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You Glorious Bastard !

Publié le 24 août 2009 par Cdsonline

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Après ses divertissantes fantaisies KillBillesques, Quentin Tarentino révèle enfin sa vérité généalogique : il est le fils bâtard et glorifié issu du croisement improbable d’une cinémathèque mondiale avec l’idiotisme ado-américain le plus auto-centré.
Résultat: Inglourious Basterds est vraisemblablement le film de propagande néo-libérale le plus abouti qu’un capitalisme mondialisé ait jamais osé espérer…

Si au mot célèbre attribué à Goebbels : “dès que j’entends le mot culture, je sors mon revolver” Godard avait déjà formulé l’actualisation en “dès que j’entends le mot culture, je sors mon carnet de chèques” (réplique du producteur dans Le mépris), il semble qu’à l’inversion postmoderne d’une gauche bien pensante n’ayant rien appris d’Auschwitz : “dès que j’entends le mot revolver, je sors ma culture“, le chouchou hollywoodien ait décidé de surenchérir en spécifiant: “Moi, je sors ma Kultur cinématographique!

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Alors quoi, c’est Kantien Tarantino? Certes non! Pas pour deux ronds (de balle). Pas Kierkegaardien non plus l’éternel ado cinéphile-cinéaste, oh que non! Pas de passage du stade esthétique au stade éthique ici, pas de ça Lisette!, le spirituel dans l’art, c’est bon pour les gogos passéistes du siècle dernier, du cinoche, et rien que du cinoche qu’on vous dit!
Alors oui bien sûr, il sait faire des images le Quentino, et vachement bien même, et il sait s’entourer aussi: acteurs, chef-op’, monteur, etc. À se demander comment dans une même personne peuvent coexister un tel talent d’expression cinématographique ET une telle irresponsable crétinerie narcissique.
Alors oui bien sûr, il veut dire que toussa c’est que du cinéma, que ce n’est pas à prendre autrement qu’une farce, que dans tous les films, les nazis sont présentés comme ça, que c’est sa façon à lui de voir l’histoire, et de venger les juifs au passage, puisque l’Histoire, hein, pffffuit, on s’en bat l’œil et pas qu’un brin! Bref toussa n’est qu’une affaire de point de vue, en l’occurrence le sien…
Quel point de vue?
Attention: mise en abîme: le film Inglorious Basterds (Les infâmes bâtards) contient un (autre) film inside! Un film qui retrace l’histoire d’un héros de la nation (allemande), un Aryen pure souche bien-comme-il-faut, un “Glorious Pure Son” en quelque sorte… Un “brave” sniper (!) qui aurait du haut d’un clocher sicilien décimé à lui tout seul trois cents soldats américains. (300! comme le titre de l’excellent film de Zac Snyder tiré de la bd de Frank Miller et qui constitue en l’occurrence l’exact contrepoint au propos Tarentinesque, une même virtuosité cinématographique, mais avec inside cette fois une vraie sensibilité artistique, un jugement éthique réfléchi et une conscience politique éveillée…)

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Retournons à l’abîme : le spectateur venu voir “en masse” le Tarentino (car c’est aujourd’hui une des marques de fabrique les plus cotées de la puissante industrie du divertissement culturel) se trouve placé dans un dispositif où depuis la salle de cinéma où il a pris place (et où il est de facto assimilé à un Inglorious Bastard, titre revendiqué par le réalisateur lui-même) il assiste à la mise-en-scène de la “bonne” fiction : la fiction-fiction (le film) opposée à la “mauvaise” fiction : la fiction-documentaire (le film dans le film). Autrement dit participant au parti-pris revendiqué par l’auteur d’un cinéma déniant tout lien avec un référent extérieur à lui-même (à savoir la “réalité” socio-historique) et donc complice d’un spectacle cinématographique total où l’intérêt finit par se déplacer de l’écran à la salle et où le spectateur-otage (comme les nazis dans le film!) est “invité” à jouir (gloussements, rires, applaudissements…) de cette histoire affranchie de l’Histoire! La boucle de la jouissance… Jouissance ou j’ouïs sens?

