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Grand emprunt ou grand bluff ?

Publié le 18 novembre 2009 par Monthubert

L’opération de communication sur le grand emprunt a été rondement menée. Nicolas Sarkozy s’est posé en bâtisseur consensuel de la France de demain, demandant à un comité d’experts de définir les grandes priorités d’investissement. Tout cela respire l’ambition, la volonté, l’avenir, bref tout ce dont nous avons besoin au moment où la crise financière couplée à la dégradation écologique renforcent les doutes sur notre futur. Mais au-delà des critiques sur la pertinence de la formule de l’emprunt, comment croire que la démarche de Nicolas Sarkozy nous ouvrira les portes d’un avenir radieux quand le bilan de sa politique s’avère calamiteux ?

On nous dit que la recherche et l’enseignement supérieur constitueront les premières priorités du grand emprunt. Mais sous quelle forme ? Assurément, il s’agira de poursuivre la politique engagée par la droite. Celle-ci attribue les trois quarts de son augmentation des dépenses de recherche à la recherche privée. Quant aux universités, il s’agit dans la lignée du plan Campus d’effectuer des dotations en capital.

Cette politique est-elle efficace ? Malheureusement non. La politique de soutien à la recherche privée, en France, est un échec total, et Nicolas Sarkozy n’a fait que le renforcer. Depuis 2002, la droite donne toujours plus d’argent aux entreprises pour les inciter à faire de la recherche, mais cela n’a aucun effet d’entraînement. L’objectif d’une politique de soutien à la recherche privée devrait être d’octroyer des crédits afin que les entreprises engagent de leur côté des budgets croissants en matière de recherche. Or le principal dispositif de la politique actuelle est le Crédit Impôt-Recherche (CIR). Alors que le CIR était auparavant basé sur l’augmentation des dépenses de recherche, incitant ainsi les entreprises à amplifier leur effort d’investissement, le gouvernement l’a réformé afin de restituer aux entreprises 30% des dépenses de recherche effectuées l’année précédente (même si ces entreprises baissent leur budget de recherche), et en supprimant quasiment les plafonds de remboursement, ce qui est tout bénéfice pour les grosses entreprises. Résultat, le CIR est devenu hors de contrôle : fin juin 3,4 milliards d’euros ont été payés, alors que pour l’année 2004 le montant était de 400 millions d’euros… mais l’investissement des entreprises n’est pas à la hauteur. La Cour des Comptes a récemment publié un  rapport sur les prélèvements obligatoires des entreprises dans une économie globalisée, qui assène :

“De même, l’efficacité de l’effort public croissant en matière de
R&D n’est pas démontrée s’agissant du CIR” (p. 137)

En fait, selon le Rapport sur les politiques nationales de recherche et de formations supérieures, la mise en place de la réforme du Crédit d’Impôt-Recherche en 2008, pourtant plus favorable aux entreprises, n’a pas eu d’effet, au contraire :

“En 2008, les dépenses de recherche des entreprises connaîtraient une  progression plus faible que le PIB (+ 1,5 % en valeur et - 1,0 % en volume)” (p. 122)

Non seulement ce dispositif est inefficace, mais il est aussi complètement détourné. D’abord, parce que les dépenses éligibles au CIR vont bien au-delà de ce qu’on entend généralement par la recherche, à tel point que des sociétés de conseil aux entreprises font de la publicité pour inciter les entreprises à réclamer du CIR en insistant sur le fait qu’elles n’ont pas besoin de vraiment faire de la recherche ! Le CIR n’est plus une affaire de chercheurs, mais de fiscalistes qui cherchent comment maquiller les dépenses de l’entreprise comme de soi-disant dépenses de recherche.

Ensuite, parce que rien n’oblige les entreprises qui reçoivent le CIR d’affecter ces sommes à des dépenses de recherche. C’est comme quand on fait des dépenses d’isolation dans son logement, on reçoit ensuite un crédit d’impôt mais rien n’oblige à refaire de nouvelles dépenses d’isolation. Le problème, c’est que si on peut comprendre qu’on ne dépense pas tous les ans pour ses dépenses d’isolation, il n’en est pas de même pour la recherche : une entreprise qui s’arrête d’investir, qui se repose sur ses technologies existantes, qui raisonne seulement à court terme, a peu d’avenir en général.

Bref, la politique gouvernementale en matière de soutien à la recherche privée est un fiasco. En sera-t-il autrement avec le grand emprunt ? Certes, on nous annonce un ciblage sur des priorités liées à l’énergie, l’environnement, les sciences de la vie… Mais l’Etat est-il réellement en mesure de déterminer les voies que doit emprunter la recherche pour répondre à ces défis majeurs ? Depuis des années, les chercheurs perdent de plus en plus d’autonomie. Pour recevoir des fonds, il faut travailler sur les sujets à la mode. Si ce système fonctionnait, cela se saurait. Ainsi, le plan Nixon de lutte contre le cancer aurait éradiqué ce fléau, par exemple… Non, ce dont les chercheurs ont besoin c’est d’autonomie, et ils en ont de moins en moins. Voilà pourtant la première priorité !

