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Boy from school

Par Frédéric Romano
- Moi : Cette chanson me donne les larmes aux yeux…
- Lui : Pourquoi ? Elle est plutôt joyeuse…
- Moi : Aucune idée, c’est peut-être juste son titre…
- Lui : Ha oui ! Elle s’appelle comment ?

Au début des années nonante, j’entrepris de me construire une culture musicale. Pendant longtemps je suis resté fermé à ce domaine. Je ne saurais pas dire pourquoi. Un dimanche, mon père, qui avait la vilaine habitude de fouiller dans les poubelles du voisin, rapporta un vieux radio cassette qui resta plusieurs années dans la cave. À l’occasion d’un nouveau déménagement en 1991, on entreprit d’éliminer ce qui devait l’être et de distribuer le reste. Mon frère fut le plus rapide, et le radio cassette trouva rapidement une place dans sa nouvelle chambre. Qu’à cela ne tienne, je m’en foutais, sa chambre était aussi la mienne. J’avais douze ans et je venais de rentrer à la grande école.

L’établissement scolaire que je fréquentais portait un nom qui évoquait celui d’une plage. Plus tard, beaucoup de gens en ont ri. Moi, à l’époque, je m’en foutais royalement. Comme un bon petit soldat, je faisais mes heures et satisfaisais à mes devoirs. Je n’avais pas l’envie de savoir si l’on me dispensait un bon ou un mauvais enseignement. L’école n’était qu’à quelques centaines de mètres de la maison, c’était le principal. Je n’excellais en rien mais je n’étais pas mauvais non plus. J’avais une moyenne de septante-huit et cette moyenne me collera pendant six ans, sans jamais sombrer ni décoller. Au pire j’avais des préférences. J’ai aimé très tôt le cours de français, même lorsqu’il consistait à apprendre par cœur des tables de conjugaison. Les lettres me parlaient définitivement plus que les chiffres. Pendant six ans, je suivis les cours en orientation latine, maths et sciences moyennes. Ces années passèrent rapidement. Avec le recul, j’admire la capacité que j’avais à ne pas me poser de questions. Aurais-je du ? Sans doute oui. Mais c’est une autre histoire…

Tous les vendredi soir, Eric, mon frère, allait s’approvisionner au Discobus qui stationnait devant la gare de Braine-l’Alleud. Le samedi matin, il squattait la chaîne hifi de papa pour copier les CD loués sur des K7 audios puis, l’après-midi, il glandait, allongé sur son lit, le volume du radio cassette souvent trop élevé. Nos deux espaces n’étaient délimités que par une fine cloison. Quand je voulais faire le chieur, je prétendais un besoin de concentration et j’allais pleurer chez Maman. De cette manière, j’emmerdais mon frère et j’entretenais auprès de ma mère l’idée que j’étais un garçon sérieux, discipliné et studieux. C’était un peu stupide d’agir de la sorte juste pour ennuyer mon frère. Surtout qu’à l’époque, je commençais à aimer ce qu’il écoutait. C’était plus fort que moi, je n’arrivais pas à exprimer mes goûts musicaux. Pendant toute mon adolescence, c’est donc par procuration que j’écoutais et appréciais la musique. Je passais des heures devant la télévision à regarder en mode silencieux les chaînes musicales et les clips vidéos. Eric, de temps en temps, au travers de notre fine cloison, apportait un sens aux images en y collant le son de U2, de Depeche Mode ou des Pet Shop Boys.

Les années passèrent, je les survolais. J’allais à l’école sans réelle ambition, dans une ville qui ne me parlait guère. Je n’ai jamais retenu un seul nom de rue ou une seule adresse à Braine-l’Alleud. Peu m’importait. On a parfois la faculté de s’éclipser, de s’éteindre et de se mettre en veille. La mienne débuta en 1991. J’avais quelques amis en classe, j’avais des liens d’amitié mais aucune sociablité, aucune passion et, je pense, peu de sentiments. J’aurais sans doute sombré dans le “je m’en foutisme” le plus profond si, à l’époque, je n’avais pas fait la connaissance de deux merveilleuses dames. Elles se prénomaient Élisabeth et Sophie. La première était ma prof d’histoire et la seconde m’enseignait le latin. En 1994, alors qu’elle s’apprêtait à prendre ses fonctions dans un autre établissement, Sophie me demanda de l’aider à charger sa voiture. En chemin, elle me demanda ce que je voulais faire de ma vie en me précisant qu’elle était certaine que j’avais déjà la maturité pour réfléchir à cette question. Je ne pense pas lui avoir formulé quelque chose de précis mais elle me répondit : “de toutes façons, je suis confiante, je pense que tu caches bien ton jeu“. Ces mots raisonnèrent en moi. Ils me réconfortaient et me terrorisaient. Deux ans plus tard, Elisabeth fut encore plus directe : “Frédéric, arrête de te plaindre et de me dire que tu ne veux rien faire l’année prochaine. Je te jure mon garçon que si tu ne t’inscris pas dans une filière qui te plaît, tu auras de mes nouvelles !“. Je lui ai souri et je suis rentré chez moi. J’ai alors potassé le programme des cours de l’ULB qui traînait sur le bureau de mon frère. “Licence en histoire“, les cours avaient l’air intéressants.

Elles m’ont toutes les deux rassuré. Sans elles, je ne serais pas ce que je suis aujourd’hui. Je n’aurais pas fait ce que j’ai réalisé jusqu’ici et je n’écrirais probablement pas ces quelques lignes. Elles m’ont aussi foutu la plus grosse frousse de ma vie, une peur au ventre qui ne me quittera plus et boulversera mon existence. En dernière année, je reçus le prix de l’effort de la part de mes professeurs. Ce fut l’occasion d’une nouvelle discussion avec Élisabeth. En me remettant le livre offert, elle me regarda longuement et me dit : “Je sais que ce prix tu n’es pas conscient de le mériter et, peut-être, tu ne le mérites pas. Tout ça semblait bien facile pour toi, n’est-ce pas ? Mon garçon, saches que le plus difficile reste à venir car, là, tel que je te vois, je me rends compte que je te connais à peine. Alors ne te lamente plus et apprends à vivre. Dis-moi qui tu es“. Un frisson me parcouru le corps. Je ne répondis pas. Ce jour là, je n’ai jamais pensé aussi fort et aussi profondément. Touché au plus profonds de moi-même, nu devant le monde, dépourvu et immature, il fallait maintenant improviser. Qui suis-je ? Il était temps d’inventer et de faire semblant. J’avais dix-sept ans.


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