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Mais n’est ce pas là couper les cheveux en quatre? Empêcher de jouir en rond (ou en boucle)? N’est-ce pas là “intellectualiser” ce qui ne doit pas l’être? Le visionnage d’un Tarentino n’est il pas garanti par essence “ideology-free” (comme on peut désormais fumer du “nicotine-free“, bouffer des friandises “sugar-free” et siroter du café “cafeine-free“)? En ces temps non-idéologiques auto-proclamés oserons-nous soutenir la bonne vieille thèse d’inspiration Marxienne selon laquelle la signification idéologique d’un élément ne réside pas dans cet élément lui-même mais dans la manière dont il est l’objet d’une appropriation, d’une articulation dans une chaîne signifiante? Et si le signifiant Maître “cinéma” était devenu un simple fétiche? Ne sommes-nous pas directement convoqués par Tarentino à l’expression même du déni fétichiste : Je sais bien… mais quand même… ? “Je sais bien… que c’est pour de faux, qu’Hitler et tous les principaux nazis ne sont pas morts dans un cinéma… mais quand même je m’identifie de façon excessive à l’éradication de cette vermine, je jouis bruyamment de les voir se faire scalper, défoncer à coups de batte de baseball, enfumer et griller comme des rats dans cette salle de cinéma…

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Et quoi, qu’y a-t-il de mal à ça? Pourquoi faire la fine bouche devant ces réjouissants miracles proposés par l’interpassivité Tarentinienne: une identification projective aux “bons” Bastards totalement “risk-free“, un courage projectif qu’on s’attribue à bon compte, une bonne décharge hallucinatoire… ça c’est la magie du cinéma Quentinien!
Je sais bien… que la Résistance française est évacuée dans un sanglot dès le premier quart d’heure… mais tout de même… quelle maîtrise dans la réalisation! Je sais bien… que des moments de pure jouissance sont provoqués par les magistrales interventions du colonel nazi Hans Landa, véritable héros du film, mais tout de même… quel jeu d’acteur! Je sais bien… que les protagonistes qui incarnent les valeurs “ringardes” passéistes : courage, abnégation, sensibilité, sens du devoir, héroïsme, éthique (le lieutenant de la Wehrmacht, Shoshana, l’espion anglais cinéphile, l’espionne-actrice allemande en Mata-Hari inversée, l’autrichien, le soldat allemand anti-nazi…) sont méthodiquement éliminés… mais tout de même… quel sens consommé de la mise-en-scène ! Bref toussa c’est que du cinéma qu’on vous dit ! Faut pas tout le temps chercher midi à quatorze heures, quoi!

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Zoyons zérieux zwei Minuten! Quelle sainte naïveté pourrait nous faire croire que ce Tarentino puisse être politiquement neutre? L’élimination avant la fin du film de tout personnage susceptible d’incarner a minima les valeurs “nobles” laisse place nette à la confrontation entre : les nazis d’un côté en la personne de leur brillant représentant (Landa) et de l’autre le groupe des Inglorious Basterds tout de démesure, d’outrances et de cynisme censé “nous” représenter, “nous” le spectateur (lambda?)… N’est-ce pas là l’idéologie clairement manifestée du système libéral-capitaliste américain ? Comment ne pas voir dans ce choix “forcé” celui qui est le nôtre depuis le 11 septembre, sommés que nous sommes de nous situer entre une démocratie libérale pas très nette, pas très propre sur elle, corrompue, cynique, brutale mais à tout prendre plus “sympathique” “acceptable” et en tout cas de loin préférable à la menace terroriste, aux intégrismes religieux, et à l’effroi des totalitarismes de tous bords?
Et si en vérité le choix ne se posait pas en ces termes? Serions-nous prêts à intégrer pour cela l’antagonisme constitutif, serions-nous assez évolués pour ne pas refouler de manière définitive (ce dont le déni fétichiste est la marque) le traumatisme que nous aurions à subir, en tant qu’animal humain si nous acceptions que la vie sur terre puisse être au service d’une vérité et pas seulement un processus stupide de reproduction et de quête sans fin des plaisirs? …

