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Les squats du Grand Nouméa: un phénomène urbain original

Publié le 04 décembre 2009 par Servefa

L’urbanisation grandissante de la population calédonienne ne constitue pas la moindre des mutations de ce pays en gestation. Ce phénomène s’accompagne toutefois de fortes inégalités sociales en particulier dans les modalités de logements. Ainsi, des "bidonvilles", appelés squats, apparaissent-ils depuis une trentaine d’années dans le paysage urbain de la capitale, le Grand Nouméa, et accueille aujourd’hui plus de 8000 personnes dans une agglomération d’environ 160 000 habitants (TNS, 2008). Pour l'aménageur, ces squats ne sont pas sans constituer un défi dans la résolution du décalage qu'il existe entre l'urbanité et la tradition mélanésienne, et plus largement océanienne. Face à ce défi, il m'est apparu nécessaire d'avoir une compréhension plus élaborée de ce phénomène. C'est ce que j'ai tenté de faire ici, aidé de trois collègues de l'Université de Montréal, Florian, Romain et Emmanuel, que je remercie grandement. Notre travail a tout d’abord posé un regard anthropologique sur ces habitats précaires, en se demandant ce qui pousse les populations à quitter leur habitat rural, puis à vivre dans les squats, ce qui a conduit à s’interroger sur leur qualité de bidonville ou de tribus urbaines. Ensuite, nous nous sommes penchés sur la description de la vie dans ces squats. Enfin, nous nous sommes attachés à souligner les enjeux politiques qu'ils portent et à offrir un bref regard sur les politiques publiques menées depuis quelques années, pour finalement conclure sur quelques propositions pour apporter une réponse à phénomène.

Migrer à Nouméa ?

La migration des populations vers la région du grand Nouméa répond à une logique complexe qui ne saurait se résumer au simple facteur économique. Certes, ce dernier joue un rôle déterminant dans l’arrivée en ville des populations rurales, cependant, il a été observé l’importance que les facteurs sociaux occupent dans les choix de migration. Aborder la thématique de la migration nécessite de comprendre à la fois les facteurs qui poussent les populations rurales et notamment les Kanak, qui représentent plus de la moitié de la population des Squats (Dussy, 1995), à quitter l’environnement tribal pour la ville etaussi le type d’attraction que celle-ci exerce sur elles.

La tribu, comme on la retrouve en milieu rural, constitue un environnement social fortement réglé par les structures et les pratiques coutumières. Organisée autour du chef de tribu, qui anime et gère la vie interne du clan tout en le représentant à l’externe, ainsi que d’un conseil des anciens, qui s’occupent des affaires intérieures à la tribu, on retrouve un certain nombre de famille descendants d’un ancêtre commun. Le degré de parenté entre les individus du clan, leur sexe ainsi que leur âge sont trois éléments à la base de rapports sociaux hiérarchique bien définis et particulièrement contraignants. Il a été rapporté à travers plusieurs études et entrevues avec des Kanaks qui ont choisit d’émigrer à Nouméa, la forte pression sociale qui pèse sur les individus du clan et les intenses tensions interpersonnelles qui surviennent régulièrement au sein de la tribu. Ainsi, « la dimension conflictuelle des relations d’alliance, de co-résidence et même des réattributions foncières (…) suscite fréquemment le départ des chefs de familles vers Nouméa qui apparaît comme une alternative aux destinations traditionnelles », elles aussi étant soumises aux mêmes règles sociales (Naepels, 2000). Ce mouvement est exacerbé par l’inefficacité croissante des structures coutumières à régler les conflits inter-clan. Outre l’aspect conflictuel de la tribu qui pousse les individus à la quitter pour Nouméa, il faut aussi mentionner la recherche d’une certaine émancipation. La ville, de par le certain « anonymat » qu’elle offre représente pour certains et en particulier les femmes et les jeunes une possibilité de s’affranchir des responsabilités qui pèsent sur eux en milieu rural (Hamelin, 2000). L’envie de rompre avec la monotonie de la vie rurale semble être un facteur de plus qui explique l’arrivée en ville (Les Nouvelles Calédoniennes, 03/10/2002).

Le délitement progressif du modèle tribal et de ses structures coutumières entraîne ainsi l’émergence de nouvelles tendances dans les comportements sociaux et de nouvelles aspirations, notamment chez les jeunes, qui se matérialise par l’exode rural : la ville représente ainsi un nouveau lieu de construction identitaire.

