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Niger : La guerre climatique

Publié le 30 novembre 2009 par Infoguerre

« Presque invariablement, nous discutons du Darfour en termes de raccourcis militaires et politiques pratiques, un conflit ethnique opposant les milices arabes aux rebelles et aux fermiers noirs. Pourtant l’examen de son fondement, révèle une dynamique plus complexe. Parmi les diverses causes sociales et politiques, le conflit du Darfour a commencé sous forme de crise écologique, causée du moins en partie par les changements climatiques. » Déclaration de Ban Kimoon en 2007. 

Changements climatiques et sécurité en Afrique occidentale : Vers de nouveaux Darfour ?

Plusieurs facteurs combinés ou isolés peuvent être à l’origine d’un conflit. Le degré de pauvreté, la quantité de ressources naturelles possédées, la cohabitation de diverses ethnies et religions, les niveaux d’instruction, la géographie ou encore l’existence de conflits antérieurs sont autant de facteurs qui limitent ou facilitent le conflit. Les changements climatiques ne constituent donc que l’un des nombreux défis en matière de sécurité, d’environnement et de développement auxquels l’Afrique doit faire face. Néanmoins, considérés comme un « multiplicateur de menaces », en aggravant les préoccupations actuelles telles que la pénurie d’eau et l’insécurité alimentaire, ils constituent un enjeu stratégique de premier plan.

Les précipitations dans les régions semi-arides de l'Afrique occidentale, et surtout dans certaines zones du Sahel où les moyennes des trente dernières années ont diminué jusqu’à près de 40 %, sont le point d’ancrage de difficultés naissantes. La sécheresse, les mauvaises récoltes et les famines récurrentes en découlent ainsi logiquement. L’exemple de l’assèchement du lac Tchad saurait à lui seul traduire les conséquences physiques du dérèglement climatique. Pour autant, ce sont des centaines de milliers de personnes dont la subsistance dépend de cet espace. Quelle stratégie de survie peuvent adopter des pêcheurs sans lac, ou des agriculteurs face à l’augmentation des zones marécageuses, si ce n’est migrer vers des contrées moins hostiles ? L’OCDE estime en effet à 7,5 millions les migrations intra régionales en Afrique occidentale, mais celles-ci augmenteront d’autant plus avec un environnement ingrat. La compréhension des impacts futurs du changement climatique exige en outre la compréhension des situations socio-économiques futures des systèmes. L’ONU estime ainsi que d’ici 2025, la population d’Afrique occidentale connaîtra une croissance de 50%. La production alimentaire ne pourra suivre proportionnellement l’accroissement démographique, conduisant par la même des Etats comme le Mali ou le Niger à dépendre des importations. Comment pourront-ils alors prétendre à une stratégie de développement, manquant cruellement des éléments de subsistance élémentaire ? En outre, des villes comme Lagos polarisent de plus en plus des flux de migration régionale. Si les hypothèses de submersion s’avéraient exactes, une hausse de 20 cm du niveau de la mer conduirait 740 000 Nigérians à migrer vers l’intérieur des terres. Le delta du Niger  déjà en proie à certains conflits communautaires, autour d’intérêts pétroliers et gaziers, risque de voir les affrontements devenir de plus en plus fréquents à mesure que les populations vont se concentrer en des espaces de plus en plus restreints. Par ailleurs, la production de coton, vitale pour la région, et fort consommatrice en eau, souffre du tarissement avéré en ressources hydriques. Enfin, les migrations dues aux changements climatiques entraînent elles aussi leur lot de conflictualité. Tout comme pour le Darfour, le bassin du Niger voit déjà s’affronter agriculteurs sédentaires, et éleveurs nomades, dont les couloirs de transhumances ont dévié vers de nouvelles destinations (note 1). Au-delà du simple affrontement pour la terre, les revendications se radicalisent également lorsque les frontières définies par un cours d’eau se trouvent contestées une fois celui-ci diminué. Une dispute a ainsi récemment opposé le Cameroun au Nigeria à propos d’une partie de la zone du lac Tchad, en particulier la localité de Darak et les villages environnants. Ce sont néanmoins les facteurs autres que ceux liés au climat (tels que la pauvreté, la gouvernance, la gestion de conflit, la diplomatie à l’échelle régionale et autres) qui détermineront, en grande partie, si les changements climatiques passeront du statut de défi pour le développement à celui de menace pour la sécurité et la façon dont cela se réalisera. Car si le réchauffement climatique place ces pays dans une situation d’assistanat international et d’unique stratégie de survie, on peut prétendre à une autre solution coopérative, voire à l’émergence d’un leader régional. 