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Cela n’est apparemment pas un souci de l’être Tarentinien… Lorsque l’espion cinéphile anglais attire l’attention de l’officier SS dans la taverne en sous-sol, il justifie son étrange accent par son origine du Piz Palu, référence au film célèbre de Pabst “L’enfer blanc du Piz Palu” dans lequel figure à l’affiche une certaine… Leni Riefenstahl! On se souvient de l’exceptionnel talent visuel, de la qualité de réalisation, du souci esthétique extrême de la propagandiste du IIIe Reich qui ne se gênait pas pour déclarer « La réalité ne m’intéresse pas… »
Avant que le cinéma soit mis à feu par le projectionniste, Shoshana, qui est déjà morte dans le film, (ré)apparaît à l’écran, tel le fantôme encore frais d’elle même, présence non-morte venue de l’au-delà, lançant des imprécations aux nazis saisis de surprise puis d’effroi. Cette image spectrale saisissante est l’illustration de ce que Freud a thématisé sous le nom de pulsion de mort, une “chose” qui n’existe pas (ou plus) dans la réalité mais qui n’en a pas moins des effets sur ladite réalité, et qui par son éternel retour in-siste à défaut d’ex-(s)ister…

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Alors quoi, que cela signifie-t-il? Que notre brave Quentin déniant toute réalité socio-historique, rejetant toute valeur à un référent autre que le cinéma lui-même, se préoccupant exclusivement d’excellence formelle, serait devenu (à l’insu de son plein gré?) une sorte d’équivalent de Leni Riefenstahl du social-capitalisme américain? Il faut bien reconnaître qu’il y a des indices qui laissent songeur, surtout si l’on se remémore ce malaise persistant après la séance… La fin du film met aux prises les seuls protagonistes restant en lice : le “bon” bastard Aldo Raine et le “méchant” aryen Hans Landa. À peine l’échange des clés et des armes a-t-il eu lieu, l’américain exécute sans sommation et à la surprise générale l’ordonnance du nazi! La question se pose alors que va-t-il faire? Liquider Landa à l’encontre des ordres du mystérieux “général” ? Voilà qui aurait contribué à brouiller les cartes, et conféré une tournure un brin subversive au film… Mais un “Basterd” peut-il assumer ses choix jusqu’au bout, avoir une éthique irréprochable et affirmer sa liberté inconditionnelle, indépendamment de l’impératif surmoïque, bref est-il du ressort du Basterd d’assumer la responsabilité pleine et entière de ses actes? Apparemment non. D’autant que c’est bien connu, he had a deal! Un deal qu’il a interprété à sa manière, mais hein, c’est des nazis tout de même! Et puis le capitalisme a cette incroyable capacité de tout pouvoir recycler, rien ne se perd, tout se transforme! On peut faire du business avec tout! Nul doute que les qualités objectives d’un Landa, même marqué d’infâmie, vont trouver un bon usage à Nantucket (qui signifie “pays lointain”), une banque off-shore peut-être? Un recyclage particulièrement écologique au service d’un développement durable, qui pourrait y trouver à redire?


Walter Benjamin peut être : “Le culte de la vedette, que favorise le capitalisme des producteurs de films, conserve cette magie de la personnalité qui, depuis longtemps déjà, se réduit au charme faisandé de son caractère mercantile. Aussi longtemps que le capitalisme mènera le jeu du cinéma, le seul service qu’on doive attendre du cinéma en faveur de la Révolution est qu’il permette une critique révolutionnaire des conceptions traditionnelles de l’art.


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