L’image que la ville de Nouméa symbolise en termes d’amélioration des conditions et de la qualité de vie est sans aucun doute un facteur prépondérant dans l’exode rural. C’est avec la suppression du code de l’indigénat en 1946, confinant les populations océaniennes dans les réserves, et du boom de l’exploitation Nickélifère dans les années 60 que les populations rurales ont commencé à migrer vers Nouméa. En effet, « les besoins de main d'œuvre (…) induite par le développement économique et démographique de la ville, ont été à l'origine de l'installation dans l'espace urbain d'une main d'œuvre peu qualifiée provenant du territoire lui-même, mais aussi des autres possessions françaises d'Océanie (notamment Wallis et Futuna) (Dussy, 1995). Ainsi, le déséquilibre macro-économique qui existe entre Nouméa, où sont concentrées les richesses, et le reste de la nouvelle Calédonie, pousse bien souvent les populations rurales à venir s’y installer dans le but d’y trouver un emploi.

La scolarité des enfants est aussi un des facteurs important qui pousse les parents à venir en ville (Taylor Nelson Sofres (TNS), 2008) de même que la présence d’un noyau familial déjà bien ancré en ville.

L’émergence des squats : les raisons de la formation des quartiers précaires

Les premiers squats, ont fait leur apparition au cours des années 70. La très grande majorité des squats sont installés sur des terrains appartenant au domaine public. Ils sont composés d’un certain nombre de constructions, communément appelées cabanes et accueillant généralement une famille, ainsi que parfois des hébergés. Ces quartiers sont répartis de façon irrégulière dans la ville et « sont installés dans des enclaves volontairement protégées ou isolées du reste de Nouméa; ils sont, en effet, presque systématiquement établis sur le versant des collines qui tournent le dos à la ville, ou encore au creux des vallées où ils ne sont guère visibles » (Dussy, 1995).

Les squats sont la résultante de plusieurs facteurs qui s’influencent mutuellement. À l’origine, c’est un facteur culturel qui a contribué à leur développement : le lien très étroit qui uni les Kanaks à la terre. C’est selon cette relation que les premiers Kanaks, installés de façon permanente en ville depuis la levée du régime de l’indigénat et habitant généralement des logements ouvriers, ont cherché à s’aménager une parcelle vivrière sur un terrain vacant. Cette parcelle était bien souvent accompagnée d’une cabane destiné à stocker le matériel de culture et à l’occasion à accueillir des parents originaire de la Tribu. La pénurie et l’inadéquation des logements aux modes de vie auxquels la population Kanak est habituée, est l’élément principal qui est venu pérenniser ce type d’implantation urbaine. Cela explique le « glissement [qui s’est opéré] des quartiers formels vers les zones d'habitat spontané » (Dussy, 2005) et leur multiplication.

Ce processus de construction d’un squat semble aujourd’hui ne plus être d’actualité. En effet, aujourd’hui, l’étape agricole a été abandonnée au profit d’une installation directe et définitive sur le terrain du squat. En effet, les conditions et la qualité de vie recherché à travers l’exode rural n’est pas toujours au rendez. Outre les problèmes liés au marché de l’immobilier, le marché de l’emploi n’est pas aussi favorable aux nouveaux venus. Le taux de chômage touche particulièrement la population Kanak qui présente souvent une faible qualification et qui est ainsi cantonnée aux emplois précaires.

Néanmoins, il a été mis en évidence à travers certaine études (TNS, Dussy, Naepels, etc.) que l’installation dans le Squat découle en partie du choix de retrouver un mode de vie qui se rapproche de la vie tribale. Pour certain, la « déshérence sociale » que la ville représente se manifeste dans la volonté de retrouver un semblant de structure et de pratiques coutumières (Naepels, 2000). Ainsi, les squats peuvent être d’une certaine façon qualifiés de nouvel espace identitaire. Aussi, malgré la précarité de l’installation, les avantages sont relativement nombreux à la vie dans ces quartiers d’habitat spontané et il est parfois ainsi difficile d’opérer un relogement des populations de squatteurs qui refusent de quitter l’environnement du squat auquel ils sont habitués pour des logements dont ils dénoncent l’inadaptation à leur mode de vie.

L’organisation sociale des squats : tribus urbaines ou bidonvilles ?

