EPISODE 22 : Où les plaidoiries commencent et où la parole est donnée à un orateur particulièrement... comment dire... Bavard ? Da. Bavard.
« Les accusés sont donc coupables de très grands manquements à la magie, continua le caribou magique, qu'elle fût noire ou blanche, et du côté du Bien comme du côté du Mal, on a certes beaucoup à leur reprocher. Je demande donc un châtiment exemplaire, mais mesuré, étant donné les circonstances atténuantes mentionnées plus haut : que le Caribou Fou et Gudule soient expédiés séance tenante sur Pluton l'Infernale Atrocité et y passent le reste de leurs jours. Quant au Servile Séide, sa servilité étant en soi une punition suffisamment terrible, je demande la relaxe pure et simple. »
Le public eut un mouvement de désapprobation : on était trop généreux avec ces crétins qui avaient transformé le centre de la terre, endroit si calme d'habitude, en quelque chose d'indescriptible. Etait-ce un Tribunal ou le confessionnal du Saint-Sacrement ? « Silence ! cria le caribou maléfique en donnant un nouveau coup de pattes sur la table. Sinon, je grille la salle ! » On se tut immédiatement. « La parole est à la défense, dit-il en se tournant courtoisement vers les avocats. Maître Masque de fer, Maître Femme Maigre, quand il vous plaira. »
« Plaide pour le caribou fou, chuchota la Femme Maigre à l'oreille du Masque de fer, tout en tripotant des dossiers dont elle n'arrivait pas à lire une seule ligne, la presbytie étant toujours à l'heure à ses rendez-vous. Je plaiderai pour Gudule. » « On va plutôt faire l'inverse, affirma le Masque de fer. J'ai quelques arguments concernant Gudule propres à émouvoir la cour. » « Gnaaaaa ! fit le caribou fou avec un odieux sourire. J'aimerais bien les connaître, par exemple, tas de ferraille avarié ! » Pendant ce temps, Gudule tortillait ses couettes en jetant autour d'elle des regards furibonds et le Servile Séide s'épongeait le front, ne faisait rien, ne songeait à rien ; il attendait qu'on voulût bien lui dire ce qu'il fallait penser de tout ça. « Je ne voudrais point vous presser, Maîtres, dit le Maléfique, un peu moins bienveillant qu'auparavant, mais il me semble que vous perdez du temps et nous n'avons point l'éternité devant nous. Enfin si, bien sûr, mais Notre Auguste Personne a autre chose à faire », termina-t-il en posant sa patte sur la main de la future Impératrice qui rougit fort gracieusement.
Le Masque de fer se leva : « Monsieur le Président, Madame L'Impératrice, Madame l'Assesseur, Maître Magique, Maître Femme Maigre, public qui m'adore.... » commença le masque de fer mais quelques « hou ! » se firent entendre dans l'assemblée, venant notamment de la Belle Monogramme, Princesse de conte de fée. « Cette radasse odieuse que vous voyez dans le box des accusés, continua le Masque de fer, c'est ma fiancée ou plutôt mon ex fiancée. Je l'ai rencontrée chez la Marquise de Brinvilliers il y a de cela quelques siècles et cette atrocité m'a jeté un charme afin que j'accepte de la prendre pour épouse. J'avoue l'avoir aimée quelques minutes, mais guère plus, et en tous cas, maintenant, je suis éperdument amoureux de la Femme Maigre, ma distinguée collègue présente à mes côtés. » La Femme Maigre s'inclina devant le public qui applaudit.
« Maître Masque de fer, intervint le Maléfique, inutile de raconter votre vie, on sait tout d'elle. » « Certainement pas, votre Excellence, répliqua le Masque de Fer. Personne ne peut savoir ce que cette poufiasse scrofuleuse m'a fait endurer. Elle a inventé des supplices à mon égard dont même le souverain du royaume voisin, à savoir l'enfer, n'a absolument aucune idée. » Les quelques diablotins invités par courtoisie au procès se levèrent immédiatement et une tempête de sifflements et de huées monta de la salle.
« Maître, inutile de provoquer un incident diplomatique, cela ne sauvera pas votre cliente, dit le caribou maléfique avec un geste d'apaisement envers les diablotins. Et tâchez d'accélérer la plaidoirie, parce que là, franchement, vous gonflez. » « Il a toujours eu cette manie de s'écouter parler, avança Multimédia avec un sourire d'excuse. Il faut le prendre comme il est. » « Certes, mais s'il continue sur ce ton désobligeant envers nos voisins et amis, nous passerons la parole à Maître Femme Maigre. » « Voilà, voilà, je ne peux même pas plaider comme je veux ! brama le Masque de fer, outré. La liberté n'existe plus ! Je suis toujours obligé de me plier à des règlements stupides qui ne tiennent en aucun cas compte de ma personnalité profonde ! Et on s'étonne à présent que me sois enfermé pendant des siècles dans la grotte pluri centenaire de l'île Sainte Marguerite ! Mais dans un monde pareil, où puis-je me cacher, je vous le demande ?! »
Marsupilania se pencha vers l'oreille frémissante du Maléfique : « Il est plus chiant que chiant, Votre Excellence, mais parfois, il dit quelques vérités. Le tout est de faire le tri. Ne le grillez pas tout de suite. » Pendant cet aparté, le Masque de fer s'était lancé dans un discours visant à montrer que sa vie auprès de Gudule, puis les incessants harcèlements de la sorcière lui avaient pourri l'existence à un point tel qu'il avait plusieurs fois frôlé le suicide. Le public hurlait de rire. On dû rappeler à l'avocat qu'il était là pour défendre Gudule et non pour l'enfoncer. Lorsqu'il se rassit, la cour n'avait plus un œil de sec et le public lui fit une ovation afin de le remercier de l'avoir si bien diverti.
(A suivre)
(La plaidoirie du masque de fer sera-t-elle efficace ? La Femme Maigre réussira-t-elle à sauver les trois accusés dans la mesure où l'intervention du Masque de fer n'a, on s'en doute, convaincu personne ? Ne risque-t-elle pas, elle aussi, de rater son discours ?... Laissons-lui le temps de réfléchir à ce qu'elle va dire...)