Magazine Journal intime

Pink Flood

Par Eric Mccomber
Norman était lui-aussi de la partie la veille, à cette incroyable fête de gouinettes d’A’dam où je me trouvais un peu malgré moi, puisque j’y dormais. Pas que j’aime pas les lez, bien au contraire, je conserve beaucoup de jolis souvenirs de mes multiples passages parmi elles. En cours de soirée, tant lui que moi nous étions fait peindre les ongles (et les cheveux) en rose. C’était marrant, sur le coup. Puis cet Est-Prussien de fou de Norman, une fois bien bourré, il affirmait comme tout le monde qu’il allait rouler avec moi pour la paix le lendemain. Midi, il promettait!
Que personne n’ait plus envie de monter à vélo le lendemain, des huit qui le juraient mordicus la veille, c’était couru. Mais quelle ne fut pas ma surprise de voir arriver cet anormal Norman, pile-poil, alleman-tiempo, tic-tac montre en main, alors que je l’avais vu partir zig-zaguant vers 7h du matin, peu après que la puissante pink-disco se soit finalement tue. Le départ à midi, c’est pas très tôt, même pour un pauvre petit 60 km, compte tenu de la noirceur qui s’invite vers 16h, de ce temps-ci. C'est pourquoi nous n'avons pas le temps de se faire enlever les laques sur les ongles, décolorer les tifs, ni effacer les cœurs roses sur les joues. Ça fait bien marrer la bande de dykes, et nous fonçons tels quels au champ d'honneur! Après tout, c'est Roule, Rosie, roule !
Sortir des grandes villes, à bicyclette, même dans une terre aussi vélomane que les Pays-Bas, c’est jamais gagné. Aujourd’hui ne fait pas exception. Vera me dit Nord-Est, alors que Den Haag est au Sud-Ouest, ça m’énerve, alors je fais à ma tête. Norman est bien d’accord et je me fie à lui, puisqu’il habite là et lui se fie à moi, puisqu’il ne réside à Amsterdam que depuis quelques semaines (ce que j’ignore). Qu’est-ce qu’on se marre. Au bout d’une heure, nous sommes bien paumés dans les canaux. Nous stoppons un cyclo-courreur tout en spandex qui nous mortifie par ses conseils. Il commence par nous recommander de retourner au centre-ville! Il se ravise heureusement après s’être rappelé l’existence d’un petit pont situé à trois pas. À un moment, alors que nous sommes tous trois penchés sur les cartes, le type remarque nos vingt ongles roses et se met discrètement à reculer vers son vélo. Il est tout à coup pressé, nous souhaite bonne chance et monte en selle. Nous regardons nos mains et Norman fait :
— Scheiße!
Nous retrouvons tout de même notre chemin et nous roulons jusqu’à un charmant village où nous nous séparons, lui vent de dos vers sa maison, moi bise en pleine gueule vers l’inconnu. Dix minutes après, le soleil, qu’on avait à peine eu le temps de redécouvrir («comment s’appelle ce truc orange dans le ciel, déjà ?, c’est joli!»), s’en retourne se planquer derrière des milliards de tonnes de draps vaporeux. Les gouttes se mettent à tomber. Bonheur exceptionnel, le vent tourne et j’ai la rafale de trois-quart dans le dos. Alors je file 22 km/h. Tant mieux, le détour a ajouté 40 bornes à la route prévue. Je roule les deux dernières heures dans le noir total. Heureusement, c’est urbain, donc éclairé un minimum. Soirée extrêmement cool à Den Haag, chez deux musiciennes qui rêvent d’apprendre à jouer du blues. Nous jammons des heures et je pars le sourire étampé dans la face le lendemain.
Cette journée-là, là, c’est garanti, c’est sûr, c’est officiel: c’est du gâteau! 22 km de planifié, avec pause chez Vermeer pour fins de caillouting. J’ai même du soleil et pas trop de vent jusqu’à Delft. Le bonheur. Une fois là-bas, c’est moins rigolo. Personne ne sait où est la tombe du peintre. Je me rends d’abord là où mes références, m’envoient, à la vieille église de Delft. C’est dimanche, donc les maisons de Dieu sont fermées! Ehuueuu. Après tout, à Toulouse, les magasins de vélo ferment un mois l’été, alors pourquoi pas des temples fermés le dimanche en Hollande. Je fais le tour de la construction sans trouver la moindre indication. Je demande à un garde de sécurité posté devant un musée arborant justement des toiles du peintre. Il m’envoie ailleurs. Je vais. Ce n’est pas ça. Je trouve bien la maison de Vermeer, mais pas sa tombe. Je tourne en rond pendant une heure. Marde. Au moment précis où j’abandonne, le vent (encore lui) se lève, la pluie commence à tomber et le firmament s’assombrit. La bourrasque qui me tombe alors sur la casquette me force à rouler à 7 kmh! Les derniers 12 km me bouffent deux heures! Arrivé à Maasland, c’est devenu une tempête de grêle si intense que je dois pousser/tirer la Gaxuxa sur les derniers 500m, complètement à l’aveugle. Je dois m’approcher de chaque maison et me coller le nez aux écriteaux pour distinguer les adresses. Je finis par trouver celle de Léon. Incrédule, je vérifie en mettant mes mains en cornette à cinq centimètres des chiffres. Oui, c’est bien ici. Je retourne au trottoir, vacillant sous les trombes et les tourbillons. Je tire la Gaxuxa jusqu’à la porte. Pas le temps de sonner, on m’ouvre. «Oh, oh! Do you want some hot soup!?»© Éric McComber

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