Les études qui se sont intéressés aux squats ont mis en évidence une organisation sociale interne des squats que l’on peut qualifier de véritable « pratique parallèle de la ville » (Dussy, 1997). En effet, à l’instar de l’organisation tribale traditionnelle en milieu rural, plusieurs structures et pratiques coutumières sont observables au sein des quartiers d’habitat spontané de Nouméa. On notera principalement la présence d’un chef de Squat, comparable au chef coutumier tribal, qui n’est autre que le premier occupant du terrain squatté (Dussy, 2005, p.59). Ainsi, on observe à travers cette pratique, une reproduction de la structure hiérarchique traditionnelles, mais aussi des règles coutumières d’accueil clanique. La structure sociale est fortement basée sur les réseaux d’échanges et d’entraide et sur le principe du don et du contre-don (Dussy, 2005). Ainsi, les squats sont-ils à l’intersection entre la culture traditionnelle Kanak et le modèle occidental porté par la ville.

La vie dans les squats

La viabilisation des squats

Ces dix dernières années, les collectivités ont déployé des efforts afin de raccorder les habitations aux réseaux d'eau et d'électricité. Ainsi, on constate qu'en 2008, 74% des habitats possèdent l'eau courante et près de 70% ont l'électricité. Cependant, il faut contraster ces chiffres plutôt positifs en observant le mode de gestion interne de l'eau. Malgré les efforts des communes d'installer des adductions d'eau dans tous les squats, on rencontre une limite au niveau de la distribution et du stockage. N'ayant généralement pas de robinets individuels dans tous les foyers, les habitants essayent de résoudre le problème par divers moyens de stockages (futs, bidons). Cette action à pour conséquence de détériorer la qualité de l'eau engendrant des problèmes sanitaires que nous verrons par la suite. Par ailleurs, le problème se pose aussi autour de la question du paiement. Chaque squat a monté son propre système financement de l'eau (par exemple, à Kawati, la facture est perçue par la présidente de la plus vieille association du squat, l'argent est récolté par des membres des trois autres associations et cet ensemble gère la partie privée du réseau). Cependant ces systèmes ne sont pas reconnus par la Calédonienne des Eaux qui ne s'intéresse qu'au paiement, pas à la façon dont celui-ci est fait et encore moins par le droit. Cela a pour conséquence de multiplier les mauvais payeurs, donc de voir les factures réglées de façon incomplètes entrainant des coupures d'eau pour l'ensemble du squat. Ainsi, on assiste à une faillite dans le système de solidarité interne aux squats où une minorité ne respectant pas la règle provoque un problème touchant l'ensemble des habitants.

Un autre problème concernant la viabilisation se situe au niveau de l’insertion des squats à la trame viaire de la ville. Les squats sont en effet reliés au reste du réseau par des pistes qui constituent les principales artères du « quartier », mais une partie d'entre eux se situe dans des endroits fortement isolés du reste de la ville soit du fait de la distance, soit à cause d'un obstacle (autoroute). Ceci pose problème aux squatteurs dans leur vie quotidienne qui sont contraints de prendre des risques pour rejoindre leur travail, les commerces ou l'école. C'est pourquoi une des réclamations récurrente des squatteurs est qu'on leur viabilise des terrains pour qu'ils puissent ensuite s'installer dessus de façon autogérée et en sécurité.  

L’habitat

Les habitants des squats sont majoritairement les producteurs de leurs habitats. Lorsqu'une personne ou une famille arrive à Nouméa, elle est généralement logée de façon temporaire chez une connaissance (souvent un membre de la famille élargi), mais cette situation n'est qu'un étape avant l'établissement dans sa propre cabane (construite par elle même ou une ancienne cabane inoccupée). Au niveau de la qualité des cabanes, l'ISEE considère que, au vu des matériaux utilisés, ces habitats peuvent être considérés comme « habitations de fortune » ou « constructions provisoires ». Cependant, dans sa thèse, Dorothée Dussy estime qu'il ne faut pas généraliser ce qualificatif à l'ensemble des squats.

Quant au confort interne, la qualité moyenne des habitations n'est pas dramatique. En effet, 61% des foyers possèdent une télévision, 76% un téléphone portable et 30% une voiture. Paradoxalement, seulement 14% d'entre eux possèdent un réfrigérateur, mais ceci s'explique par la mise en commun de ce genre de biens.