Anticipation coopérative ou conflits inévitables ?

Depuis 1980, l’Autorité du bassin du Niger gère un espace transfrontalier entre neuf Etats. Si jusqu’à présent elle a réussi le partage de cette ressource, sa raréfaction est devenue un facteur potentiel de conflits. Le manque de moyens financiers et institutionnels a fortement entravé son action. Le troisième fleuve d'Afrique avec ses quelques quatre mille deux cents kilomètres de longueur et un bassin couvrant  plus de deux millions de km² et près de cent dix millions de riverains pourrait devenir la nouvelle fracture conflictuelle africaine. Bien que les Etats s’accordent à coopérer, plusieurs conflits ont déjà entaché la zone. Le Nigeria serait-il sur fond de manne pétrolière en train de s’arroger une stratégie de puissance régionale ? Il a en effet consenti d'énormes investissements hydro-agricoles et énergétiques dans la partie aval du fleuve Niger (grands barrages de Kainji et de Jebba, 1,6 million d'hectares de périmètres irrigués, aménagements pour transport fluvial, et approvisionnement en eau des villes) et redoute aujourd'hui que la réalisation de projets de barrages en amont de ce dernier n'entraîne une baisse des débits dans la partie nigériane du cours d'eau (note 2). La dépendance à l’hydroélectricité étant prégnante, la construction d’ouvrages de maîtrise de l’eau pousse les Etats riverains à vouloir «marquer leur territoire», chacun essayant de contrôler la plus grande portion possible des terres valorisées par les barrages. 

Un échiquier aux multiples acteurs extérieurs

Pourtant, les conséquences prévisibles du réchauffement climatique verraient l’arrêt de l’exploitation pétrolifère du septième producteur mondial. Par ailleurs les récentes découvertes de gisements au Tchad, doivent être corrélées de la montée des tensions et rebellions touaregs. Il n’est donc pas anodin de constater que la Secrétaire d’Etat américaine, Madame Clinton, ait souhaité au début de son mandat effectuer un voyage officiel en Afrique occidentale. Sous prétexte de lutte contre Al Quaeda au nord du Niger, au Mali et au Tchad, il faut voir une volonté de préserver leur pluralité de sources d’approvisionnement énergétique  en dehors du Moyen Orient. En effet, en ce début de XXIe siècle, les États-Unis, la Chine et l'Inde doivent relever un défi majeur, celui de leur vulnérabilité pétrolière. La France n’est pas absente de cette région riche en ressources minières, gazières ou pétrolières. Après plusieurs mois de négociation, le gouvernement du Niger et AREVA se sont accordés en Janvier dernier sur les conditions d’exploitation du gisement d’uranium d’Imouraren, considéré comme la réserve connue la plus importante de toute l’Afrique et la deuxième au monde derrière celle d’Olympic Dam en Australie. A l’heure où la relance du nucléaire est annoncée dans de nombreux pays, il s’agit d’une opération d’envergure pour le groupe français et le Niger.

Si pour le moment, on peut se réjouir qu’aucune des crises autour de l’eau dans le bassin du Niger n’ait débouché sur une confrontation militaire ouverte, on peut aussi se demander jusqu’à quand cela peut durer. Le risque est grand de voir les velléités locales de survie et les affrontements communautaires pour la terre et l’eau instrumentalisés par les puissances occidentales dans leur course aux énergies et matières premières. 

Anne Sophie Colleaux 

Notes

  1. Situé en territoire camerounais à 35 km à l’est de la frontière avec le Nigeria, Darak aurait été créé vers 1987 par des pêcheurs Nigérians ayant suivi la retraite progressive des eaux du lac avec la succession des années de faible pluviométrie et de baisse marquée des apports des affluents du lac. Au milieu des années 1990, on comptait dans la partie camerounaise du lac plus de 30 villages créés par des immigrants Nigérians totalisant une population de plus de 70000 habitants. La tension entre les deux pays résulta directement du fait que l’administration nigériane a suivi l’émigration de ses ressortissants, en étendant donc en territoire camerounais l’exercice de l’Etat du Nigeria (occupation militaire, expansion du service public avec création d’écoles et de postes de santé, etc…).
  2. Les autorités nigérianes ont manifesté à plusieurs reprises leur inquiétude concernant tout projet hydraulique sur le fleuve Niger qui entraînerait une réduction de plus de 10% du volume d’eau annuel reçu au Nigeria : les projets visés sont le barrage de Kandadji au Niger et dans une moindre mesure celui de Tossaye au Mali.

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