêtait juste à ramasser les couverts que j'avais pris soin de rassembler. Elle s'installe à côté profitant d'un moment de calme. On discute, elle me racontant son doux quotidien, moi lui exposant mes souhaits pour les jours à venir. Elle me propose alors de me conduire le surlendemain, qui coïncide avec son jour de repos, lundi dernier, à la plage pour une journée de farniente. Tope là!

En attendant, je retourne prendre le frais alternativement sous le ventilateur et la douche froide de ma chambre jusqu'à 14h, heure du départ vers Prambanan.

Prambanan fut construit à la même époque que Borobudur est concentre dans une large enceinte des temples n'ayant pas grand chose à envier à ceux d'Angkhor s'ils n'étaient pas construits sur une zone à forte activité sismique comme en témoigne encore celui qui a ébranlé l'endroit pas plus tard qu'en 2006. Il y a encore quelques structures qui tiennent debout mais tout ce qui avait une taille plus modeste que les batiments principaux est maintenant un rêve vivant pour officionados du puzzle. Sur des mètres et des mètres, ce sont des parterres de pierres qui attendent d'être remontées qui s'étirent.

Néanmoins, le tout étant dans un jardin luxuriant, la ballade est belle et son souvenir vivace.

Au détour d'un arbre justement, je rencontre un jeune indonésien parlant couramment l'anglais qui ne demande qu'à pratiquer un peu. Il m'accompagne donc dans ma découverte du sîte, m'expliquant tout ce qu'il faut savoir sur l'histoire de Prambanan autant qu'il me raconte ses démélés d'avec sa copine. Il semble tellement content qu'on passe quelques heures à discuter que ce n'est qu'à la fermeture des grilles que je retrouve une période plus favorable à ma tranquilité qui ne dure qu'un temps puisqu'à 19h30, le spectacle de danse commence dans une profusion de costumes colorés. Les chorégraphies racontent le Ramayana, histoire racontant une les racines de l'Hindouisme. On y croise des princesses, des singes, des dieux, des dieux-singes. Ils se battent et c'est toujours celui qui a un arc qui gagne à la fin. Le rythme de la musique accompagnant est un tantinet monocorde mais les deux heures que dure le spectacle ne sont pas trop longues eu égard à la centaine de danseurs qui s'ébatent avec grande précision jusqu'à une apothéose qui transforme littéralement la scène en un brasier enflammé. Félicitations messieurs dames!

Au retour à la voiture, le rythme lancinant de la musique me hante encore.

La journée commencée seize heures plus tôt s'achève dans une douce fatigue.

A la GH, ils ne voient pas ma tronche plus de trente secondes, le temps de récupérer ma clé et je suis affalé dans mon lit à me dire que je suis riche de cette nouvelle journée. Seul point noir passager, je fais le compte que j'ai maintenant mon quota de visites et qu'il va falloir que je m'adonne à quelque chose de plus sportif pour varier les plaisirs. Les temples, c'est bien joli mais quite à être fatigué le soir, autant que je le sois vraiment pour des raisons bétons.

La suite ne me fera pas mentir.

C'est encore en pleine matinée que je sors de ma chambre comme on sort du bois une idée derrière la tête. Depuis que je suis à Yogyakarta, il me trotte l'idée de gravir le Mont Merapi jusqu'à son sommet qui culmine à prêt de 3000m d'altitude. C'est d'autant plus tentant que d'après le LP, c'est le volcan le plus actif d'Indonésie puisqu'il rugit depuis plusieurs centaines d'années sans discontinuer.

Sans coup férir (Ferrir? Fais rire?), je propose alors à Rita de m'y accompagner puisqu'il s'avère qu'elle n'y a jamais mis les pieds alors que le volcan s'élève à moins de trente kilomètres de Yogya, ville dans laquelle elle a toujours vécu. C'est juste trop dommage sachant que la plage, elle peut bien y retourner une autre fois.

Au final, j'insiste, je déploie toute la gamme d'arguments pour qu'au final, enfin, elle accepte sachant qu'au départ, il y avait un lourd travail de persuasion à accomplir.

Il faut dire que c'est une marche nocturne, qu'on part de Yogyakarta à 22h30 pour n'en revenir le lendemain qu'à 11h du matin. Ca promet d'être fatigant comme jamais pour elle qui ne fait pas de sport.

Mais elle a dit oui, alors...

Je pars donc réserver l'expédition, un guide étant obligatoire quand on gravit un volcan actif et de surcroit de nuit. Ma devise : sécurité avant tout. A l'agence, tout le monde me félicite de mon choix et me mets en garde contre le froid au sommet du volcan ce dont je fais part à Rita.