L'habitat en squat est généralement perçu comme étant plus avantageux que dans un logement social. Le cadre est plus agréable (paysage de bord de mer, endroits calmes et espacés dans l'ensemble), les liens communautaires sont étroits, il y a la possibilité de pratiquer une petite culture vivrière (de fait, près de 70% des squatteurs cultivent des fruits et légumes ou pèchent) et le coût de la vie est nettement moins élevé qu'ailleurs. Dans son aménagement, le squat est organisé à la façon d'un village enclavé dans la ville : on observe un mélange entre espaces propres aux ménages (habitation et dépendances et zones de culture vivrière) et d'espaces collectifs de rencontre qui prennent place aux croisements des chemins piétonniers traversant Nouméa utilisés par les océaniens. Un réseau de sentiers plus dense relie les habitations aux chemins et souvent aux habitations voisines. Enfin, les limites du squat sont clairement définies par un pourtour de terres en friches faisant partie du squat et isolant le quartier du reste de la ville.

La sécurité et la santé

Outre les difficultés, abordées ci-dessus, en matière de sécurité routière provenant de la proximité des squats aux voies express, quelques problèmes de sécurité s’avèrent liés à l’existence des squats. En leur sein se développent des problèmes liés aux drogues (alcool, cannabis, kava), tandis qu'à l'extérieur, les tensions entre habitants et police crée des conflits ponctuels. De façon plus isolée, mais visible, certaines populations jeunes et marginalisée se regroupent pour commettre des activités criminelles (vols). Cependant l'aspect criminel de l'insécurité des squats est un phénomène qui n'atteint pas un niveau alarmant en comparaison à la situation dans les quartiers défavorisés de nombreux autres pays.

La présence fréquente des squats dans des zones mal assainies (mangroves, zones marécageuses), l'insalubrité de l'eau du à son mauvais stockage et le manque d'hygiène global (notamment dans la gestion des déchets) sont des facteurs à la présence plus fréquente de maladies que dans les autres milieux urbains. Ainsi, la galle, les maladies de peau, les problèmes bucco-dentaires, les maladies ORL, les diarrhées chez les enfants, l’hépatite virale, la dengue et la leptospirose font partie des problèmes de santé récurrents dans les squats. Cependant, si ces problèmes sanitaires sont plus marqués dans ces zones que dans les autres zones urbaines, on remarque que le niveau du problème est comparable à celui que l'on retrouve dans les tribus en milieux rural. De plus, le problème sanitaire ne se présente pas de la même façon dans tous les squats : si le problème est préoccupant dans certains, on estime que la qualité sanitaire des squats dits « de standing » est satisfaisante.

Ces conditions de vie difficiles des squats symbolisent l’immense disparité des richesses dans un pays dont l’indice Gini, très élevé, est de l’ordre de 0,5 (à comparer avec un pays comme le Cameroun).

La dimension politique des squats

Aujourd’hui le Grand Nouméa est une agglomération pluriethnique dans laquelle la structure coloniale n’existe plus a priori. Toutefois, le mode de vie urbain qui y règne, et la culture occidentale qui s'y apparente, apparaissent en opposition avecles traditions coutumières mélanésiennes. Dorothée Dussy donne une représentation des squats de Nouméa et développe le paradoxe avec la cité formelle. Elle explique que par ces habitations jugées primaires face au développement de type européen, la population Kanak produit un nouvel espace urbain. Il est perçu par les autres citadins, majoritairement d’origine européenne mais pas seulement, comme une inversion du modèle classique de la ville et de ses valeurs. Certains les qualifient comme des « anti-ville », que l'auteur oppose à un « inconscient collectif » urbain et colonial.Dans son œuvre, Dussy dénonce en effet comment l’identité et les valeurs de Nouméa la « ville blanche » sont ébranlées aux yeux de certains par ces logements informels, allant à l’encontre de toutes règles, de l’ordre social et de la morale coloniale. La notion du pouvoir est alors mise en avant. En effet, le partage des décisions semble compromis entre les squatters et les citadins « institutionnels ». Le discours des Kanaks tente à promouvoir leur occupation ancestrale de la presqu’île, tandis que le discours « européen » minimise ses occupations précoloniales et met en avant que Nouméa a été bâtie sur un site vierge par les colons. L’auteur s’interroge alors sur la fonctionnalité de ces squats. Elle s’inspire d’une déclaration du grand chef Gabriel Païta : « "Nouméa, pendant longtemps préservé, est devenu le lieu ultime où se cristallisent les conflits qui agitent aujourd'hui la société calédonienne, et l'investissement de l'espace urbain, lieu par excellence de la concentration du pouvoir, est, pour certains, lourd de symboles. L'un des informateurs annonçait d'ailleurs : "Je vais lui dire [au ministre Jean-Jacques Peretti] que la révolution viendra des squatters à Nouméa. Ils sont intra-muros, ils sont dans les murs. Avant, c'était difficile quand on était dehors. Mais quand on est dans la ville...". Les squats apparaissent ici comme un ultime moyen de lutte pour défendre les traditions d’un peuple face à la colonisation, voire la post-colonisation. Marc Baltzer dans un article s’inspire des travaux de Dussy pour commenter l’explosion du squat à Nouméa depuis les années 90. Les anthropologues et urbanistes font un point sur le contraste entre cette ville européenne et ces espaces développés et occupés à la manière organique océanienne. L’auteur dénonce alors cette vision du squat comme un problème essentiellement social. La contradiction vient du fait que ces logements deviennent des enjeux majeurs politiques également, et que leurs habitants sont perçus comme des sans abris et des délinquants potentiels.

