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Noces bleues sur internet

Publié le 05 novembre 2009 par Hortensia

Dès notre première rencontre, il avait déployé tous les charmes de sa panoplie démesurée. Enjôleur superlatif. Insatiable flatteur. Paon invétéré.

Il m’avait aimée dès le premier regard, me disait-il. Avant moi, les autres n’étaient que vide sans saveur. Il s’était égaré dans la médiocrité. Il s’était perdu dans l’habitude. Il s’était alangui dans le paraître. Dissous dans le rassurant. Il avait tout multiplié : les mensonges, les faussetés, les conquêtes. Il avait oublié la vraie vie. Mais aujourd’hui enfin il reprenait espoir. Le goût semblait enfin pouvoir revivre en lui. J’étais différente. Je le comprenais, me disait-il. J’acceptais qu’il soit tel qu’il était, un être fautif, imparfait, sensible, nu.

J’étais la femme de sa vie, il en était sûr. L’aurore d’une ère nouvelle dans un tunnel sans fin dont il ne voyait plus le bout. Il était sûr que personne n’avait compris comme lui à quel point j’étais unique. Un joyau sans écrin. Une perle sans diadème. Il en était sûr. J’étais l’unique. La Seule. La révélation qu’il attendait depuis toujours. Lui, perdu dans la nuit des soupirs sans fonds d’un mariage échoué. Lui, désespéré par tant de vains espoirs déçus par la médiocrité des cœurs. Mais MOI
Maintenant.
LUI et MOI.
OUI. TOI. TOI. TOI. Il tapait ces mots sur son clavier sans cesse comme un pivert enfiévré. Le point d’exclamation était sa seule ponctuation.SMS. Email. Comms.
Il se perdait en mots affligés : « Je suis si triste car tu es LA seule ». « Mon esprit : une bombe nucléaire enfiévrée qui voudrait exploser en toi ! ».

Il pourrait me faire découvrir toutes les facettes inconnues qu’il percevait de moi à l’infini. Il serait le kaléidoscope romantique de mes perfections. De mon infinie beauté bien sûr, mais aussi de la finesse de mes goûts, de la perfection de mes attitudes, de la classe impeccable de mes choix vestimentaires. J’étais déjà une femme classe. Mais que cela ne tienne ! Avec son vécu dans les cercles le plus hauts, dans les sphères intellectuelles les plus achevées, Il m’affinerait, me rendrait l’éclat qui m’était dû. LUI, sa pauvre cervelle géniale, il finirait de me révéler. Il me proposait de vivre des expériences nouvelles, de grands restaurants parisiens, un week-end au Touquet, une escapade dans son cottage écossais. Je le croyais. Il me révélait enfin. Il comprenait enfin mon intérêt, ma splendeur, tous ces trésors cachés que jamais personne n’avait su deviner, comme lui, dès des premiers échanges de mails. Nous en étions là, liés par les liens virtuels, nous étant juré fidélité pour le toujours du chat de la soirée.

Il voulait passer le pas, me convier pour une rencontre de noce. Il me proposait enfin une rencontre.
NON, pas le temps.
Comment ! Je refusais ?!
Comment pouvais-je le faire souffrir à ce point ? Je ne voyais donc pas qu’il m’aimait corps et âme ? Jamais une femme ne l’avait à ce point maltraité. Pourquoi l’ignorer à ce point ? Qu’avait-il donc fait de mal ? Juste une invitation pour une soirée.
Finalement j’acceptais.
Le soir même, je succombais.

Les premières semaines éclatèrent d’une fièvre magnifique. Il avait pour moi un feu d’artifice de désirs. Nos corps se bouleversaient dans un volcan de sexe en fusion. Je n’avais jamais connu cela. J’étais sous son aura kama-sutra. Il m’appelait « j’ai envie de toi, rendez vous cinq heures». Je quittais tout : mon travail, mes chefs de projet encravatés, mes copines de boulot dont les sourires en coin accompagnaient mes départs impromptus. Nous nous retrouvions partout, en des coins sombres des beaux bars parisiens, dans les alcôves des grands hôtels, dans des chambres recluses et chics, oubliées de tous, surtout des personnels hôteliers qui avaient l’habitude de ne rien voir et rien entendre tant qu’on ne les sonnait pas.
Nos âmes s’enchaînaient sous ses tonalités tonitruantes et avides : TOI, TOI, TOI, NOUS , NOUS, NOUS, AHHHHH !!!!! et quelques ‘salopes’ de-ci de-là, au summum de sa jouissance.

Il me proposa de venir chez lui. C’était un grand duplex de vingt pièces, un immense appartement bourré de tableaux et de livres. La première fois, je m’y étais perdue. Tout me paraissait beau et luxueux. Je vivais un rêve.
Je remarquais seulement qu’il était très occupé. Son travail était très prenant. Il passait beaucoup de temps sur son ordinateur. Un jour, je lui demandais ce qu’il faisait : il me dit que je ne devais plus lui demander à nouveau. Il était si important que chacun de nous ait sa sphère privée. Nous devions toujours garder pour l’autre un mystère nécessaire à la sève de notre relation. J’acceptais cette idée un peu étrange. J’en parlais néanmoins à ma sœur Anne. Elle restait dubitative, je le vis à son froissement de sourcils. La relation que j’avais avec ma sœur était empreinte d’une grande tendresse. Sa méfiance me troubla. De quoi doutait-elle ? Je commençais à prendre peur. Qu’y avait-il dans cet ordinateur ?

Je savais que je ne devais pas y aller. Je savais qu’il m’en voudrait. Parfois, il avait des colères terribles. Comment le supporterait-il ? Pourtant, un jour, je plaçai mon étui à maquillage près du clavier. Le miroir reflétait le clavier à l’étage. Je filmai d’en haut avec mon téléphone portable au moment où il tapait son mot de passe. J’attendis que la porte ait claqué derrière lui pour me jeter sur mon écran et passer le film au ralenti afin de déchiffrer le mot de passe. De ses grands doigts courbés sur le clavier, chaque lettre s’égraina lentement. Une à une, elles s’affichaient devant moi, un frisson me parcouru de haut en bas:« femmes ».
Il avait tapé « femmes » sur le clavier. La dernière lettre surtout me faisait frémir : un pluriel. Je ne savais plus que faire. J’appelais ma sœur, pour lui demander conseil. Elle me dissuada d’aller plus loin. Je lui demandais de venir. De m’aider.

Quand elle arriva, je me jetai éperdue dans ses bras. Elle accepta de se poster devant l’entrée de l’immeuble pour faire le guet. Pendant ce temps-là, je me connectai sur son ordinateur. Les dernieres adresses utilisées étaient celles de plusieurs sites de rencontre, certains très connus, d’autres moins, mais au nom coquin sans équivoque.

A la vue de ce paysage multiple, je décidai d’aller me promener sur le site avec le grand historique. J’appelai ma sœur par sécurité « Alors, Anne, ne vois-tu rien venir? ». Elle me répondit «Seul le soleil au zénith et la rue déserte ». Je tapais le mot de passe, et je pénétrais sur son compte. Sa messagerie était pleine de centaines de messages. Ses messages étaient bleus. Ceux de ces interlocutrices étaient roses. Traître bleu, rose éperdu. Un vertige me prit. Intérieurement je m’effondrais Je vis un déferlement de passions, d’exultations verbales, de désespoirs, de jalousies. Les mêmes points d’exclamations partout.

J’avais peur, je rappelais ma sœur Anne : ‘’Anne, Anne, ne vois-tu rien venir ?
- Je ne vois que le ciel qui flamboie et les voitures qui poudroient ! ‘’

Je me replongeais dans le gouffre de la séduction artificielle. Les TOI répétés à l’infini dans des miroirs de messages. Des copiés-collés de textes où seul le prénom avait changé. Des noms de femmes qui apparaissent et qui disparaissent au bout de quelques semaines. Où étaient-elles passés ? Remplacées ? disparues ? C’était un cimetière de prénoms biffés. Des relations parallèles et superposées. Des compliments à double-fond, des portes et des fenêtres de femmes perdues, enchantées et désenchantées. Immense fric-frac de bite avivée, et de chatte en vrac. Des mots à n’en plus finir, toujours la même tristesse de vide dans les premiers échanges, la découverte du TOI !, ou du VOUS !, ensuite, ou l’inverse, puis la faille d’après les rencontres, des éplorements roses répétés en myriades infinies :‘Quand vous reverrais-je ?’

Mon téléphone vibra sur un sms de ma sœur. ‘Il arrive !’
Je refermais la porte de ce terrible appartement non sans un frisson. Je partais à jamais, d’un palais désenchanté. Je tournais la page d’un rêve éveillé. Ses TOI, ses NOUS perdureraient sans moi. J’étais l’x échappée de la suite infinie et trébuchante de ce séducteur bleu des temps modernes.

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Du site http://zanzib-art.over-blog.com/

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