Je reste alors à discuter avec elle ainsi qu'avec tous ses collègues jusqu'à la fin de son service, moment à partir duquel elle rentre se reposer, en prélude à l'aventure. Je devrais aussi en faire autant mais force est de constater que je suis en forme ce qui tombe bien quand on a prévu une téléconférence avec Pasteur Roberto sur les coups de 18h. En fin d'après-midi, je vais donc au cybercafé me connecter au reste du monde et appelle guilleret l'animal pas triste. Seulement, l'animal n'est pas là. Une fois, deux fois, personne. J'appelle alors le Bastorinho et sa famille de huit bras qui sont biens contents et biens beaux derrière leur écran, conversation seulement interrompue quelques minutes par le Pasteur qui est en retard pour bruncher, le fourbe poseur de lapin.

Une mise d'article en ligne plus tard, il est 20h quand je suis de retour chez Bladok, à l'heure pour un transfert dînatoire de vitamines devant me tenir occupé jusqu'au lendemain à l'issue d'une nuit de labeurs haute en couleur.

Une fois l'assiette ingérée, enfin son contenu, je me ralonge espérant que le sommeil vienne vite, anticipant avec craintes l'alarme que je branche à 22h sonnantes et trébuchantes. Mais à 20h30, je suis toujours à tourner. A 21h pareil. A 21h30 pareil. Au total, je dors approximativement dix minutes, juste assez pour être aussi fatigué que le lendemain après la marche. Je pourrais alors dormir dix minutes de plus dans un traditionnel "snooze time" mais il faut encore que je fasses mon sac et une douche froide ne sera pas de trop pour me faire émerger autant que possible.

En ce qui concerne le sac, je prends le minimum. Les nuits sur Java sont douces, à Yogya, la température descend péniblement sous les 25° au minimum. Sentant en plus que l'ascension va me tenir chaud pour ne pas dire plus, je ne prends qu'une petite liquette et une écharpe légère en plus de mes chaussures, mes soquettes, un pantalon de pêcheur s'arrêtant à mi-mollet et un t-shirt à manches courtes. Froid au sommet? A force de vivre par 35°, ils en deviendraient pas un peu frileux les indonésiens? En descendant à la réception deux oreillers sous le bras en cas de sieste inévitable dans la voiture, j'aperçois alors Rita qui est prête, dans son dos un sac rempli à rabord.

Dedans, elle a l'équipement adéquat pour traverser l'Antarctique. Manteau, bonnet, gants, rien ne manque ce qui provoque chez moi des ricanements nerveux en voyant mon propre sac à moitié vide.

Au moins, je vais avoir de la place pour, comme l'avant-veille, de l'eau et des biscuits. Je file alors à la superette voisine méfiant quant à recroiser les excités du goulots, mais ils ne sont pas là, tant mieux, boire ou marcher, il faut choisir. J'achète alors comme convenu trois litres d'eau que j'accompagne de deux bouteilles de Redbull, histoire de ne pas calancher en route, ainsi que des barres chocolatées aux amandes que la belle aura toutes les chances d'aimer autant que moi.

En revenant vers elle, notre voiture est avancée, notre aventure commence...

On avance bon train dans la campagne endormie. Rita prend un oreiller et tente de dormir, elle y parviens. Je tente la même chose et échoue lamentablement.

Vers minuit, nous atteignons le village de Kaliurang, point de sortie de la voiture, point de départ de l'expédition. On reste alors une petite heure dans la maison de notre guide à s'étonner d'une température déjà proche des 15° et à apprécier, de ce fait, le thé chaud qu'il a préparé à notre attention en plus des bouteilles de Redbull au gout dégoutant mais aux vertues excitantes maintes fois prouvées.

Et puis quand il faut y aller, il faut y aller; le guide revient lui aussi équipé pour attaquer l'Himalaya en hiver, signe que c'est le grand départ.

Au départ justement, on distingue déjà nettement le sommet promis, luisant à la lumière de la lune proche du rond parfait dans un ciel dénué du moindre nuage.

Gauche, droite, à mon commandement, marchez!!

La route, pour l'instant goudronnée, s'enfonce vers la lisière du village à la perpandiculaire du flanc du Merapi. La pente est tellement raide qu'il est pénible de poser le talon par terre et de dérouler la plante des pieds, tout se passe sur les orteils, les premiers mètres dévoilent déjà une partie du challenge. Nous marchons, Rita, le guide et moi, côte à côte et le train est infernal en comparaison avec l'inclinaison du chemin. Mais Rita ne semble pas avoir plus de mal que ça, et comme moi non plus, tout va bien même si au fur et à mesure le bruit de nos respirations se fait plus fort, on est pas des machines!

