Ces photos légendées qui méritent d’entrer dans la légende

Je dis 2 suggestions mais, à vrai dire, l’alternative est un peu roublarde puisque les deux ouvrages que je vous recommande constituent deux anthologies compilant le même type de perles, bien que piochant dans deux viviers distincts. Toutefois, leur tirage respectif étant limité, vous pourrez vous reporter sur l’un si l’autre  était indisponible.

On m’a offert Le perche à l’aube du troisième millénaire il y a 2 ou 3 ans, à la fin d’un stage en agence durant lequel j’avais, entre autres activités, la mission de piger dans la presse locale les publicités pour les constructeurs d’automobiles. Chaque matin, je recevais ma livrée de PQR (Presse Quotidienne Régionale), que je feuilletais consciencieusement, une paire de ciseaux à la main. Mais rapidement je me suis laissé distraire par les faits divers et les pages d’actualités locales. Je constituais alors deux tas avec mes découpages : les réclames d’un côté, les articles ou photos qui m’amusaient de l’autre.

La première photo que j’ai prélevée provenait d’un article de la Voix du Nord sur Nausicaa. De mémoire, la légende disait quelque chose comme «Ce week-end, venez toucher les raies gluantes à Boulogne sur Mer». Évidemment, j’ai partagé ma trouvaille avec les collègues. J’ai beau avoir été prétendant à un Bac+5, je suis avant tout un parfait nigot, grand amateur d’humour de bureau.

La PQR, y compris les pages nécrologiques, regorge de choses drolatiques et hautement «collectionnables» (qui eût cru qu’on peut être enterré en l’Église Saint Maclou dans la bonne ville de Wattrelos ?). Alors, ma «revue de presse» est devenue quotidienne (voir quelques reliques dans la galerie en bas de l’article).

Le perche à l’aube du troisième millénaire, revenons-y, est une compilation de photos légendées provenant du Journal Le Perche, dont Vincent Malone fût régulièrement le lecteur amusé. On y voit des photos de chantiers, sous-titrées «Les travaux avancent», une photo de place de village, sous laquelle est noté « Ici, bientôt un parking », on admire «Une réalisation exemplaire» (une déchetterie flambant neuve). On y lit, sous la photo d’un autochtone «Si vous saviez comme je suis bien moralement après avoir animé un loto. J’ai l’impression d’être comme tout le monde». Le tout est livré sans commentaire, à la façon d’un épisode de Strip-tease. Moquerie gratuite ? Hommage aux « localiers », ces soldats de l’info, envoyés en première ligne dans cette guerre sans merci de l’actualité de proximité ? Le voile n’est jamais vraiment levé sur les intentions de l’auteur.

La même année, en 2003, sortait Aucune photo ne peut rendre la beauté de ce décor. La démarche est la même, mais la quête d’actualités photographiques est menée dans les pages du «Pays Briard», journal local de Seine et Marne. Quelque chose pourtant différencie les deux ouvrages. Quelque chose d’imperceptible, mais ô combien capital : sous le pseudonyme des auteurs du livre, Taroop & Glabel, officie un collectif d’artistes contemporains.

Voila qui donne à réfléchir sur les critères d’éligibilité d’une oeuvre d’art de nos jours. J’ai bien tenté d’éluder le mystère, mais ça demeure très opaque pour moi (1). Reste que ces deux ouvrages constituent un cas d’école : très similaires sur le fond comme sur la forme, l’un des ouvrages est une oeuvre, l’autre pas. Voilà qui, en cas de besoin, pourra alimenter la conversation le soir du Réveillon.

Pour ravir petits et grands moqueurs :

>Le Perche à l’aube du troisième millénaire, Vincent Malone, Les Editions Tagaro, 2003.
>Aucune photo ne peut rendre la beauté du décor, Taroop & Glabel, Semiose Éditions, 2003 (réédition enrichie en 2009).
>(1) Critères esthétiques et jugement de goût, Yves Michaud, Hachette Littérarures.