Magazine Politique

Le pétrole au Tchad : forces et faiblesses

Publié le 04 décembre 2009 par Infoguerre

En dépit de ressources naturelles considérables, le Tchad est aujourd’hui l’un des pays les plus pauvres du monde. L’exploitation du pétrole, découvert en 1969 mais produit à partir de 2003, 200 000 barils par jour, était de nature à modifier cette position d’infériorité. Mais de nombreuses ingérences contraignent toute évolution. La souveraineté du Tchad, dans l’usage de cette ressource, est aujourd’hui limitée tant par la conditionnalité du prêt consenti auprès de la Banque Mondiale que par le contrôle d’un consortium américain sur l’exploitation pétrolière. Par ailleurs, seule l’intervention de la France a jusqu’ici permis de maintenir la stabilité du pays. Le Tchad est dès lors l’objet d’une rivalité de puissances pour le contrôle de leurs intérêts stratégiques dans cette région.

L’exploitation du pétrole : une aubaine difficilement utilisable pour accroître la puissance du Tchad

Le pétrole est-il une ressource stratégique pour le Tchad ? Certainement mais toutes les conditions ne sont pas réunies pour satisfaire son exploitation optimale. La demande de pétrole est réelle. Les pays occidentaux et émergents sont dépendants de cette ressource, et ce, malgré la recherche de substituts depuis le premier choc pétrolier. A titre d’illustration, plus de 70% de la production pétrolière tchadienne est destinée aux Etats-Unis, 15% à la Chine. Les conditions de l’offre sont également réunies puisque l’accroissement des cours mondiaux permet la rentabilité de l’exploitation pétrolière du pays. Pour le Tchad, le pétrole représente actuellement 80% des exportations et 2 MD€ de recettes. 

En revanche, la situation politique du pays est loin d’être stable. Le gouvernement ne dispose pas du soutien de l’ensemble de la population et s’avère incapable de contenir les conflits armés tant à l’intérieur qu’aux frontières de l’Etat. Dans cette perspective, l’exploitation du pétrole constitue un risque mais aussi un enjeu économique crucial pour l’ensemble des acteurs en présence. A l’aune de ce constat, le pétrole est un moyen de puissance mais il n’est pas suffisant pour permettre au Tchad de s’affirmer pour les raisons suivantes : 

Les dissensions internes et externes limitent le potentiel du pays

Sur le plan interne, le Tchad connaît des difficultés politiques et économiques importantes. D’une part, le Président ne dispose pas du soutien de la population tchadienne. Président « à vie », depuis une révision constitutionnelle de 2006, Idriss Déby refuse toute évolution politique. La démocratisation de façade du pays ne résout en rien les problèmes de fonds liés à la collusion du pouvoir en place. A titre d’exemple, l’administration territoriale hiérarchisée lui permet se maintenir au pouvoir par cooptation. A la suite des dernières élections – accusées d’être truquées – (2006), une partie des opposants située au Soudan, a tenté de bouleverser le régime en occupant la capitale N’Djamena (février 2008). La France est alors intervenue pour défendre le gouvernement tchadien et au-delà, ses intérêts militaires (Opération « Epervier » depuis 1976 et accord de coopération militaire depuis 1976) dans la région. En cas de changement politique, la France perdrait sa capacité d’intervention dans cette zone, étant fortement impopulaire au Tchad, surtout après l’affaire de l’Arche de Zoé.

D’autre part, le Tchad, pays agricole essentiellement producteur de coton, dispose d’un poids économique très faible (le PIB par habitant est de moins de 2000 $). L’économie informelle y est très développée. En tant que PMA, le pays a connu plusieurs moratoires sur sa dette publique, assortis de conditionnalités d’assainissement budgétaire. L’essentiel de sa production pétrolière, censé réduire la pauvreté, et donc permettre le développement économique, concoure en réalité à l’instabilité sociale. En effet, le gouvernement profite de cette manne financière pour acheter des armes et éventuellement le ralliement de certains opposants.