Un autre problème de taille se pose. Si réellement on veut développer les industries du futur, fortement appuyées sur des technologies neuves, il faut augmenter très fortement le nombre de scientifiques. L’Union Européenne, il y a quelques années, avait évalué à 700 000 le nombre de chercheurs supplémentaires dont l’Europe aurait besoin pour atteindre les objectifs du processus de Lisbonne : porter les dépenses de recherche à 3% du PIB, contre moins de 2% aujourd’hui. Mais la politique conduite ces dernières années a produit une baisse importante du nombre d’étudiants qui veulent faire de la recherche. Nous avons de moins en moins de doctorants. Dans les secteurs des sciences dites dures, nous assistons impuissants à un effondrement des effectifs. Des laboratoires qui comptent parmi les meilleurs au monde ont vu le nombre de thèses délivrées divisé par deux. Assurément, la politique de Nicolas Sarkozy va à l’encontre des objectifs qu’il fixe officiellement. En supprimant des emplois scientifiques dans les universités et organismes de recherche en 2009, en refusant de donner des perspectives aux jeunes qui voudraient faire de la recherche, Nicolas Sarkozy a sacrifié une génération de chercheurs. Le grand emprunt ne servira pas à financer des postes de chercheurs supplémentaires. Il sera donc paradoxal.

Enfin, le soutien à l’enseignement supérieur passerait par des dotations en capital aux universités. Là encore, c’est un mirage. Car les sommes qui paraissent importantes deviennent très faibles quand on comprend que les universités ne pourront utiliser que les revenus du capital placé, soit moins de 5% par an. Par ailleurs, cela les conduit à mettre en place des projets immobiliers dans le cadre de Partenariats Public-Privé, qui coutent très cher. Ce type de montage financier existe en Grande-Bretagne depuis la période Thatcher et il a été montré que cela conduit à des gouffres financiers : voir par exemple l’analyse faite dans le cadre des constructions hospitalières. En France, la Cour des Comptes a également critiqué ce dispositif dans son rapport annuel 2008 :

“De manière générale, cette opération pose la question des
conséquences budgétaires et financières des opérations de partenariat public-privé notamment dans le cas des autorisations d’occupation temporaire du domaine public. Cette formule apparaît inopportune s’agissant d’un service public non marchand puisqu’en l’absence de recettes elle fait entièrement reposer sur les finances de l’Etat une charge
disproportionnée au regard de l’allègement de la charge budgétaire immédiate qu’elle permet sur le montant du déficit comme sur celui de la dette publique.
La Cour invite à une réflexion approfondie sur l’intérêt réel de ces formules innovantes qui n’offrent d’avantages qu’à court terme et s’avèrent finalement onéreuses à moyen et long termes.” (p. 675, mis en gras par moi-même)

Pour rebâtir une vraie politique de recherche et d’enseignement supérieur, il faut en premier lieu affecter les budgets actuels vers des destinations pertinentes ; c’est d’ailleurs ce que préconisait en 2007 le rapport Guillaume sur la valorisation de la recherche : “La solution ne réside pas dans l’augmentation du volume des incitations publiques. Les marges de manœuvre financières se situent à présent plutôt dans les redéploiements entre secteurs et le ciblage des mesures selon les types d’entreprises”. En clair, oui il faut soutenir la recherche privée, mais il faut cibler les aides en premier lieu vers les PME, pour qui l’accès à la recherche est généralement plus difficile que pour les grands groupes, et profiter de ce levier pour soutenir les industries qui fondent l’économie de demain, en particulier en soutenant les technologies vertes. On ne peut plus distribuer une grosse enveloppe les yeux fermés, comme on le fait aujourd’hui. Il faut instituer un dispositif d’évaluation scientifique du dispositif du Crédit Impôt Recherche. Les scientifiques sont évalués (même si cette évaluation est de plus en plus mal faite, avec la mise en place de l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur). Pour les entreprises, il est normal d’évaluer si l’argent qui a été distribué a servi utilement : était-ce vraiment pour faire de la recherche et développement, est-ce que cela a accru l’investissement en recherche de l’entreprise, est-ce que cela a été utile pour la société ? Mais il faut aussi faire reposer les aides suivantes de l’Etat sur le résultat de cette évaluation.

Ensuite, il faut tout faire pour encourager les jeunes à faire de la recherche. Pour cela, il faut leur offrir des perspectives attrayantes. Quatre points sont en jeu : les conditions dans lesquelles ils feront leur thèse, les perspectives d’emploi dans le privé comme dans le public, la situation des laboratoires et universités. Pour cela, il faut augmenter les financements de thèse (alors que le gouvernement en supprime) et assujettir l’attribution du CIR à l’emploi de jeunes chercheurs. D’après les statistiques ministérielles, dans les entreprises les employés considérés comme chercheurs ne sont que 13% à détenir un doctorat ! Mais il faut aussi créer les emplois de personnels techniques et administratifs, d’universitaires et de chercheurs pour améliorer le fonctionnement des laboratoires, l’encadrement pédagogique à l’université, et renforcer l’activité de recherche. Enfin, les laboratoires doivent retrouver de l’oxygène pour lancer les programmes de recherche les plus pertinents, alors que l’autonomie des chercheurs et universitaires est bafouée. Tout ceci ne nécessite pas des dépenses supplémentaires : en réaffectant une partie du Crédit-Impôt Recherche, en le ciblant mieux, on peut dégager les moyens nécessaires pour redonner un élan à la recherche française, comme le Parti Socialiste l’a déjà proposé..

En cassant l’outil de recherche, en dilapidant l’argent public dans des aides aveugles sans maîtriser leur impact, Nicolas Sarkozy a détruit le socle sur lequel pourraient se développer les priorités de son grand emprunt : celui-ci n’est malheureusement qu’une opération de communication de plus.


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