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Architexture web : origine des pages

Publié le 29 novembre 2009 par Menear
Je découvre un site comme j'ouvrirais un livre, c'est à dire que je cherche la première page, c'est à dire que je me trompe. La première page est souvent cachée, détournée, parfois supprimée ou annulée, voire même soustrait aux regards, mise entre parenthèse dans un espace interdit, protégé par mot de passe ou par chicane du réseau, derrière les étalages des bases de données, dans des recoins aux adresses tronquées auxquels on ne peut même pas rêver. Je cherche (traque, loupe) le point de départ chronologique d'un site web, blog ou portail, généralement sans succès, et finis par m'apercevoir que la première page est un mythe, une illusion palpable, une erreur d'appréciation. Un site web n'a pas de point de départ chronologique : on dirait qu'il émerge sur la toile sans genèse, par simple apparition spontanée.
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Blogs, plusieurs cas de figure : la première page est une page test. Ou page d'archive. Ou page vide. La première page d'Omega-Blue reprend mots minimes et texte caduque une nouvelle écrite bien des années plus tôt. Cette première page n'en est pas une. Il faut attendre plusieurs semaines avant de voir apparaître sur le réseau minuscule une page introductive qui, de fait, n'en est déjà plus une. (et ce avant même achat déposé du nom de domaine). Les Remarques et cie de Chloé Delaume commencent par une page 0 mais la page #1 débute par « Par exemple il faudrait ». La page Spip article1 dans Tierslivre nous dit « Il n'y a pas d'article à cette adresse » et page blanche avec ça. Le numéro d'article le plus petit existant est l'article5 « écrire en ligne, écrire la mer » et il n'est pas daté. Et ce n'est pas un point de départ. Dans les deux cas continuation d'un site précédent, effacé des tablettes, et poursuite du travail numérique entrepris en amont. Idem sur le bloc-notes du Désordre où l'on peut lire, environ une semaine après la première entrée (une page zéro qui reprend citation sans texte accompagnateur) : « le Pola journal (...) s'est achevé le 11 mai 1999. 
Le présent bloc-notes se propose donc d'être le prolongement de cette idée de rendre compte du quotidien, au quotidien. » Le début c'est pas le début, c'est la suite. Je remonte le temps et ouvre le Pola journal, première entrée 11 mai 1998, qui renvoie à une tentative préparatoire de ce même Pola journal le 1er juin 1994. Dans mon Netvibes je prends la République des livres, je prends Stalker, je prends Lettres ouvertes. Pas d'incipit mais de l'actualité, prise en cours de route, comme si le blog, comme si le site, avait toujours été là et défiait quiconque de prouver le contraire. Les sites ne sont souvent que prolongement d'autres sites, créés plus tôt, fermés depuis. Alors il faut remonter le temps.

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Sur internet remonter le temps c'est possible, la cabine s'appelle Wayback Machine, robot oeuvrant pour les Archives de l'Internet et qui a pour but une photographie régulière des différentes strates du web. Une même adresse (c'est à dire un même lieu) peut développer des colonnes de pages différentes émises et propulsées au fil du temps. Comme référent il y a la page, mais aussi la date, le temps. Tierslivre revenu 2004 devient donc « François Bon, le site » , mais ce n'est pas assez, pas suffisant, on remonte avant nom de domaine jusqu'à http://perso.wanadoo.fr/f.bon/, décembre 1998, mais page d'accueil, ce n'est pas encore la première entrée, et la machine échoue à remonter au-delà. On n'aura pas la première page, on ne sait pas ce qu'elle pourrait dire.
D'ailleurs une première page c'est quoi et comment la définir ? La première page est souvent page test, ne dit rien, reprend juste un template souvent par défaut, ou un fond uni vierge de tout code. C'est avant le titre, avant les liens hypertextes, avant les tableaux. C'est avant le html, probablement écran vierge, curseur clignotant. Ce n'est pas cette page que je cherche alors précisons. Premiers mots, plutôt, première phrase. Aucune piste. Je n'ai pas de réponse. Mes propres sites passés, perdus, effacés, éparpillés sur la toile n'ont pas d'origine, de première phrase. Les versions les plus anciennes toujours consultables sur la toile, par le biais de la Wayback Machine, sont déjà versions 2 ou 3 adaptées des moutures précédentes. Les phrases listées ne sont que des compte-rendus d'informations présentées en lien, souvent par colonnes, dans des tableaux élaborés à la main, rudimentaires, quand il était encore permis de coder comme on gribouillait, c'est à dire mal.
Cette quête impossible est pure curiosité personnelle. Ce sont mes premiers mots, mes premières pages, qu'en réalité je recherche. Après plusieurs tentatives, via la Wayback Machine, et après être parvenu à tromper et manipuler le robot, en passant notamment par des URLs détournées, depuis devenues obsolètes, je suis parvenu à remonter la trace de ma propre présence en ligne. La première page jamais présentée sur le net est une page écriture blanche sur fond noir. Le lien de l'image a expiré depuis longtemps. Le paragraphe introductif (en ce temps là nous croyions encore au principe de la page d'accueil) ne raconte rien et je ne l'ai pas écrit. Le nom précisé en signature n'est pas le mien, ni même l'un de mes divers pseudonymes de l'époque. C'est un autre pseudonyme, bien sûr, mais qui appartient à quelqu'un autre. Quelqu'un qui a depuis cessé d'exister et que je n'ai jamais connu. Quelqu'un dont j'ignore le nom réel et que je ne me rappelle pas avoir croisé. Quelqu'un dont rien ne me prouve qu'il ait un jour été quelqu'un. Mes premiers mots sont donc les siens. Et lorsque je clique sur le lien permettant de pénétrer sur le site réel, dédoublé derrière l'ombre de sa page d'accueil, la Wayback Machine m'avoue ses limites : cette page n'a pas été archivée. Elle n'existe plus. « Failed connexion », dit la machine. La page concernée portait comme extension « sommaire.html »). On n'en sort pas. Le premier noeud de toute l'arborescence est encore ailleurs. Problème lié à l'archive de tout ce qui a un jour été écrit (et que je me propose de reproduire très régulièrement, tous les X mois) : on ne peut jamais remonter assez loin, assez haut dans le temps. Ma première entrée du Journal, octobre 1998, n'est pas la première. Avant lui un autre journal perdu dans la poussière. Et avant lui encore, d'autres fictions étroites et minuscules, jamais terminées, qui ont fini depuis longtemps de pourrir à l'air libre. Et avant elles encore, d'autres histoires jamais fixées, mais prises à l'intérieur de ma tête. Et avant elles d'autres livres tracés par d'autres auxquels je n'ai jamais pu avoir accès. On n'en sort pas.

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