Lettres d'amour - George Sand et Alfred de Musset – présentées par Françoise Sagan

Par Theoma

« Le sentiment qui nous unit s'est formé de tant de choses qu'il ne peux se comparer à aucun autre. Le monde n'y comprendra jamais rien. » George Sand

George Sand a permis la publication post-mortem des lettres échangées avec Alfred de Musset. Peut-être souhaitait-elle finalement avoir le dernier mot sur l'Histoire tronquée que l'on nous a trop souvent présentée ou peut-être rêvait-elle en secret d'être publiquement blanchie et clouer ainsi le bec à la Morale au grand M.

Celle-là même qui accusait Sand d'être une mauvaise femme, une de celle qui trompait son compagnon avec son médecin le menant ainsi au bord de l'abîme. La réalité est toute autre et en lisant ces lettres, on n'éprouve au fil des pages de plus en plus de compassion pour Sand plutôt que pour Musset. Françoise Sagan l'écrit à la perfection :

« Qu'on ne s'y trompe pas : j'aime, c'est vrai, mille fois plus Musset que Sand : et dans leur œuvre, et dans leur personne, et dans leur personnage. J'aime mille fois mieux le versatile, l'inquiet, le fou, le désordre, l'alcoolique, l'excessif, le colérique, l'enfantin, le désespéré Musset que la sage, l'industrieuse, la bonne, la chaleureuse, la généreuse et l'appliquée Sand. Je donnerais toutes ses œuvres à elle pour une pièce de lui. Il y a quelque chose dans Musset, une grâce, un désespoir, une facilité, un élan et une gratuité qui me fascineront toujours mille fois plus que toute l'intelligence et la raison et la poésie paisible de Sand. Il n'empêche qu'à lire ses lettre, j'aurai préféré, je dois le dire, être l'amie de Sand que celle de Musset. Il est plus facile, quand on a des amis, de consoler que de blâmer, et quand serait venu le moment de consoler Musset, j'aurais peut-être eu du mal à savoir de quoi je le consolerais mais aucun à savoir de quoi l'accuser. Elle, en revanche, elle souffrait d'amour, elle souffrait d'amitié, elle souffrait d'estime, elle souffrait de tout ce que j'aime et admire, alors que lui souffrait de tout ce que je redoute et méprise, mais parfois ressens. »

Au commencement de leurs échanges, après leur rupture, l'amitié semble survivre à l'amour :

« Adieu George, je vous aime comme un enfant. »

« Comme nous nous aimerons bien ! N'est-ce pas, n'est-ce pas, mon petit frère, mon enfant

 « Tu as raison, notre embrassement était un inceste. Mais nous ne le savions pas. Nous nous jetions innocemment et sincèrement dans le sein l'un de l'autre. Eh bien ! Avons-nous un seul souvenir de ces étreintes, qui ne soit chaste et saint ? Tu m'as reproché dans un jour de fièvre et de délire de n'avoir jamais su te donner les plaisirs de l'amour. J'en ai pleuré alors et maintenant je suis bien aise qu'il y ait quelque chose de vrai dans ce reproche. Je suis bien aise que ces plaisirs aient été plus austères, plus chastes que ceux que tu retrouveras ailleurs. Au moins tu ne te souviendras pas de moi dans les bras des autres femmes. Mais quand tu seras seul, quand tu auras besoin de prier et de pleurer, tu penseras à ton Georges, à ton vrai camarade, à ton infirmière, à ton ami, à quelque chose de mieux que tout cela ; car le sentiment qui nous unit s'est formé de tant de choses qu'il ne peux de comparer à aucune autre. Le monde n'y comprendra jamais rien. »

« Nous nous sommes connus, nous nous sommes aimés et nous nous estimons. »

Au fil des pages, les amants terribles prennent de la distance face à leur relation :

 « Peut-être m'as tu aimée avec peine, pour aimer une autre avec abandon. »


« Adieu, mon joli petit ange, écris-moi, écris-moi toujours de ces bonnes lettres qui ferment toutes les plaies que nous nous sommes faites et qui changent en joies présentes nos douleurs passées.»

« La postérité répètera nos noms comme ceux de ces amants immortels qui n'en ont plus qu'un à eux deux, comme Roméo et Juliette, comme Héloyse et Abeylard ; on ne parlera jamais de l'un sans parler de l'autre. »


Puis, Musset réalise qu'il aime Sand et qu'il ne peut se résoudre à vivre sans elle. Il accuse sa jeunesse d'être la fautive de ses erreurs et la supplie de revenir à lui. Sand est au bord du gouffre, après avoir enduré le rejet, avoir fait le deuil de cette relation et tenté d'avancer malgré tout.

« Voilà pourquoi je crois en toi, et te défendrai contre le monde entier jusqu'à ce que je crève. Maintenant qui voudra peut me tromper, me maltraiter et me déchirer, je puis souffrir, je sais que tu existes. »

« Adieu, adieu, je ne veux pas te quitter, je ne veux pas te reprendre, je ne veux rien, rien, j'ai les genoux par terre, et les reins, brisés, qu'on ne me parle de rien. Je veux embrasser la terre et pleurer. Je ne t'aime plus mais je t'adore toujours. Je ne veux plus de toi, mais je ne peux pas m'en passer. Il n'y aurait qu'un coup de foudre d'en haut qui pourrait me guérir en m'anéantissant. Adieu, reste, pars, seulement ne dis pas que je ne souffre pas il n'y a que celui qui puisse me faire souffrir davantage, mon seul amour, ma vie, mes entrailles, mon frère, mon sang, allez-vous en, mais tuez-moi en partant. »


Sand conclut ces années de correspondances par une dernière lettre salvatrice :

« Calmons-nous, ... calmons-nous ! Calmons-nous ! A quoi jouons-nous ? Qu'avons nous donc fait tous ces mois avec ce papier blanc et bleu qui courait de Venise à Paris et de Paris à Venise, ce papier qui nous a fait nous rejoindre, qui a fait rejoindre ton corps et le mien, ta bouche et la mienne, tes cheveux et les miens, comme tu les réclamais tant, ces mots qui de nouveau les dénouent et les séparent ? Tout ce papier ! Tout ce papier ! Allons-nous vivre sur du papier toute notre vie ? Toi oui Alfred, tu es fait pour ça, moi pas, je suis une femme. »

Des lettres émouvantes, parfois agaçantes (il y a des baffes qui sont perdues à jamais!) ou assommantes (en raison de l'emphase chère à ce siècle) mais au final un tout qui représente une puissante leçon de vie romanesque. Un petit livre précieux enrobé par les mots subtils de Sagan. A déguster.

Hermann, 169 pages, 1996

A voir...

Le roman de Venise lu par Celsmoon

Françoise Sagan par Florinette





A noter...

que le dessin de George Sand de la couverture est signé Alfret de Musset

Par Theoma - Publié dans : C'est classique ! - Communauté : ♦ Lecture pour tous ♦
Ecrire un commentaire 5 - Voir le commentaire - Voir les 5 commentaires - Recommander Précédent : Peut-on parler d'amitié entre... Retour à l'accueil