Après trente minutes pourtant, on fait une première pause en rejoignant, au bout de la portion asphaltée, une demie douzaine d'autres foux furieux qui sont aussi là avec leur guide. Au cours de cette pause, Rita s'assoit dans son coin toute recroquevillée sur elle-même, signe que, quand même, ces quelques premières centaines de mètres ne sont pas passés aussi facilement que je pouvais le percevoir en ce qui la concerne. Je commence par prendre toutes les bouteilles de son sac pour alléger sa peine. On repart pour pénétrer maintenant véritablement sur le territoire volcanique. Le chemin est inégal et glissant sans que la difficulté de la montée ne se calme. Le guide ouvre la voix. Rita est derrière lui. Je suis la voiture balai. Nos lampes frontales sur la tête, la progression est lente et périlleuse.

Tous les quarts d'heure environ, Rita est exténuée et demande à faire une pause. La pauvre est frigorifiée et lors d'un nouvel arrêt, entame une nouvelle phase dans sa lutte contre le Merapi, elle vomit.

Chaque fois qu'on repart, le rythme ralenti encore et chaque fois, elle vomit.

Pour ma part, on finit par avancer tellement doucement que je fumerais bien une clope. Je me propose donc de finalement porter l'ensemble de son sac afin de lui simplifier au maximum les évènements, si c'est encore possible. Mais rien y fait, Rita a surestimé ses forces et lors d'une nouvelle pause où on rejoint le reste des autres marcheurs qui ont eus le temps de faire un feu et de s'y réchauffer, elle décide que s'en est trop, elle est aller au bout de ses forces et ne fera pas un pas de plus malgré les discours de motivation que je lui assène.

Qu'à cela ne tienne, j'ai beau être extrèmement désolé de sa condition, je ne peux rien faire ou dire de plus. Il a fallu bien des kilomètres auparavant pour que j'échoue sur les pentes du Mont Merapi, au moins a-t-elle du feu pour se réchauffer, je poursuis l'ascension, toujours en T-shirt, gardant ma micro-veste pour le sommet sachant que j'en aurais surement plus besoin au sommet.

Je me cale dans les pas du guide. Comme Rita n'est plus de la partie, le rythme s'accélère. Au loin, les lampes torches de tous les autres groupes qui ne nous ont pas attendus brillent dans la nuit, s'ajoutant aux étoiles. Plus les minutes passent, plus les lumières se rapprochent. A une moindre échelle, on est comme un train lancé à pleine vitesse sur les rails de la folie. Le cratère se rapproche. Autour, la végétation a laissé la place à un sol lunaire fait de roche volcanique tellement légère qu'à chaque pas, le sol se dérobe et des pierres dévalent en contrebas sur des centaines de mètres. Le vent est lui aussi levé, des bourrasques soufflent de biens belles rafales d'air glacé, c'est un bonheur, en tout cas tant qu'on s'active...

Aux pieds du dernier tronçon nous séparant du but, la jonction avec les autres groupes est faite. Le groupe de retardataire a rejoins le peloton et remonte maintenant les places unes à unes jusqu'aux avants postes. A ce rythme là, pour le maillot à poids, c'est dans la poche. Plus rien n'entrave notre vue de la ligne d'arrivée, le volcan se dresse pour la dernière difficulté du jour. Au moins dans la foret, on était obligé de suivre un chemin tracé par la nature qui nous forçait à quelques virages, mais ici, ce n'est que de la rocaille en équilibre précaire, sans véritable itinéraire à suivre. Dans ces cas là, le plus rapide chemin entre deux points en montagne est la ligne droite. C'est directement dans l'axe de la pente qu'il faut finir le travail, dernière bouffée de chaleur.

Et, dans un dernier effort, le versant opposé du Merapi se découvre avec la nature qui s'épanouit sur des dizaines de kilomètres en aval, même si on le voulait, on ne pourrait pas monter plus haut, je me verrais bien planter un drapeau français comme un alpiniste, j'ai pris le maillot à poids et le maillot jaune, c'est le sommet.

Au même instant, les toutes premières couleurs se faufilent dans le noir de la nuit, signe que l'aurore est à l'heure.

Il est 5h et j'ai froid, il doit poussivement faire dans les 5° quand le vent ne s'en mèle pas en plus.

Comme le gros touriste que je suis, j'ai les jambes à l'air et encore pire, porte les seuls vêtements de tout mon attirail qui n'ont pas de poches. J'en aurais bien besoin des poches en l'occurence. Ca m'éviterait, pour commencer, de ne plus sentir mes doigts!!

C'est donc en sautillant dans tous les sens que l'attente déploye son blanc manteau.

Les autres voyageurs, eux, sont stoïques. Chacun d'entre eux transporte grosse doudoune, si si j'vous jure, gros pantalons, grosses chaussures, gros gants et gros bonnet.

Puis au cours de mes sauts de cabri tournant en rond, j'aperçois un phénomène étrange. L'idée même de la canicule est bien loin, et pourtant je distingue un courant d'air chaud, troublant l'oxygène environnant comme lorsque on fixe le bitume le long d'une route un jour de franc soleil ravageur. Mirage ou pas mirage?

Il y a là dans la paroi volcanique un trou qui laisse s'échapper des gazs gonflés de chaleur venus véritablement des entrailles de la terre. Pour pouvoir sentir quelque chose, il faut se glisser les mains dans le trou et en un clin d'oeil, votre main retrouve des couleurs, c'est un miracle! Et comme si ça ne suffisait pas, merveille des merveilles, le soleil choisit l'instant suivant, pour éclore de l'horizon. Purement extraordinaire. Le cercle incandescent parfait se dévoile à mesure qu'il émerge de derrière la plaine. Il y a des moments comme ça où plus rien n'a d'importance, celui là y entre par la grande porte.

En plus, le soleil, il ne vient pas seul, il emporte de la chaleur avec lui, sympa.

La lumière emplit la pièce. Du coté pile, au premier plan menace le cratère à pic qui relache des fumées toxiques, à l'arrière plan, quelques nuages que nous dominons du regard couvrent délicatement quelques parcelles des champs environnant. Du côté face, danc notre dos pendant la montée, le Kali Aden, un autre volcan majestueux grimpe quasiment à notre hauteur de l'autre côté du départ de l'étape. A 360° la vue est à tomber à la renverse ce que je me garde bien de faire pour ne pas dégringoler soit dans un puit sulfureux, soit jusqu'en bas de la vallée.

Quelques photos plus tard, c'est relativement réchauffé qu'on entame le chemin inverse. En descente, tous est encore plus instable et pourtant le guide galope sans y prété gare. En quelques dizaines de mètres, on lache nos poursuivants et on fait l'étape en échappés solitaires. Il est 6h15 du matin et Rita nous attend déjà depuis trois heures. Le rythme est aletant. Je me ramasse quatre ou cinq fois. Mais en une heure de marche décadente, on la rejoint enfin, je commence à avoir les quadriceps qui sifflent. Là, une petite pause est méritée, le temps que tout le monde s'enquérisse de l'état de forme de chacun, que je me livre à quelques étirements.

Rita, elle, va plutôt mieux. Elle a dormi pendant trois heures ce qui lui fait pousser des ailes jusqu'à s'en vanter. L'a rien compris...

On repart maintenant de retour dans la foret torturée par des siècles d'éruption successives. Plus ça va et plus le guide accélère. J'imagine que se doit être la proximité de sa maison qui lui donne des bottes de sept lieux. Rita, ne pesant qu'une quarantaine de kilos et forte de sa sieste, dévale à sa suite. Moi, je suis surtout riche d'une journée sans sommeil commencée 24h plus tôt. Les jambes me pèsent, et comme si ça ne suffisait pas, je me revautre de plus belle à chaque kilomètre parcouru.

Puis, au détour d'un virage, on aperçoit les premières culivations, signe que le village approche, on ne me la fait pas. Ensuite, on croise nos premiers paysants, nos premières maisons, on retrouve le goudron. Dans un dernier effort, il est 8h quand on se pose enfin le cul dans le mobilier plastique de notre guide et qu'on se délecte d'un thé chaud qui aurait été d'une valeur inestimable deux heures plus tôt. Rita profite de l'évènement pour déglutir une fois de plus. Une dose de nicotine plus tard, la voiture rentre à bon port avec Rita et moi qui dormons la tête sur l'oreiller, elle un sac en plastique à la main qu'elle s'évertue à remplir.

Chez Bladok, les choses se passent très rapidement. En cinq minutes, elle rentre chez elle sur son scooter, la seconde suivante, je repose inerte sur mon lit, merveilleuse invention dont il va être difficile de se décoller dans les prochaines heures...


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