Face à cette manifestation visible des lacunes en matière de logement, les autorités ont mis en œuvre des politiques publiques destinées à apporter des solutions à l’équation de l’habitat urbain du Grand Nouméa dans un pays de grande diversité culturelle.

Les différentes politiques publiques de l’habitat dans le Grand Nouméa

L’accord de Nouméa s’établit sur le fondement d’un rééquilibrage entre les populations mélanésiennes et les populations issues de la colonisation, ainsi, son préambule comprend cette phrase lourde de sens : « Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L’avenir doit être le temps de l’identité, dans un destin commun ». Cette notion de rééquilibrage comprend ainsi autant des dimensions socio-économiques, entre les différentes populations, qu’une dimension spatiale entre la capitale coloniale et le reste du territoire calédonien. Aussi, au nom de cet accord de paix, l’aménagement du territoire est-il tout entier tourné vers la lutte contre l’exode rural notamment par une clé de répartition des finances nettement à l’avantage des provinces rurales du Nord et des Îles, avec par habitant des budgets provinciaux respectivement de 2 et 2,7 fois supérieur à celui de la province Sud, qui accueille le Grand Nouméa. Cette politique de rééquilibrage constitue sûrement la principale politique mise en œuvre pour répondre à l’apparition du phénomène des squats en milieu urbain. Car, par ailleurs, ces squats ont longtemps été niés dans leur existence ou dans leur faculté à offrir un toit aux populations défavorisée. Ainsi, l’ancien président de la Province Sud, alors qu’il visitait un ces squats, s’est-il indigné qu’ « actuellement, 6000 familles n’ont pas de toit », tout en remarquant que « cette situation est indigne de la République et de la Nouvelle-Calédonie » (Les Nouvelles Calédoniennes du 21 mai 2004). Aussi, un tel constat a-t-il conduit la Province Sud à « amplifier le programme de relogement des personnes qui vivent dans les squats » (ibid.).Cette politique de relogement s’est souvent opérée sur des terrains occupés par l’habitat précaire sur lesquels les squats sont apparus comme des obstacles au développement. Ainsi, de nombreux outils de développement ont-ils été mis en œuvre avec des protocoles de résorption de l’habitat insalubre et des opérations de relogements des familles dûment accompagnées par des centres d’action sociale. L’exemple le plus marquant de cette politique ces dernières années concerne le squat de Tuband, au sud de la presqu’île de Nouméa avec notamment un dispositif d’insertion par le logement et l’emploi qui a transformé ce terrain squatté en véritable quartier de ville. Une telle politique de relogement a donc entrainé un fort programme de construction de logements sociaux, avec l’objectif toutefois d’éviter les expériences hasardeuses du passé, où des grands ensembles ont été sans véritable intégration à la ville. Un objectif de mille logements par an a été fixé avec différents programmes d’aide et d’accompagnement allant de l’aide à la pierre, dans le but de construire des logements locatifs, par l’intermédiaire d’opérateurs de logement social, aux dispositifs d’accompagnement d’accession à la propriété dans un éventail de mesures (que ce soit pour l’acquisition proprement dite d’un logement, ou la construction voire l’amélioration de ce dernier).