Sur le plan externe, le Tchad est conflit avec le Soudan et sa stabilité repose sur des puissances extérieures. Depuis les années 1960, le Darfour constitue une base arrière pour les rebelles tchadiens. A partir des années 2000, les affrontements avec le Soudan sont récurrents ; le Soudan appuyant les rebelles tchadiens, le Tchad soutenant les insurgés soudanais du MJE (Mouvement pour la justice et l’égalité). En outre, cette instabilité chronique résulte de la diversité ethnique des populations locales et de leurs divergentes attentes politico-économiques : au nord, les populations sahariennes musulmanes (Toubous, Goranes, Kradas, Zaghawas, Bideyats, Kanembous et Ouaddaïens), au centre les populations Arabes, et au Sud ouest les populations chrétiennes et animistes (Sara, Hajaraïs, Ngambayes, Toupouris, Kotokos, Massas et autres). Contrairement à une idée reçue, le conflit est avant tout politique. Il ne s’agit pas d’un conflit religieux musulman/ non musulman. Le conflit est également économique dans la mesure où l’objectif est avant tout d’accaparer les ressources naturelles (pétrole, eau essentiellement). Dans ce contexte, la stabilité du Tchad repose sur la France – depuis l’indépendance du pays en 1960 (opération « Epervier » contre l’invasion libyenne) – et plus récemment sur l’Union européenne (EUFOR).  

L’ingérence de puissances étrangères dans les affaires pétrolières tchadiennes

D’un point de vue historique, la recherche de pétrole au Tchad est le fait de compagnies française (1962 : infructueuse) puis américaine (CONOCO en 1969 : fructueuse). L’exploitation, dès 2003, revient par conséquent, au consortium ExxonMobil, Chevron et Petronas, soit aux compagnies américaines et  plus spécifiquement, aux intérêts américains.

D’un point de vue stratégique, l’oléoduc Tchad-Cameroun construit pour l’exploitation pétrolière a été financé par prêt, auprès de la banque mondiale.

Dans ce cadre, la conditionnalité de l’usage des fonds perçus par l’économie pétrolière est particulièrement stricte.  Le Tchad s’est engagé en 2001 à dépenser 80% des redevances et 85% des dividendes perçues pour lutter contre la pauvreté, taux réduit à 70% en 2006 à la suite d’une altercation avec la Banque mondiale. A cet égard, la transparence de l’usage des fonds est confiée aux ONG anglo-saxonnes (souvent qualifiées de « fantoches »), par le biais du Groupe international consultatif (GIC). Dès lors, il paraît douteux que la ressource pétrolière constitue un facteur de puissance pour le Tchad. D’une part du fait de la soumission de celui-ci à la gouvernance extérieure. D’autre part du fait de l’incapacité du pays à se réguler de l’intérieur. Sans stratégie socioéconomique, le pays ne peut que subir les décisions d’autrui.

Si le pétrole peut permettre d’accroître la puissance d’un pays a priori, les conditions d’exploitation et de contrôle de la production pétrolière au Tchad tendent bien davantage à accroître sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur, ou du moins de faire passer cette dépendance d’une puissance (la France) à une autre (les Etats-Unis). Pour les Etats-Unis, l’implication dans cette région est cruciale autant économiquement (diversité d’approvisionnement en pétrole) que militairement (islamisme radical en hausse). 
 

Alexandra Crepy 

Note

Les principaux groupes rebelles sont le mouvement des frères Erdimi, des Zaghawa, neveux d’Idriss Déby ; le mouvement de Mahamat Nouri, un Gorane, longtemps proche de l’ancien président Hissène Habré ; et une fraction dissidente composée d’une majorité d’Arabes, conduite par Abdelwahid Aboud Mackaye : selon RAMSES 2009, p211 relatif au Tchad.  


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Infoguerre 2399 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines