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Qui vulgarise?

Publié le 28 novembre 2009 par Timothée Poisot

Dans un contexte qui pourrait aider à comprendre, mais que je ne souhaite pas préciser pour ne pas envenimer le débat, j’ai pu lire que ceux qui faisaient de la vulgarisation étaient des « journalistes, chercheurs, ingénieurs, ou même simples citoyens ». Cette phrase peut sembler anodine, mais elle propose une vision de la vulgarisation qui est dangereuse pour sa pratique et sa réception par l’ensemble de la société.

Ecrire ça, c’est affirmer que la vulgarisation est l’œuvre d’une élite intellectuelle, qui diffuse ses connaissances, mais qui est tellement éclairée intellectuellement qu’elle laisse des cols bleus, des plébéiens qui n’ont pas notre irréprochable éducation, participer à cette action.

Utiliser le terme de « simple citoyen » demande un certain aplomb, et surtout un œsophage suffisamment large pour ne pas s’étouffer dans la flaque de vomi froid de sa condescendance. Si on utilise le terme de simple citoyen, alors on érige le chercheur, le journaliste, l’ingénieur (et pourquoi ne pas mentionner les étudiants et les techniciens, aussi indispensables que tous les autres à l’effort de recherche?) en citoyen exceptionnel, qui accepte de laisser entrer dans son monde quelques éléments de la masse grouillante et informe qui traîne son existence dépourvue de culture hors des murs des laboratoires. Dans la droite ligne de ce que fait le CNRS. Il n’est pas anodin de noter que la personne qui a écrit ça travaille pour un site institutionnel.

Si on commence à adopter cette rhétorique, on fait de la vulgarisation une activité de transmission verticale de la connaissance. Et si la vulgarisation est un partage, soit elle est horizontale, soit elle n’est pas. Je me demande combien de temps le petit génie qui a écrit ça a passé à réfléchir aux enjeux de la vulgarisation. C’est d’autant plus amusant que s’il avait eu à se catégoriser, il ne se serait probablement pas défini comme un « simple citoyen ».

Si transmettre de la connaissance de manière verticale (depuis l’estrade vers les masses), allez faire de l’enseignement. Et même la, je vous en prie, descendez de cette estrade. Il y a déjà la distance symbolique enseignant/étudiant, ne rajoutez pas une distance physique supplémentaire. Enseigner n’est pas méprisable, ou inférieur à la vulgarisation. C’est complémentaire, c’est complètement différent.

Reposons nous la question : qui fait de la vulgarisation? Répondre à cette question, c’est définir pourquoi on vulgarise une connaissance, un savoir, une idée, que ce soit en économie, en art, en science, en philosophie, en musique, ou en quoi que ce soit d’autre. Si j’avais à répondre à la question du « qui », je le ferais en deux mots, et ces deux mots seraient précisément « simples citoyens ». Si on commence à faire de la vulgarisation en tant que chercheurs, on a un grave problème d’ego!

Simple citoyen, celui qui vulgarise, parce qu’au moment ou on décide de partager une idée, on le fait en acceptant d’ouvrir un dialogue d’égal à égal. De la même manière que quand avec quelques compères on discute d’évolution avec des témoins de Jéhovah ou des mormons, on accepte d’entendre des choses fausses sur notre théorie préférée, et qu’au moment où on les entend, on les interprète en fonction des croyances de la personne qu’on a en face de nous. C’est quand même plus dur avec les mormons…

Simple citoyen, parce qu’on accepte de partager librement des idées, de les offrir, d’en faire don à tous sans discrimination. L’objectif n’est pas de livrer de la science des livres. C’est de susciter un débat, de comprendre et de faire comprendre comment la science est un système de question, quelle est sa place dans la société, comment elle se fait au jour le jour, et ce qu’elle peut apporter. L’idée n’est pas de montrer que notre mode de réflexion est supérieur aux autres. L’idée ultime est de montrer comment on peut observer les choses d’une certaine manière, et comment on est souvent aussi perdus que les autres quand on aborde un problème.

Au final, la vulgarisation devrait montrer que c’est important et salutaire d’être parfaitement stupide pour être un bon chercheur. Il faut mettre au fin au mythe du chercheur qui a des réponses, alors que nous n’avons souvent même pas la moindre idée de la question. Et que souvent, en ayant la réponse, on se rend compte qu’on se posait la mauvaise question.

Et si on veut faire ça, il est nécessaire de se départir de son statut de chercheur. Ca ne veut pas dire qu’il faut cesser d’être un chercheur, un scientifique, ou autre chose. Simplement, qu’il faut se mettre en position de simple citoyen qui discute avec d’autres simples citoyens. Et ce n’est pas non plus accepter le relativisme qui consisterait à dire que penser que le grand monstre en spaghettis volant (blessed be its noodly appendage!) aurait créé le monde a autant de pouvoir explicatif que la méthode scientifique.

Pour conclure ce texte cathartique, essayons de nous demander, au moment de partager une connaissance, dans quel état d’esprit nous le faisons. Si c’est pour apporter la culture au bas peuple, il est grand temps de réfléchir à la valeur du mépris comme outil de transmission du savoir. Si c’est pour avoir un dialogue bénéfique à tous, et qu’on se présente comme simple citoyen (ce qui n’empêche pas de maîtriser des choses complexes), on maximise nos chances d’atteindre notre but.

Ce qui me fait penser que la vulgarisation aurait bien besoin d’un manifeste, ça remettrait certains élitistes à leur place (sans doute dans le comité de pilotage des initiatives institutionnelles foireuses, ou pour la plupart ils sont déjà…).


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