Les acteurs principaux de ces politiques sont l’Etat Français et la Province Sud. Le rôle de l’Etat Français dans le financement des programmes apparaît ainsi primordial, avec une participation financière, par l’intermédiaire notamment des contrats de développement, très importante (de l’ordre de 50% du budget public de la construction de logement), mais aussi par la défiscalisation des investissements métropolitains, alors que les investissements néocalédoniens sont défiscalisés par le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, et la mise à disposition des facilités de la Caisse des Dépôts et Consignations, institution financière publique. La Province Sud apparaît comme le chef d’orchestre de la politique de logement social dans le Grand Nouméa, notamment au travers du conventionnement des programmes de logements aidés au profit des trois opérateurs de logement social que sont le Fonds Social de l’Habitat (FSH), la Société Immobilière Calédonienne, qui appartient pour moitié à l’Agence Française de Développement, et la Société d’Economie Mixe de l’Agglomération. Ces opérateurs assurent le pilotage des opérations et l’aménagement des quartiers en bonne intelligence avec les communes qui sont chargées de la délivrance des permis de construire. Afin d’assurer leurs missions de constructions de logements les opérateurs sociaux peuvent aussi se soumettre à l’emprunt bancaire, et pour le FSH, de cotisations prélevées sur les salaires.

Ces politiques présentent notamment des limites importantes. En effet, le rythme de construction des logements, limité par la capacité des entreprises locales et la concurrence de projets de construction privés, ne peut suivre ni le rythme de la croissance de l’urbanisation, ni celui du phénomène de décohabitation des logements. De plus, le faible taux de rotation des logements sociaux ne permet pas aux populations de sortir de leur vulnérabilité et génère une distorsion du marché du logement avec une forte déconnexion de l’offre privée et de l’offre publique. Par ailleurs, cette politique a un coût public important, au détriment de la fourniture d’autres services (comme des infrastructures sanitaires ou de transport), et marque une forte dépendance financière de la Nouvelle-Calédonie à l’Etat Français. Enfin, elle ne répond pas aux aspirations de la population océanienne avec des logements peu adaptés aux modes de vie locaux.

Conclusion

Afin de trouver une issue constructive à ce travail, nous nous sommes efforcés de cerner des opportunités pour la mise en place de politiques futures. La plus naturelle d’entre elles consiste à améliorer l’aménagement des logements sociaux dans le but de mieux répondre aux modes de vie avec par exemple l’aménagement systématique de jardins communautaires à proximité des opérations et la construction concertée, avec les occupants des logements, d’une maison commune. Mais, il peut aussi paraître opportun de ne plus nier ces logements que sont les squats et de les intégrer au tissu urbain, par exemple en transformant les voies express en boulevard, ou à la trame paysagère, les squats s’apparentant à des « forêts urbaines » (Canales Salgado, 2009), mais aussi en les incorporant dans une logique de marché, en délivrant des titres de propriétés au squatteurs, tel qu’ils le revendiquent, et en accompagnant la densification de certains quartiers dans des opérations négociées, en aidant notamment à l’auto-construction.Toutefois, de telles opérations se heurtent non seulement à l’opinion publique, qui peut-être choquée de telles régularisations, mais aussi à l’appétit de certains promoteurs pour des terrains aux emplacements parfois privilégiés. Il nous apparaît néanmoins que la problématique du logement n’est qu’une manifestation physique et spatiale des fortes inégalités sociales du Grand Nouméa, et de la dichotomie de la ville avec la tradition tribale qui doit trouver sa résolution dans la construction d’une identité urbaine calédonienne.

François Serve, avec le concours de Romain Rastoin, Florian Wolf, et Emmanuel Pion

Sources:

Dussy, Dorothée. 2005. S’approprier la ville, Nouméa à l’image de ses Squats. Nouméa. 255p.

Dussy, Dorothée. 1997. Les squats, zones d’habitat spontané à Nouméa. Paris. Revue ORSTOM actualités. N°54. p.2-5.

Dussy, Dorothée. 1996. Tribus urbaines ou squats ? L'habitat océanien spontané de Nouméa (Nouvelle-Calédonie). Le territoire lien ou frontière : colloque national sur la question du territoire et de la territorialité (Paris, 2-4 octobre 1995). 6p.

Hamelin, Christine. 2000. « Les gens de Nouméa : Mutations et permanences en milieu urbain ». In En pays Kanak, Cahier 14, Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme. pp.339-354.

Naepels, Michel. 2000. « Partir à Nouméa : Remarques dur les migrants originaires de la région ajië ». In En pays Kanak, Cahier 14, Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme. pp.355-365.

Enquête TNS. 2008. Recensement des squats pour le compte de la Province Sud.

Canales Selgado, Ivan. 2009. La cohabitation du squat et du logement social en Nouvelle-Calédonie. Le cas de Nouméa et de l'agglomération nouméennes. Mémoire de master DEVTAT.


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